accueil
Sommaire Art
tableau historique
 
tableau des 16 paradoxes
avant :  
bouquet de roses gothiques
suite :  
la nef d'Exeter

 la verrière d'une chapelle du cardinal de La Grange à AMIENS
 
 
 
 
 

Pour aller aux autres exemples de gothique du 14ème siècle analysés :
 
     à un bouquet de roses gothiques (élargit l'analyse du 13ème au 16ème siècle)
     aux voûtes de la nef de la cathédrale d'EXETER
     à la façade de la cathédrale de STRASBOURG
 
   le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture pendant le moyen-âge
   les généralités sur les effets paradoxaux que l'on trouve dans l'architecture gothique au 14ème siècle
 
 
Pour charger l'image de l'exemple analysé :   la verrière d'une chapelle du cardinal de La Grange dans la cathédrale d'AMIENS (France) - 1373  (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)

Source de l'image utilisée :
François CALI - "L'Ordre Flamboyant" - Editions ARTHAUD - 1967
 
La rose dessine le haut d'une grande verrière de l'une des chapelles du Cardinal de La Grande dans la cathédrale d'AMIENS.
Sous la rose se trouvent de longues bandes verticales de vitrail, de largeur régulière et seulement interrompues par une bande horizontale de petites ogives semblables à celles que l'on voit juste en dessous de la rosace.
Il existe à EXETER, dont on analysera la voûte dans le prochain texte, une fenêtre de style assez semblable qui date de 1369.
 
 
 

Le  1er paradoxe : relié / détaché

Dans le texte précédent, il a été signalé que l'on peut envisager ce stade de la complexité comme celui de l'émergence de noeuds les uns à côtés des autres.
Si l'on envisage chacun des quadrilobes comme étant l'équivalent d'un noeud, on peut effectivement  considérer :
    - que ce noeud se resserre suffisamment (donc qu'il se lie suffisamment) pour que son étranglement fasse émerger la séparation de chacun de ses quatre lobes ;
    - et qu'il reste suffisamment lâche (donc suffisamment détaché en tant que noeud) pour qu'il n'apparaisse que comme une esquisse de noeud, une émergence de noeud, et non comme un noeud déjà complètement ficelé.
Cet aspect de noeuds mi-faits (donc mi-reliés), et mi-défaits (donc mi-détachés), correspond à une expression synthétique du relié / détaché.  [revoir ce qu'on entend par "expression analytique" et "expression synthétique"]
 

 
expression synthétique du paradoxe relié / détaché :
les quatre lobes de chaque trèfle esquissent un noeud à la fois mi-fait (mi-relié) et mi-défait (mi-détaché)

 

Chaque lobe est relié aux autres par deux attaches latérales, et il se détache des autres en partant de son propre côté. Cette fois il s'agit d'une expression analytique.    

 
expression analytique du paradoxe relié / détaché :
les lobes sont attachés entre eux, ils se détachent les uns des autres en partant vers directions divergentes
 
 
Nous venons de considérer l'allure de chacun des quadrilobes considéré individuellement.
Regardons maintenant la verrière à plus grande échelle.

Les quadrilobes se relient l'un à l'autre par la pointe, mais ils restent décollés, donc détachés l'un de l'autre sur les flancs. C'est une expression analytique
 

 
expression analytique du paradoxe relié / détaché :
les quadrilobes se relient par la pointe, et ils sont détachés l'un de l'autre sur leurs flancs

La maçonnerie forme une texture continue qui relie toutes les unités lumineuses individuelles qui se détachent de façon aveuglante sur ce fond sombre.
Ce fond sombre forme lui-même trois grandes figures (deux triangles et un cercle), figures qui sont reliées l'une à l'autre par l'empâtement de leurs nombreuses intersections. Ces grandes figures tentent de se détacher dans notre perception, luttant pour cela contre le surgissement des trouées lumineuses qui les brouillent.
Ces deux effets mélangés sont de nature synthétique.
 

 
expressions synthétiques du paradoxe relié / détaché :
1 - la maçonnerie relie les figures lumineuses qui se détachent sur son fond sombre continu
 
 
2 - les trois grandes figures du fond (un cercle et deux triangles) sont reliées par les empâtements de leurs intersections, mais notre perception peut les détacher l'une de l'autre pour les visualiser séparément
 
 
 
 

Le 2ème paradoxe :  le centre à la périphérie

Chaque quadrilobe élémentaire nous apparaît comme une figure régulièrement répartie autour de son propre centre géométrique. En même temps c'est une figure qui tient en équilibre sur ses pointes, donc sur ses extrémités périphériques, puisqu'elle s'appuie par ses pointes sur les pointes périphériques des autres quadrilobes. Cette tension entre la lecture par le centre géométrique de la figure et la lecture par le repérage de ses points d'appuis en périphérie, correspond à une expression de type analytique.
On retrouve cette même tension dans la lecture des deux triangles de grande échelle : ils forment ensemble une Étoile de David équilibrée autour de son centre (d'ailleurs signalé par un trilobe), et ils s'équilibrent aussi en poussant par chacune de leurs pointes sur le cercle qui les cerne.

