Chapitre 6

 

DES JARDINS

AUX VILLES JARDINÉES

 

 

 

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6.1.  Les jardins du 1e super-naturalisme :

 

On vient d'envisager les quatre grands types de jardin des ontologies « super », deux concernant le super-naturalisme et les deux autres le super-animisme. On n'est cependant pas entré dans le détail de l'évolution étape par étape de ces filières, ce qui est l'objet de ce nouveau chapitre, étant précisé qu'on s'y limitera à la filière super-naturaliste.

L'évolution étape par étape que l'on va entamer permettra notamment d'évoquer les effets plastiques qui se modifient à chacune de ces étapes. En les introduisant au chapitre 2.3, on a indiqué qu'ils avaient tous un caractère paradoxal, c'est-à-dire qu'ils revenaient toujours à faire simultanément deux effets contradictoires, dont on expliquera la nature au fur et à mesure et la façon dont ils se traduisent dans la forme des jardins envisagés.

 

Comme on l'a repéré dans le tableau du chapitre 4.1, la phase ontologique du 1e super-naturalisme va depuis la Renaissance du XVe siècle jusqu'à la période dite Rococo de la toute fin du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle ([1]).

Du milieu du XVe siècle, et donc de la 1e étape de cette phase ontologique, au chapitre 5.1 on a déjà évoqué la Villa Médicis de Fiesole et ses terrasses. Mis à part leur caractère géométrique, les parterres et les plantations de cette villa n'avaient pas un style spécialement novateur, et la même chose vaut pour les rares jardins de cette époque dont on connaît le détail.

L'un des deux effets plastiques essentiels à cette 1e étape était « l'un/multiple », lequel pouvait se ressentir, par exemple, au moyen de la division d'un jardin en multiples parcelles ou en multiples enclos carrés, c'est-à-dire en multiples unités carrées faisant ensemble une plus grande forme de jardin. Or, il se trouve que cette division du un en multiple avait déjà été mise au point lors de la période médiévale antérieure pour les besoins de l'organisation du type 1/x de son ontologie analogisme, une disposition qui pouvait donc aisément être recyclée pour produire l'effet « d'un/multiple » recherché par la première Renaissance sans introduire aucune innovation visible. L'autre effet plastique majeur de la Renaissance du XVe siècle était le « relié/détaché ». Il se trouve que des allées reliant de multiples parterres carrés tout en les détachant les uns des autres convenaient également très bien pour produire cet effet.

En résumé, au XVe siècle il n'y a donc pas eu lieu de faire évoluer significativement le dessin des jardins hérités du Moyen Âge dès lors que ceux-ci convenaient parfaitement pour faire aussi bien des effets d'un/multiple que des effets de relié/détaché.

 

 

Nous passons à la 2e étape qui correspond au XVIe siècle. De cette époque, les exemples ne manquent pas dont l'aménagement de détail nous a été laissé par des gravures ou des peintures.

À la fin du chapitre précédent on a évoqué le jardin de la Villa Lante de Bagnaia, mais on peut surtout citer le jardin de la Villa d'Este dont la gravure de Dupérac, datée de 1560-1575 alors que le jardin était encore en cours d'édification, a beaucoup aidé pour en faire un modèle pour l'ensemble de l'Europe. Son plan d'ensemble, par accumulation de parterres carrés ou rectangulaires, n'innove pas par rapport aux jardins médiévaux antérieurs souvent organisés par assemblage de parcelles carrées ainsi qu'on l'a déjà dit. La raison du maintien de ce type d'organisation est que l'effet « d'un/multiple », tout comme au XVe siècle, est l'un des deux effets plastiques majeurs que l'on observe dans l'histoire de l'art du XVIe siècle.

 

Perspective sur les jardins de la Villa d'Este à Tivoli - gravure de 1560-1575 de Étienne Dupérac réalisée pendant leur édification

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/
wiki/File:Dup%C3%A9rac,_%C3%89tienne_
-_Gardens_at_Villa_d%27Este_-_
1560-1575.jpg?uselang=fr


 

Au XVIe siècle toutefois, l'autre effet plastique majeur est désormais celui que l'on désignera comme celui du « centre/à la périphérie ». Dans son principe, cet effet correspond à une déstabilisation de notre perception. Par exemple, on ne sait pas quel est l'appui sur lequel on peut compter pour caler notre perception, c'est-à-dire pour savoir si l'on est au début ou à la fin d'une forme, ou encore si l'on est au centre ou à la périphérie d'une forme.  De chaque côté du premier plan du dessin de Dupérac on voit ainsi quatre labyrinthes, or, dans un labyrinthe on est dérouté, perdu, ce qui est précisément ce qu'il faut entendre par effet déstabilisant. Si les labyrinthes sont spécialement fréquents dans les jardins du XVIe siècle, c'est toutefois une disposition que l'on retrouvera pendant les quatre étapes correspondant à l'ontologie du 1e super-naturaliste car, même si la déstabilisation liée à l'effet de centre/à la périphérie est moins forte dans ses trois autres étapes, il n'en fait pas moins partie des effets secondaires qui y sont en jeu.

 

Dessin d'un jardin de nœuds et d'un jardin en labyrinthe du XVI siècle anglais.

