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Sommaire Musique
tableau historique 
tableau des 16 paradoxes
avant :   
l'école de St Martial
suite :   
l'Ars Antiqua

 l'école de Notre-Dame
 
 
 
 
 
 
 
         Après Limoges, c'est Paris qui devint le centre du renouveau musical, et après l'abbaye de Saint-Martial, Notre-Dame de Paris, alors en pleine reconstruction en style gothique.
         Le style de l'École de Notre-Dame que nous allons prendre en compte recouvre la période 1160-1250, ce qui correspond à la période que nous qualifions de "gothique classique" en architecture, par opposition au gothique "rayonnant" qui lui succède à partir de 1230 environ.
         Autant les oeuvres antérieures sont pour l'essentiel l'oeuvre de moines restés anonymes, autant nous pouvons commencer à citer des noms de chantres compositeurs : Maître Albert, Léonin et Pérotin.
         L'exemple que nous donnons est cependant d'auteur inconnu. Il s'agit d'un extrait du Graduel "Viderunt omnes" de la Messe du Jour de Noël datant du XIIème siècle. Comme l'exemple du style de Saint-Martial il est interprété par l'Ensemble Organum sous la direction de Marcel Pérès.
         [édité chez Harmonia Mundi dans le disque "Ecole Notre-Dame, Messe du Jour de Noël". Numéro de catalogue  HMA 1901148    accès à sa présentation sur le site d'Harmonia Mundi]
         [piste 6 du disque 4 du coffret "Les Très Riches Heures", minutage spécialement analysé : de 4,06 à 5,54]
 
         À défaut d'en disposer, vous pouvez écouter l'extrait  ici  ou  là 
 
         ou encore ici :

         Les quatre effets paradoxaux que l'on trouve dans ce style de Notre-Dame sont "intérieur / extérieur", "un / multiple", "regroupement réussi / raté" et "fait / défait" [voir le tableau qui les regroupe].
         La "diagonale de la musique" nous apprend par ailleurs que l'essence de son fonctionnement est résumée par le paradoxe "homogène/ hétérogène" et ce que cela implique pour la façon d'écouter cette musique.

 
 

 
Le paradoxe intérieur / extérieur dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe signifie : répétition de la même chose, ou fixité)

         Comme avec l'école de Saint-Martial nous retrouvons deux voix différentes, mais la mélodie de la "teneur" tient ici des notes allongées à l'extrême, au point que ce n'est plus une voix qui évolue lentement par paliers comme à Saint-Martial, mais une voix qui reste toujours la même, qui reste fixe dans le temps. C'est l'expression de "l'intérieur / extérieur" car ce paradoxe correspond à une situation où une forme fixe s'est trouvée, une forme qui est désormais à elle-même son propre extérieur puisqu'elle s'appuie sur elle-même pour avancer.
         Dans la musique du XXème siècle, et pour exprimer ce même paradoxe, on trouve des effets équivalents. Ainsi par exemple chez Edgar Varèse, dans "Intégrales", plusieurs instruments répètent continuellement la même note. Autre exemple chez Pierre Boulez, dans "Éclats", des notes restent à vibrer longtemps et sans évoluer avant de simplement s'éteindre.
 
 

 
effet synthétique du paradoxe intérieur / extérieur :
la  voix de teneur reste fixement sur la "même" note
 
 
        L'effet analytique de ce paradoxe nécessite d'entendre comment la fixité se recrée de façon cyclique dans le temps. La notion de cycle est ici fournie par le retour périodique de la voix ornementale sur la voix de teneur : elle s'écarte, elle revient, elles s'écarte, elle revient, etc.
 