Si l'on réfléchit d'ailleurs à ce qui se passe dans cette étape de l'évolution de la complexité qui voit l'émergence de nouvelles unités locales, on comprend ce que ce paradoxe du centre à la périphérie vient faire à ce moment là : les nouvelles unités émergent simultanément les unes à côté des autres, et comme elles ne forment encore ensemble aucune organisation à grande échelle elles ne disposent pas d'autre moyen pour s'équilibrer mutuellement que de se pousser les unes les autres par leurs extrémités, chacune défendant ainsi son espace vital contre l'ensemble des autres qui tentent de l'étouffer. On peut aussi exprimer cela en disant que, lors de son émergence, l'expansion de l'une qui cherche à grandir à partir de son centre, n'est arrêtée que par l'expansion des autres qui l'entourent sur toute sa périphérie.
Cette intervention du paradoxe du centre à la périphérie est, pour cette raison, systématique à chaque fois que la complexité aborde le début d'un nouveau cycle. On peut remarquer que, dans notre tableau qui regroupe l'ensemble des paradoxes, on l'a mis en première position de la première ligne. Bien que la complexité ait un caractère cyclique, donc sans véritable début ni véritable fin, ce paradoxe est cependant celui qui signale le début de chaque grand cycle.
 

 
expressions analytiques du paradoxe du centre à la périphérie :
à gauche : les trèfles sont des figures centrées, qui trouvent leur équilibre en s'appuyant sur les autres par leurs pointes périphériques
à droite : la grande étoile d'ensemble est géométriquement centrée, elle s'équilibre en poussant par toutes ses pointes sur le grand rond périphérique
 

L'absence de forme d'ensemble organisée clairement lisible, nous empêche précisément "d'organiser notre perception". Nous ressentons qu'il existe une forme d'ensemble, mais elle ne dispose d'aucune hiérarchie permettant de relativiser la place de ses détails par rapport à son organisation générale.
Nous ne pouvons donc pas lire d'emblée la figure, et sans arrêt nous sommes contrariés dans cette tentative par la perception des quadrilobes qui se bousculent pour se faire voir, et dont chacun cherche à ce qu'on le perçoive au détriment des autres.
Dans une telle situation où la forme ne dispose pas de grand dessin d'ensemble clairement lisible pour servir d'appui et de structure à notre perception, où la figure est au contraire formée d'un saupoudrage de formes individuelles équivalentes qui chacune se propose comme pouvant être la figure centrale de la lecture, notre perception est tout simplement désarçonnée, décontenancée.
Le centre d'appui que l'on recherche pour organiser notre perception est ainsi partout, donc en fait nulle part, ce qui est une expression synthétique du paradoxe qui fait le centre réparti sur toute la périphérie, donc nulle part finalement.
 

 
expression synthétique du paradoxe du centre à la périphérie :
toutes les parties de la surface se proposent pour être le centre visuel qui va organiser notre perception, et puisque ce centre est partout il n'est nulle part efficacement. On peut aussi expliquer cet effet en disant que la structure d'ensemble se dérobe constamment, et avec elle le point d'appui utile à notre perception pour hiérarchiser mentalement la figure
 
Cette dérobade constante de l'appui utile à notre perception (ici la dérobade de la structure d'ensemble qui nous est nécessaire pour facilement lire la figure) est une des expressions synthétiques fréquentes de ce paradoxe. Dans une autre partie du site, on a vu par exemple, à l'époque maniériste du 16ème siècle, qu'il pouvait se manifester par la dérobade constante de l'appui au sol du bâtiment que l'on n'arrive pas à saisir, ou par la fin du bâtiment dont on ne parvient pas à savoir où elle est vraiment.
 
exemple d'effet équivalent :   ressentir que le centre d'équilibre est au centre de soi mais aussi à l'extérieur de soi,
implique de réussir / rater le point d'appui central de la perception de soi et de ce qui nous entoure. Par analogie,
un bâtiment qui se dresse debout comme nous sur nos jambes, a son appui au sol qui est réussi / raté
 
 


Le 3ème paradoxe : entraîné / retenu

Comme toutes les unités élémentaires sont de forme analogue et de taille analogue, et qu'au surplus elles ne forment pas ensemble une structure globale clairement visible, notre attention se peut se fixer spécialement sur l'une de ces formes et elle est attirée par ses voisines aussitôt après avoir cru possible de se concentrer sur l'une d'entre elles. Comme chaque forme nous entraîne autant que les autres à la regarder, toutes les formes se font concurrence et se neutralisent mutuellement, ce qui nous retient en conséquence de diriger spécialement notre regard vers l'une plutôt que vers l'autre.
À grande échelle, la même chose vaut pour les deux triangles posés tête-bêche l'un sur l'autre :
    - on ne peut les lire ensemble, car le contour commun de l'Étoile de David qu'ils forment est trop brouillé par la présence des trouées lumineuses qui déchiquettent sa silhouette ;
    - et sitôt que l'on s'aperçoit que les quadrilobes en bande forment ensemble un grand triangle, le triangle symétrique emboîté sur les mêmes quadrilobes centraux nous apparaît, nous entraîne à le regarder et nous retient ainsi de nous fixer sur le précédent.
Il s'agit d'expressions de type synthétique, car l'effet d'entraînement vers une forme et l'effet qui nous retient de nous diriger vers cette forme sont absolument inséparables.
 