Extrait du livre de 1570 de Thomas Hill, The Gardener's Labyrinth

Source des images : http://www.shakespearesengland.co.uk
/2010/03/29/
elizabethan-gardens-2/


 


 

 

Autre procédé de déstabilisation propre à l'art du jardin, les parterres dits « à nœuds », car l'entremêlement de leurs massifs nous déstabilise lorsqu'on cherche à savoir où l'un commence et où il se termine, ou lorsqu'on cherche à savoir lequel est à l'intérieur de l'autre et lequel est à son extérieur. On en a donné un exemple au chapitre 5.3 où l'on a précisé que ces « knot gardens » étaient spécialement représentatifs de la période élisabéthaine en Angleterre. On en donne un autre exemple anglais de cette époque, tiré d'un ouvrage de Thomas Hill de 1570, « The Gardener's Labyrinth », ouvrage qui nous donne aussi l'occasion (dessin de droite) de donner un autre exemple de labyrinthe végétal.

Tout comme l’Angleterre élisabéthaine, la France s'était fait elle aussi une spécialité du jardin à nœuds dans la seconde moitié du XVIe siècle. Cela explique la référence faite à cette disposition dans l'ouvrage de 1629 de Daniel Loris, « Le Thresor des parterres, compartimens et labyrinthes des Jardinages ». Tiré de cet ouvrage consacré à la comparaison entre l'art du jardin français et l'art du jardin allemand, voici donc, ci-contre, un exemple de « Parterre François ».

Ce type de parterre n'était probablement pas aussi fréquent dans la France du XVIe siècle que dans l'Angleterre élisabéthaine, mais il l'était suffisamment pour que telle soit donc l'idée que l'on pouvait se faire du « jardin françois » avant Le Nôtre.

 

 

Un jardin à nœuds présenté comme représentatif des parterres français dans le livre de 1629 de Daniel Loris, Le Thresor des parterres, compartimens et labyrinthes des Jardinages

Source de l'image : http://camillesourget.com/thresor-parterres-univers-loris-architecture-paysage-livres-anciens/


 

L'effet du centre/à la périphérie peut aussi se manifester par la concurrence entre ses deux termes, c'est-à-dire en faisant sans cesse balancer notre vision entre le centre et la périphérie de la forme, et cela sans que nous ne puissions jamais être assurés d'avoir saisi cette forme puisque nous devons sans cesse balancer entre ces deux lectures. Au milieu du premier plan du dessin de Dupérac, on voit ainsi quatre carrés, chacun coupé par des allées qui se croisent en leur centre, et la tonnelle au centre de ces croisements fait ici concurrence visuelle aux quatre tonnelles plus petites situées sur ces mêmes allées mais à la périphérie des carrés. Il s'agit là d'une disposition courante dans l'architecture de cette époque, celle d'une figure centrale accompagnée de deux ou quatre figures équilibrées sur sa périphérie.

 

Avec Le Nôtre, on est au XVIIe siècle et à l'étape suivante, la 3e étape du 1e super-naturalisme, et c'est alors que l'expression de « jardin à la française » prend sa signification définitive. Au chapitre 5.3 on a donné une photographie montrant deux parterres du Parc de Versailles, celui du Midi et celui de l'Orangerie. Pour mieux en discerner les dessins que l'on va maintenant analyser, on en donne des vues en plan gravées par Jean Chaufourier en 1720.

 



 

À gauche, une partie du plan du parterre de l'Orangerie, à droite, une partie du plan du parterre du Midi, tous deux conçus par Le Nôtre dans les jardins du Château de Versailles  Source des images : Les jardins de Le Nôtre à Versailles - Plans de Jean Chaufourier (ALAIN de GOURCUFF ÉDITEUR - 2000)

 

Dans ces plantations, la division uniforme en petits parterres carrés a maintenant disparu, remplacée par des parterres de plus grande taille que l'on appelle des parterres « de broderie ».

Les premiers parterres de broderie sont attribués à Claude Mollet (1557-1647) qui les a introduits vers 1595 dans les jardins royaux de Saint-Germain-en-Laye et de Fontainebleau. À Versailles, dans le cas du parterre de l'Orangerie les rectangles de leur forme d'ensemble sont très écornés tandis que ceux du parterre du Midi ne sont même plus cernés par une forme géométrique simple. Dans tous les cas, les broderies de buis ont un dessin compliqué et très difficile à suivre des yeux. C'est que l'effet plastique d'un/multiple a disparu à cette nouvelle étape et que les deux effets principaux qu'il nous faut désormais envisager sont « l'entraîné/retenu » et le « regroupement réussi/raté ».

Commençons par le premier et avec le parterre de l'Orangerie. Entraîné, notre regard l'est en effet sans cesse lorsqu'il tente de suivre le dessin de ces parterres qui, du fait de leur aspect linéaire nettement tracé nous invitent sans cesse à suivre telle ou telle volute, puis à passer à une autre volute dont le dessin nous attire tout autant. Cette concurrence visuelle que se font toutes ces volutes est un premier aspect de cet effet : chacune attire notre attention, nous entraîne vers elle, mais les autres nous en retiennent en nous attirant simultanément vers elles puisqu'elles ont des forces d'attraction visuelle comparables. Chacune de ces volutes en spirale produit en outre par elle-même un effet d'entraîné/retenu : notre regard, entraîné à suivre leur dessin linéaire, finit par se faire piéger dans l'extrémité de sa spirale qui le retient dans son enroulement serré dont il ne peut plus sortir. Quant aux bordures droites, à leur façon elles participent aussi à cet effet : notre regard file rapidement sur ces longueurs puisqu'il est entraîné à les suivre librement, mais chaque fois il bute contre le rebroussement d'un coin qui le retient et casse son élan.