 
 
effet analytique du paradoxe intérieur / extérieur :
la  voix ornementale revient cycliquement de la même façon sur la voix de teneur
 
 
 

 
Le paradoxe un / multiple dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe signifie aussi un / multiple)
 

         Si la voix de teneur reste fixe, l'autre voix elle, bouge. Elle bouge même énormément et se contorsionne en "organum fleuri" selon l'expression utilisée par les musicologues. Il est remarquable cependant que ces circonvolutions de la hauteur du son, se fassent alors que la voix reste par ailleurs sur une même voyelle ou sur une même syllabe. Cet effet rappelle l'effet "fermé / ouvert" que l'on trouve dans le chant grégorien, mais il a ici une autre utilisation : il ne s'agit plus d'opposer la liberté d'évolution de la hauteur du son au blocage de la parole sur une même voyelle, mais d'opposer la multiplicité des circonvolutions à l'unité conservée de la voyelle émise pendant ces multiples pirouettes du fil musical.
 
 

 
effet synthétique du paradoxe un / multiple :
unité préservée de la voyelle émise, malgré la multiplicité des circonvolutions du fil musical

 
         Ces instabilités de l'organum fleuri interviennent également dans l'effet analytique du paradoxe, mais en considérant cette fois son évolution sur le plus long terme : cette instabilité de "petite échelle" s'inscrit en effet à l'intérieur d'un parcours qui, à plus grande échelle, suit également un mouvement instable. Cette instabilité de grande échelle s'entend par comparaison avec la voix de teneur, dont on a déjà dit à l'occasion de "l'intérieur / extérieur" que la voix ornementale sans arrêt s'en écarte et y retourne de façon cyclique.
 
 

 
effet analytique du paradoxe un / multiple de la division autosimilaire à toutes les échelles :
instabilité à petite échelle de l'organum fleuri, qui fait écho à sa mobilité de plus grande échelle,
quittant et rejoignant périodiquement la voix de teneur
 
 
 

 
Le paradoxe regroupement réussi / raté dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe signifie regroupé / pas regroupé, ou rassemblement en cours)
 

         Malgré leurs évolutions qui restent clairement tranchées, les deux voix disent constamment le même texte, ou plus exactement la même voyelle ou la même syllabe. Ce qui les différencie, c'est l'usage qu'elles font de cette émission : tandis que la voix de teneur "tient" la même note sur une voyelle, la voix organale lui fait faire des circonvolutions variées.
         Toujours les deux voix sont donc parfaitement regroupées sur la même voyelle ou sur la même syllabe, et toujours se regroupement est raté puisqu'elles font par ailleurs des choses très différentes qui les séparent bien dans notre écoute.
 
 

 
effet synthétique du paradoxe regroupement réussi / raté :
les deux voix sont constamment regroupées sur une même voyelle
mais constamment séparées dans notre écoute par ce qu'elles en font :
l'une la laisse fixement sur une même note, tandis que l'autre lui fait faire des pirouettes variées

 
         En même temps qu'elle effectue les micro-évolutions de ses guirlandes, la voix organale monte et descend comme pour ramasser au passage toutes les notes de la gamme. La voix teneur, elle aussi mais à son rythme beaucoup plus lent, remonte et redescend progressivement pour refermer la nasse. À la fin de chaque partie, les deux voix se rejoignent comme pour refermer leur filet l'une sur l'autre. En se rejoignant elles se rassemblent, et rassemblent donc toute la mélodie sur une même note commune pour dire une syllabe commune.
        Ce ramassage de toutes les notes de la gamme pour les coincer entre les deux voix qui se resserrent l'une sur l'autre, dès qu'il est parvenu à se réaliser, aussitôt se défait, et les deux voix reprennent leurs parcours séparés pour à nouveau se regrouper un peu plus loin. Ainsi alternent périodiquement des moments où le regroupement des deux voix montre sa réussite, et des moments plus nombreux où ce regroupement souterrain se cherche avant de s'affirmer à nouveau momentanément.
 
 

 
effet analytique du paradoxe regroupement réussi / raté :
resserrement des deux voix qui se rassemblent sur une même note,
et qui recommencent quand leur regroupement à échoué à se conserver
 
 
 

 
Le paradoxe fait / défait dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe signifie qu'une partie de la musique défait ce que l'autre fait)
 

         Il nous reste à envisager l'effet provoqué par le contraste entre une voix qui reste presque fixe et une autre voix qui virevolte tout le temps. Si l'on dit que cette musique fait de la fixité, alors effectivement une voix fait cela, mais l'autre défait simultanément cette notion pour notre écoute. Et si l'on dit que c'est le libre mouvement que fait cette musique, alors oui une voix fait cela, mais l'autre la défait pareillement. L'une défait donc ce que l'autre fait, et inversement.