 
expressions synthétique du paradoxe entraîné / retenu :
à gauche : notre attention est attirée de façon équivalente par chacune des découpes lumineuses,
ce qui nous retient d'aller spécialement vers l'une plutôt que vers l'autre
à droite : idem pour les deux triangle enlacés qui se neutralisent mutuellement,
chacun nous attirant, mais nous retenant par cela même de fixer le second
 
Au 16ème siècle, lorsque dans l'architecture maniériste ce paradoxe sera devenu dominant, on trouvera couramment de tels effets de concurrences entre plusieurs formes semblables qui se neutralisent mutuellement. C'est par exemple ce qu'on a vu dans le cas de la colonnade du Bernin à Saint-Pierre de Rome.
 
schéma de la colonnade du Bernin à Saint-Pierre de Rome : deux creux concurrents nous entraînent vers eux,
mais par l'équivalence de leur attraction, chacun nous retient de nous positionner dans l'autre
 

L'expression analytique s'appuie sur le fait que les quadrilobes sont alignés par quatre en bandes rectilignes, et que sur cet alignement ils se tortillent les uns par rapport aux autres. L'effet qui résulte de cet "alignement bancal" peut se concevoir selon deux points de vue opposés :
    - la lecture des triangles que forment ces bandes est plus aisée si l'on perçoit les quadrilobes accolés l'un derrière l'autre en file régulière et compacte. Par conséquent, la lecture de ces triangles nous entraîne à lire les quadrilobes orientés de façon régulière (c'est-à-dire que l'on s'attend à les trouver orientés de la sorte), et comme l'on doit bien constater que tel n'est pas le cas, on se retient de les percevoir de cette façon pour finalement les percevoir pivotés l'un par rapport à l'autre.
    - on peut aussi adopter le point de vue inverse qui consiste à "monter" de la lecture des quadrilobes élémentaires à la bande qu'ils forment à plus grande échelle. Alors on perçoit d'abord qu'ils pivotent librement sur leur axe et qu'ils sont entraînés à s'orienter dans des sens différents les uns les autres. Mais on perçoit alors qu'ils savent se retenir dans leur agitation, de telle sorte qu'ils s'écartent finalement peu de la direction prise par leurs voisins pour rester capables de former ensemble une bande cohérente et lisible.
 

 
 
expressions analytiques du paradoxe entraîné / retenu :
à gauche : on est conduit à lire les trèfles comme formant des alignements réguliers qui s'agencent en triangle, mais on est retenu de le faire à cause de leurs orientations apparemment très irrégulières
à droite, le même effet "lu en sens inverse" : les quadrilobes sont animés d'un mouvement qui les oriente librement les uns par rapport aux autres, mais ils se retiennent pour que leur agitation ne détruise pas la lisibilité de la bande qu'ils dessinent ensemble
 
 


Le 4ème paradoxe : mouvement d'ensemble / autonomie

Ensemble, neuf quadrilobes associés forment une figure triangulaire. Ce qui n'empêche pas chacun de montrer son autonomie individuelle en se dirigeant dans une direction différente de celle des autres.
Figure d'ensemble et orientations autonomes : chacun des deux termes du paradoxe s'exprime ici à sa manière, il s'agit donc d'une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
ensemble les trèfles dessinent une figure, pourtant chacun va dans une direction différente
 

L'ensemble du vitrail forme une trame de densité uniforme, ménageant régulièrement la même proportion de "plein" et de "vide" sur toute la surface de l'ogive.
Mais cette trame d'ensemble homogène est en fait le résultat du mélange de formes très différentes l'une de l'autre, et chacune des familles de formes qui contribuent à la texture commune montre clairement son autonomie : il y a les grands quadrilobes, les petits trilobes, les grandes pointes triangulaires "avec un manche" et les petits triangles, les demi-cercles qui s'assemblent par deux, et enfin les trilobes ouverts alignés dans le bas de la rosace.
Il s'agit d'une expression synthétique.
 

 
expression synthétique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
ensemble les formes lumineuses dessinent une trame régulière et homogène, mais cette trame est faite avec des formes élémentaires très distinctes les unes des autres
 


 

 accueil 

 
 
Art
 

 haut 

suite :    la nef de la cathédrale d'Exeter
 
auteur