Dans le parterre du Midi, on trouve le même effet de concurrence entre les différents dessins intérieurs aux parterres, et le même contraste entre les bordures périmétriques droites ou circulaires que notre regard se laisse entraîner à suivre rapidement quand il se laisse piéger dans le dessin des motifs intérieurs.

À l'occasion de cet effet, on a fait connaissance avec la différence entre expression analytique et expression synthétique, différence que l'on aura souvent l'occasion d'envisager : le contraste entre les tracés que l'on peut suivre des yeux rapidement et les tracés qui piègent notre regard correspond à une expression que l'on dira analytique, puisque l'on peut commodément séparer les unes des autres les formes qui font chacun des deux effets, tandis que la concurrence que se font les formes similaires qui attirent notre regard avec une même force est une expression que l'on dira synthétique, car on ne peut pas y séparer ce qui nous entraîne vers la lecture d'une forme particulière et ce qui nous en retient pour concentrer plutôt notre regard sur une forme concurrente.

 

L'autre effet plastique important produit par le dessin des parterres de broderie de Le Nôtre est le « regroupement réussi/raté ». On peut le lire de deux façons.

Dans les parterres de l'Orangerie, les quatre côtés rectilignes et orthogonaux de chacun des parterres se regroupent pour dessiner des rectangles bien lisibles, mais ils ratent leur regroupement en rectangles du fait que les coins de ces rectangles sont écornés par des renfoncements qui empiètent sur leur surface, soit par des découpes carrées, soit par des découpes arrondies. Dans le parterre du Midi, c'est le regroupement des quatre massifs aux formes vaguement triangulaires dans une forme générale en rectangle qui est réussi. On devine cette forme en rectangle qui est suffisamment suggérée pour cela, mais ce regroupement en rectangle est raté car les deux extrémités se refusent à le fermer par deux côtés droits.

On revient aux parterres de l'Orangerie pour un second procédé permettant de faire du regroupement réussi/raté : toutes les circonvolutions qui dessinent ces parterres sont regroupées dans une même forme, celle d'une spirale, mais ces spirales échouent à former un groupe visuellement repérable de formes identiques du fait de leurs tailles différentes, du fait des directions différentes qu'elles prennent en partant parfois à droite et parfois à gauche, et du fait de leurs façons différentes de se raccorder, tantôt par attache mutuelle à leur pied, tantôt par presque tangence de leurs volutes, ou bien encore par l'intermédiaire de courbes annexes. Même chose si l'on considère le principe général de l'utilisation de formes courbes à l'intérieur de ces parterres : toutes construisent, en effet, un groupe de formes courbes, mais ce regroupement est raté car la façon d'utiliser l'effet de courbe varie d'un endroit à l'autre, tantôt dessinant une spirale, tantôt un rond ou un ovale, à moins que ce ne soit un arc, une ondulation, ou encore une virgule.

Dans le cas du parterre du Midi, c'est le dialogue entre les dessins intérieurs déployés en pétales et celui des bordures qui les cernent qui donne l'occasion d'un regroupement de mêmes formes à la fois réussi et raté. Réussi, car tous les dessins intérieurs sont formés de pétales qui, de façon identique, rayonnent à partir d'un point central. Raté, car leurs dynamiques sont différentes selon le dessin qui les cerne : les unes s'enroulent à partir d'une spirale qui prolonge celle de leur bordure, d'autres se lovent à l'intérieur du rond qui les cerne, et celles qui sont dans l'axe se contentent de s'étaler, plus ou moins allongées selon l'espace disponible entre les bordures qui les entourent.

 

 

Détail du parterre du Midi dans les jardins du Château de Versailles, selon un dessin de Le Nôtre

Source de l'image de drtoite : http://andrelenotre.com/category/vues-aeriennes/parterres-jardins/page/2/ auteur : Thomas Sagory / du-ciel


 

 

Occupant la fin du XVIIe et la première moitié du XVIIIe siècle, la période usuellement dite rococo correspond à la 4e et dernière étape du 1e super-naturaliste.

Les dessins de Patty Langlay, déjà évoqués, illustrent un aspect de la version anglaise de cette étape et permettent d'introduire les deux nouveaux effets plastiques propres à cette nouvelle étape.