 

 
effet synthétique du paradoxe fait / défait :
fixité d'une voix, libre mouvement de l'autre :
une voix défait l'effet que l'autre fait
 

         Cette opposition est d'ailleurs amplifiée par l'aspect en bourdon de la voix fixe qui étale sa note en largeur, alors que la voix qui virevolte est au contraire bien claire et fait des méandres précis et toujours bien détachés. Pendant que l'une fait le vague et le large, l'autre fait donc le précis et l'étroit, effets qui par conséquent se défont réciproquement.
 
 

 
effet synthétique complémentaire du paradoxe fait / défait :
la voix fixe a un caractère de vague bourdon étalé, tandis que la voix au libre mouvement est claire et précise :
une voix défait l'effet que l'autre fait
 
 
         À plusieurs occasions on a évoqué la rencontre périodique des deux voix qui se rejoignent alors sur une même note qu'elles suivent ensemble quelques temps.
         Ce rassemblement intervient également dans l'expression de ce paradoxe, car lorsque les deux voix sont séparées chacune est perceptible en tant qu'individualité, elle est donc "faite", alors que lorsqu'elles s'écrasent l'une sur l'autre, elles se détruisent mutuellement en tant que voix indépendantes. On peut dire cela d'une autre façon : à certains moments leur dialogue est "fait" car les deux voix se confrontent, tandis qu'à d'autres moments la notion même de dialogue est détruite car les deux voix se confondent. Dans certains passages [on trouve cela vers le milieu de l'extrait] la notion de "défait" prend même un sens plus fort, car on a alors l'impression que les deux voix ne se contentent pas de se rejoindre, mais qu'à l'occasion de cette rencontre elles se neutralisent mutuellement, faisant entendre une dissonance momentanée plutôt qu'un accord momentané.
 
 
 
effets analytique du paradoxe fait / défait :
à certains moments les deux voix sont bien faites (c'est-à-dire détachées l'une de l'autre),
et à d'autre moments elles s'écrasent l'une sur l'autre et se neutralisent mutuellement.
Leur dialogue est ainsi tantôt fait, tantôt défait
 
 

         Il est intéressant de remarquer qu'à ces moments où les deux voix se rejoignent, l'ensemble des quatre paradoxes sont simultanément exprimés dans le même effet :
         1- en se neutralisant ainsi, les deux voix se défont donc mutuellement.
         2- mais on a dit aussi que leur rencontre était une façon de refermer ensemble un filet, et de regrouper toute la mélodie sur une même note.
         3- étant deux voix sur une même note, elles sont aussi unes / multiples.
         4- et pour finir, elles se maintiennent quelque temps fixement sur cette même note, et font ainsi la fixité qui est une expression du paradoxe intérieur / extérieur.
         Cette remarque montre que dans le fonctionnement en "classement" de la musique, les paradoxes ne sont pas nécessairement répartis sur des effets différents. Mais à la différence du fonctionnement en "organisation" qui s'observe à partir de la Renaissance, le rassemblement de plusieurs paradoxes sur un même effet n'engendre aucun effet "mixte" produit par leur combinaison. Toujours ici on entend chaque paradoxe isolément, à l'état "pur" peut-on dire, et il faut seulement décider lequel on veut entendre. En n'entend rien qui soit un mélange de plusieurs paradoxes, et qui serait par exemple égal à  "paradoxe 1 + paradoxe 2". C'est toujours 1, ou 2, ou 3 ou 4.
 

Mise à jour d'octobre 2001 :
Ces quelques remarques permettent de compléter cette analyse. Elles sont extraites de la partie du site intitulée "une histoire de l'art" qui traite spécialement de la musique. Mises à part ces quelques remarques que je conseille de consulter, le reste de ce texte est très abstrait et il n'est pas conseillé pour une première approche. 
 

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