L'effet de « regroupement réussi/raté » est maintenant remplacé par celui de « fait/défait ». Si l'on considère la régularité du dessin des allées, on peut effectivement dire qu'elle est complètement défaite tellement leurs entortillements serpentent en tous sens et de façons tellement différentes d'un endroit à l'autre que l'on ne peut y déceler aucune régularité. Mais l'on peut aussi bien dire que la régularité de ces tracés est bien faite si l'on considère cette fois la densité toujours égale des cheminements par rapport à la surface des plantations, et si l'on considère aussi l'écartement constant qui les sépare. L'effet de « fait » peut aussi se lire dans l'aspect linéaire de largeur toujours constante des allées, régularité qui serait inconcevable pour un paysage végétal laissé à lui-même, ce qui implique que, manifestement, ces tracés ont été délibérément « faits » dans un matériau végétal qui ne manquerait pas de les « défaire » s'ils n'étaient régulièrement entretenus.

 

 

Deux exemples de jardins dessinés par Batty Langley dans son ouvrage de 1728 :

New Principles of Gardening

Sources des images :

http://www.sacred-texts.com/etc/ml/ml18.htm et

http://darkwing.uoregon.edu/~helphand/englishpgsone/englishpg3.html



 

 

Quant à l'effet « d'entraîné/retenu », il est remplacé par celui que l'on appellera « d'effet d'ensemble/autonomie » : à l'intérieur de chaque parterre, toutes les allées font le même effet de courbe serpentant à l'intérieur du matériau végétal, ce qui est leur « effet d'ensemble », mais chacune le fait à sa manière très personnelle, et donc très « autonome », tantôt par le moyen d'une courbe longuement régulière, tantôt par le moyen de courtes courbes alternées concaves puis convexes, tantôt par le moyen de courbes emboîtées l'une dans l'autre, etc.

 

En France, le succès des formules de Le Nôtre et la contrainte de l'académisme n'ont pas permis qu'émerge fortement un style de jardin que l'on pourrait clairement associer à l'étape dite « rococo », les aspects les plus débridés de ce style ayant dû s'y limiter aux décors intérieurs des bâtiments.

Il n'en est pas allé de même dans les pays voisins, notamment à l'Est et au Nord de la France, et l'exemple d'un « jardin à la française » en style rococo sera donc pris au Château de Rundale, en Lettoni, construit de 1736 à 1768 sous la direction de l'architecte italien Bartolomeo Rastrelli (1700–1771), lequel en dessina également les jardins.

 


Reconstitution informatique du jardin de l'entrée du Château de Rundale, en Lettoni, conçu par Rastrelli

Source de l'image : https://ocean.lv/portfolio_page/rundale-palace-garden-3d-model/

 

 

On en donne une reconstitution informatique qui a l'avantage de bien différencier les motifs par des couleurs contrastées, mais on peut en consulter une vue réelle qui reconstitue plus fidèlement les couleurs, celles-ci correspondant à des surfaces tantôt recouvertes de briques pilées, tantôt de broyas de marbre blanc, tantôt à de simples pelouses, tous ces matériaux étant contenus à l'intérieur de dessins délimités par des bordures en bois.

Une filiation évidente se repère entre les parterres de broderies de Le Nôtre et ce type de parterres, mais ces derniers combinent bien davantage de formes aux couleurs et aux textures différentes qu'il n'y en avait dans les parterres de Le Nôtre. Surtout, alors que dans les parterres de Le Nôtre les différents motifs correspondaient à des usages distincts, contours externes pour les uns, formes internes aux parterres pour les autres, ici les motifs « autonomes les uns des autres » (du fait de leurs couleurs, de leurs textures et de leurs styles graphiques) s’emboîtent les uns dans les autres et s'associent pour générer la forme globale et unique correspondant à chacun des quatre secteurs du jardin, une forme globale qu'on lit comme étant leur « effet d'ensemble ». Aux formes dessinées au sol il faut ajouter les formes verticales ou en boule des arbustes : elles participent aussi à l'effet d'ensemble produit tout en y participant d'une façon très autonome de celle des surfaces de parterres. Concernant ces arbustes, j'ignore toutefois si la reconstitution informatique est strictement fidèle au dessin initialement conçu par Rastrelli.

Quant à l'effet de « fait/défait », il peut d'abord se lire dans le contraste entre le cœur de la forme de chaque parterre fait d'un simple ovale dont toute complexité est absente et sa périphérie qui combine des motifs très complexes qui s'interpénètrent. La complexité du dessin est donc ici, soit faite, soit défaite. À la périphérie du parterre il se lit dans la façon dont les motifs s'interpénètrent, se croisent mutuellement, et se « rayent » donc mutuellement, ce qui implique qu'ils se « défont » mutuellement sans que cela nous empêche de lire comment est « bien faite » chacune des formes qui s'imbriquent ainsi. On peut aussi impliquer dans cet effet le choix du revêtement utilisé dans les divers compartiments : des briques et du marbre écrasés, des matériaux visiblement brisés et donc « défaits », tandis que les surfaces en pelouses sont des surfaces « en herbe bien faite ».

 

 


William Kent, projet pour une cascade dans le parc de Chatsworth, vers 1735-40

Source de l'image :

http://www.artzip.org/wp-

content/uploads/2014/06/Design_for_a_

cascade_at_Chatsworth_ca._173540._

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Après avoir suivi le jardin à la française dans son évolution jusqu'au début du XIXe siècle, on peut suivre celle du jardin à l'anglaise, mais seulement à partir du début du XVIIIe siècle car cette formule n'était pas suffisamment usitée auparavant pour que l'on puisse bien la connaître.

Selon l'acception courante, c'est William Kent (1685-1748) qui est considéré comme l'inventeur du jardin dit à l'anglaise. Plus que les jardins qu'il a réalisés et qui ont pu être modifiés par la suite, ce sont ses dessins qui rendent compte de sa conception. Ainsi, ce dessin du projet de cascade qu'il a proposé pour le parc de Chatsworth, vers 1735-1740, dessin dans lequel la colline tapissée d'arbres est ponctuée d'arcades en appareillage rustique canalisant la cascade, et aussi ponctuée de temples, dont l'un est rond à l'image du temple de Vesta à Tivoli tandis que les deux autres sont coiffés d'une pyramide.

William Kent était le contemporain de Batty Langley (1696-1751) et relève de la même étape. On ne peut le rattacher, comme Langley, au style rococo, mais les effets visuels qu'il met en scène sont les mêmes, seulement articulés d'une façon différente.

On a dit qu'ils étaient principalement le « fait/défait » et « l'effet d'ensemble/autonomie ». L'énoncé de ces deux effets suffit pour comprendre que le style du jardin anglais devait nécessairement résulter d'une telle combinaison : le matériau végétal naturel, à cause de sa spontanéité et de son irrégularité, fait un effet de libre foisonnement exubérant lequel est défait par le vide uniforme des grandes surfaces continues en pelouse, et à l'inverse l'ordonnancement savant, géométriquement régulier et chargé de mémoire des bâtiments faits par l'esprit humain est défait par cette exubérance végétale désordonnée. Simultanément, ces deux aspects très autonomes l'un de l'autre, celui du matériau végétal naturel et celui des constructions produites par l'esprit humain, génèrent ensemble un effet commun, celui qui correspond précisément à leur conflit, à leur contraste, à leur confrontation. On rappelle que, au chapitre 5.2, on a donné quelques photographies du jardin de Stourhead et de Stowe qui relèvent de cette étape et de ce style.

 

 

 

6.2.  Les jardins du 2d super-naturalisme :

 

À l'étape suivante nous passons dans une nouvelle phase ontologique. Cette étape correspond à la période qui commence vers le milieu du XVIIe siècle et qui épouse aussi bien la période révolutionnaire que la période napoléonienne ([2]). Nous attendrons la fin de cette étape pour envisager les conclusions qui peuvent être tirées du passage du 1e au 2d super-naturalisme.

 


 

Ange-Jacques Gabriel (1698-1782) : plan du « Pavillon Frais » du Trianon et du « Nouveau Jardin du Roi » (projet de 1751)

Source de l'image : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Projet_de_Gabriel_pour_le_Nouveau_Jardin_du_Roi.jpg

 

À droite : état actuel d'une partie du jardin du Pavillon Frais du Trianon. Il y manque le système de pergolas périphérique dont un aperçu est donné dans la reconstitution informatique ci-dessous

Source de l'image : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Petit_Trianon_-_Jardin_du_Pavillon_frais.jpg

 

 

 

 

 

 


 


Reconstitution informatique du jardin du Pavillon Frais du Trianon avec son système de pergolas

Source de l'image : https://genotpaysage.jimdofree.com/

 

 

Ange-Jacques Gabriel (1698-1782) est l'un des premiers architectes qui relèvent de cette étape. C'est le jardin qu'il a conçu en 1751 pour son « Pavillon Frais » de Trianon que l'on considérera. Avec lui, nous revenons donc dans les jardins du Château de Versailles, mais c'est pour voir comment, tout en restant dans le principe d'un jardin à la française du XVIIe siècle, Gabriel se démarque de Le Nôtre. On peut signaler que l'on aurait tout aussi bien pu prendre comme exemple le jardin réalisé en 1734 devant la façade du Château de Chambord et qui a été rétabli dans son état initial en 2017, le principe de sa disposition étant très comparable à celui du Pavillon Frais.

À cette 1e étape, les deux effets plastiques principaux sont maintenant « l'ouvert/fermé » et le « relié/détaché ». On se souvient que ce dernier effet avait déjà été envisagé pour la Renaissance du XVe siècle. Certains effets plastiques reviennent en effet de façon cyclique.

Le système d'arcades en treilles qui cerne le Pavillon Frais forme, dans son ensemble, un lieu qui est très certainement « ouvert/fermé » puisque ceint d'une frontière poreuse, et sa structure est également reliée/détachée puisqu'elle est générée par des arcades reliées entre elles par le haut et clairement détachées les unes des autres au niveau de leurs massifs verticaux. Nous nous concentrerons toutefois sur le jardin lui-même, lequel est fait de deux parterres symétriques dont il suffit d'en examiner un. Le bassin ovale qui marque l'une de ses extrémités a son contour extérieur qui est de forme très clairement fermée, mais cette forme dessine un trou creusé dans le sol et c'est tout le ciel qui se reflète à la surface de son miroir : un effet d'ouverture vers le ciel qui est donc procuré par un bassin de forme fermée. Autour de lui, la plate-bande a une forme qui se boucle, comme le bassin, en ovale fermé, mais le périmètre de cet ovale est interrompu par deux fois dans l'axe du parterre : cette plate-bande est une forme à la fois fermée et ouverte. La même chose vaut pour le grand rectangle du reste de la plate-bande : son contour est simultanément fermé et interrompu, donc percé, ouvert, en son extrémité et sur chacun de ses côtés. Quant au parterre central, son contour ondulant fait alterner des courbes concaves et convexes, c'est-à-dire des formes qui ouvrent leur courbure vers l'extérieur ou qui se referment en bosse.

L'effet de relié/détaché résulte directement de la disposition ouverte/fermée du contour des plates-bandes puisque celui-ci est interrompu pour cela par des trouées : tous les tronçons qui forment ces contours sont reliés entre eux sur le dessin d'une même forme d'ensemble clairement lisible, ovale ou rectangulaire, mais ces tronçons sont détachés les uns des autres à l'endroit des trouées qui les séparent. Quant aux ovales du bassin et de la plate-bande qui l'entoure, ils sont reliés ensemble sur les mêmes centres géométriques qu'ils partagent, ils se suivent à distance constante tout le long du parcours commun qu'ils partagent et qui les relie donc, mais ils sont écartés l'un de l'autre et sont par conséquent détachés l'un de l'autre.

 

 

 


Le parc de Malmaison, vu depuis le château - Peinture d'Auguste GARNEREY

Source de l'image : http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=REPR&VALUE_98=Rueil-Malmaison&DOM=All&REL_SPECIFIC=3

 

 

Après cet exemple de jardin à la Française, on envisage maintenant ce que devient, à cette 1e étape, le jardin à l'anglaise, maintenant utilisé aussi bien en France.

La promotion des effets d'ouvert/fermé et de relié/détaché n'y implique pas de modification fondamentale puisqu'il suffit d'ouvrir de grandes étendues dégagées et de regrouper les arbres en bosquets continus pour que l'idée d'ouverture s'établisse en contraste avec celle de fermeture à la vue, et simultanément les grandes étendues herbeuses deviennent des surfaces qui relient l'ensemble du paysage tandis que sur ces surfaces se détachent les silhouettes des grands arbres, des bosquets, ou des bouquets d'arbustes.

C'est à ce type de paysage que correspond, par exemple, le parc de Malmaison aménagé pour l'impératrice Joséphine au début du XIXe siècle. D'autres vues de ce parc montreraient sa ponctuation, comme dans les parcs anglais de l'étape précédente, par des bâtiments signant l'intervention de l'esprit humain en confrontation au matériau végétal naturel, mais la seule vision de grandes étendues de pelouses soigneusement entretenues et débarrassées de toutes broussailles ou de toute pousse spontanée suffit pour signer l'intervention humaine dans un tel paysage.

 

 

 

 

Avant de passer à la 2e étape du 2d super-naturalisme, un regard en arrière pour évaluer l'incidence du changement d'ontologie.

En présentant sommairement l'évolution ontologique au chapitre 4.1, on a dit que le 1e super-naturalisme se caractérisait par le fait que les notions de matière et d'esprit étaient désormais en relation directe l'une avec l'autre, et que le but de cette nouvelle phase était d'accuser au maximum leur contraste afin de les différencier au mieux. Comme l'expression paysagère est moins performante que celle des arts plastiques et de l'architecture pour traduire avec précision tous les détails de l'ontologie qui la porte, son analyse ne peut prétendre être davantage qu'une introduction intuitive à l'histoire des ontologies. Toutefois, même de façon imprécise, l'évolution des jardins montre que c'est bien une telle évolution qui se produit.

Lors des deux premières étapes, comme on l'a indiqué, rien de véritablement nouveau n'est apparu par rapport aux jardins de l'époque médiévale. À la 3e étape par contre, le jardin à la française qui artificialise complètement l'apparence des végétaux correspond à une confrontation qui devient brutale entre la notion de matière végétale naturelle et la notion d'esprit, celle-ci imposant en effet sa volonté de donner une forme géométrique aux végétaux, une forme géométrique très simple pour ce qui concerne les arbres et les arbustes, très complexe pour ce qui concerne les parterres. Ce type de conflit direct entre les deux notions implique qu'elles sont en relation et font quelque chose ensemble, ce qui correspond à l'acquis de la phase analogisme, mais aussi qu'elles se frottent l'une à l'autre, qu'elles s'éprouvent par leurs contrastes, qu'elles aiguisent leurs différences en les faisant s'opposer, ce qui relève cette fois de la logique propre à la nouvelle phase ontologique qui consiste à faire ressortir leurs différences.

L'étape suivante, la 4e, ne voit pas de différence significative avec la précédente, hormis ce qui concerne les effets plastiques. À cette étape-là, l'invention du jardin à l'anglaise est un peu le pendant de celle du jardin à la française de l'étape précédente.

 

La 1e étape du 2d super-naturalisme ne voit pas d'accentuation visible entre l'aspect naturel du jardin et son aspect modelé par l'esprit. On n'a pas vu de différence fondamentale dans le style des jardins à l'anglaise et, pour ce qui concerne les jardins à la française, le jardin du Pavillon Frais du Trianon montre plutôt un recul de la violence des effets par rapport, par exemple, au jardin du Château de Rundale ou aux jardins rococo dessinés par Batty Langley. C'est que l'enjeu de la phase ontologique a changé. Dans celle du 1e super-naturalisme il fallait accuser la différence entre les notions de matière et d'esprit, dans celle du 2d super-naturalisme cette différence étant acquise, il convient maintenant de donner le maximum d'autonomie à chacune des deux notions, et cela malgré leur rassemblement en couple qui a été acquis, lui, depuis la fin de la phase analogisme.

À la 1e étape du 2d super-naturalisme, il n'est donc pas question de donner plus de violence au contraste entre l'aspect naturel de la végétation et l'artificialité de son aménagement par l'esprit, il s'agit maintenant de commencer une nouvelle quête. Pour cette raison les aménagements de cette première étape peuvent sembler sages, peu virulents, car il s'agit de recommencer comme à zéro la mise en scène de la relation entre les notions de matière et d'esprit. Cette quête d'une nouvelle relation n'apparaît pas encore clairement à la 1e étape car elle n'est encore à l'oeuvre qu'à bas bruit, mais elle deviendra flagrante dès la 2e étape.

L'évolution, étape par étape de la maturité ontologique deviendra d'ailleurs tellement lisible à partir de cette 2e étape que l'on se passera désormais de l'évolution des effets plastiques pour distinguer les différentes étapes, et pour les différencier on n'utilisera plus que la notion de crans successifs dans la maturité ontologique.

 

 

 

Pour la 2e étape du 2d super-naturalisme, on commence par son adaptation du principe du jardin à l'anglaise.

Il est significatif que l'évolution du jardin à l'anglaise se soit produite à l'occasion de son passage du parc privé au jardin public. Il ne s'agit pas d'une question de taille, car les parcs des châteaux étaient souvent bien plus grands que la plupart des jardins publics édifiés dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais parce que le paysage végétal s'est alors mis à affronter directement le paysage urbain. Parmi les jardins que l'on va envisager on peut penser au Central Park de New-York, construit de 1860 à 1873, mais aussi à la plupart des jardins publics de France qui datent de la même époque. Si, au moment de son aménagement, Central Park n'était pas encore directement cerné de gratte-ciel, bien des jardins publics français de l'époque Haussmannienne étaient d'emblée conçus avec un entourage direct d'immeubles hauts, des immeubles dont la commercialisation servait d'ailleurs au financement du jardin qu'ils ceinturaient.

 

 


Le parc des Buttes-Chaumont,selon un dessin de 1853-1870

 

 

Une allée dans le parc des Buttes-Chaumont

Sources des images : http://commons.wikimedia.org/

wiki/File:Vue_du_parc

_des_Buttes_Chaumont

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et

http://commons.wikimedia.org/

wiki/File:Parc_des_Buttes

-Chaumont,_all

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Dessin du parc de Montsouris à Paris, extrait de « Les Promenades de Paris - étude sur l'art des jardins et arboretum » de A. Alphand 

Source de l'image : http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/13410-les-promenades-de-paris-planches/

 

 

 

Le plus grand des parcs français datant du Second Empire est celui des Buttes Chaumont, inauguré en 1867 et aménagé par l'ingénieur Jean-Charles-Adolphe Alphand comme la plupart des jardins publics parisiens de cette époque.

Fondamentalement, le type de paysage que l'on trouve dans ce type de parc ne diffère pas du paysage procuré, par exemple, par celui de Malmaison évoqué à l'étape précédente : de grands espaces de pelouse rase alternent avec des bouquets d'arbres plus ou moins grands aux essences variées. Toutefois, un changement significatif concerne l'importance des allées. Il y en avait déjà, bien sûr, dans les jardins anglais précédents, mais ils ont ici une largeur bien plus grande et le matériau de leur sol est très souvent en dur, voire accompagné d'une balustrade et d'appareils d'éclairage, comme il en va dans la photographie que l'on donne d'une de ces allées.

Dans les plus grands parcs de cette époque, que ce soit en France, en Angleterre ou aux États-Unis, des voiries distinctes de celles des piétons sont même aménagées pour le passage des véhicules. Il en va ainsi dans le Sefton Park de Liverpool conçu en 1867 par le paysagiste français Édouard André (1840-1911) après qu'il eut participé aux plantations du parc des Buttes-Chaumont.  On donne une vue de la Mossley Hill Drive qui entoure et traverse ce parc et qui est spécialement adaptée pour les voitures. Dans le cas du parc des Buttes-Chaumont, une voie ferrée traverse même le jardin, comme on le voit en bas à gauche du dessin que l'on en a donné, et une voie de chemin de fer traverse également le parc de Montsouris aménagé au sud de Paris à la même époque (1860-1878).

 


Une vue par Google View de la Mossley Hill Drive qui entoure et traverse le Sefton Park de Liverpool conçu en 1867 par Édouard André

 

De façon générale, on peut définir le principe des jardins de cette époque-là comme l'organisation en boucles hiérarchisées de trajets de promenade à travers des paysages de pelouses ou de grandes plantations d'arbres, et ce n'est pas pour rien que le recueil d'aménagements paysagers d'Alphand s'intitule « Les promenades de Paris » : autant les jardins de l'étape précédente étaient encore des ensembles de tableaux paysagés que l'on contemplait les uns après les autres, au fil de découvertes successives, autant les jardins de cette nouvelle étape sont d'abord des parcours organisés à travers un paysage végétal. Désormais, l'esprit du promeneur qui parcourt ces nouveaux jardins n'est plus face à des tableaux naturels, il traverse le matériau naturel, il le fend. En somme, l'esprit n'est plus seulement en face du matériau végétal et en train d'éprouver sa différence, il s'exerce maintenant à éprouver son indépendance par rapport à lui, puisque quand bien même est-il plongé à l'intérieur du matériau végétal il s'exerce à éprouver son autonomie en circulant à travers lui et sur des chemins qui lui sont propres.

Il me semble que le basculement entre ces deux moments du jardin est bien résumé par la comparaison de la vue du parc de Malmaison, avec ses spectateurs et ses spectatrices qui viennent de s'arrêter pour le contempler, et la vue que l'on donne du parc des Buttes-Chaumont, cette fois traversé par des promeneurs empruntant un chemin bétonné et que l'on imagine en train de réaliser un grand tour du parc.

 

Avec ces traversées du végétal on a envisagé le versant « jardin à l'anglaise » du second Empire. Son versant « jardin à la française » a correspondu à l'aménagement végétal des rues et des places. Par cet aménagement, le végétal quitte les jardins pour venir occuper les rues et les trottoirs urbains de ses figures géométriques. Plus fortement encore que l'aménagement de larges voies publiques traversant les jardins, les plantations végétales à même les voiries publiques « usuelles » permettent à l'esprit du passant de ressentir son autonomie par rapport au matériau végétal, car il perçoit bien que c'est un esprit humain qui a créé ces voiries, et cela pour ses besoins, et il les parcourt donc en s'y sentant nécessairement « chez lui ». Sur les places et les trottoirs les végétaux sont mis en place avec précision aux endroits voulus, exactement comme le sont les bancs, les kiosques, les lampadaires et les divers réseaux d'eau, d'égout, de gaz, et d'électricité qui passent en dessous.

 


Dessin en coupe de l'avenue de la Reine Hortense, extrait de « Les Promenades de Paris - étude sur l'art des jardins et arboretum » de A. Alphand 

Source de l'image : http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/13410-les-promenades-de-paris-planches/

 


 

Exemples de dessins de places parisiennes, extraits de « Les Promenades de Paris - étude sur l'art des jardins et arboretum » de A. Alphand 

Source des images : http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/13410-les-promenades-de-paris-planches/


 


L'extrémité de l'avenue de l'Observatoire à Paris et la fontaine des Quatre-Parties-du-Monde dont la sculpture supérieure est due à Jean-Baptiste Carpeaux. Le jardin dit des grands explorateurs Marco Polo et Cavelier-de-la-Salle qui occupe la bande centrale de l'avenue a été créé en 1867

Source de l'image : http://commons.wikimedia.org
/wiki/File:P1010446_Paris_VI_Jardin_
des_grands_explorateurs_reductwk.JPG

 

 

Tout comme dans les jardins de Versailles, on doit considérer ces végétaux installés sur la voirie publique sous deux aspects contradictoires : ce sont de véritables végétaux qui mènent leur vie propre de végétaux, poussant et changeant d'aspect selon les saisons, mais ce sont aussi des végétaux qui s'organisent selon des alignements ou des figures géométriques qui ne sont manifestement pas le résultat d'une dissémination naturelle mais apparaissent clairement comme celui de la volonté d'un esprit humain. Généralement, les végétaux n'ont plus une forme artificiellement imposée, comme c'était par exemple le cas des taupières, mais ils sont régularisés par des coupes annuelles. Principalement, ce sont leurs alignements droits ou en cercles, épousant le tracé de la voirie ou dialoguant avec elle, qui porte désormais la dimension d'artificialité.

Le square des Invalides, dont le dessin est donné ci-dessous, offre la particularité de faire se confronter par moitiés le style « jardin anglais » et le style « jardin français ». Le jardin anglais, en haut à gauche, fait largement pénétrer les circuits de promenade à l'intérieur d'un massif végétal qui semble planté naturellement et épousant des courbes qui semblent naturelles, tandis que le jardin français, en bas à droite, fait abondamment pénétrer les alignements d'arbres sur la voirie publique soumise à la stricte exigence des besoins de la circulation.

 

 


Dessin du square des Invalides, extrait de « Les Promenades de Paris - étude sur l'art des jardins et arboretum » de A. Alphand 

Source de l'image : http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/13410-les-promenades-de-paris-planches/

 

 

> Suite du chapitre 6


[1]Sur le site Quatuor, la phase ontologique du 1e super-naturaliste correspond aux étapes D0-11 à D0-14 et l'on pourra trouver une liste des principaux artistes et architectes correspondant à chacune de ces étapes à l'adresse : http://www.quatuor.org/art_histoire_d00_0100.htm

[2]Sur le site Quatuor, la phase ontologique du 2d super-naturaliste correspond aux étapes D0-21 à D0-24. On pourra trouver une liste des principaux artistes et architectes correspondant à chacune de ces étapes à l'adresse : http://www.quatuor.org/art_histoire_d00_0100.htm