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12.1.3.  L'évolution de la 3e filière de la phase d’émergence de l'ontologie Produit Fabriqué/intention, filière dans laquelle PF est du type 1/x et i du type 1+1 :

 

Pour ce qui concerne la première étape de la 3e filière, au chapitre 12.1.0 on a déjà donné l'exemple de la peau d'élan percée de deux trous de Brian Jungen et les friandises embrochées sur des lames de cutter de Kader Attia.

 

 


Vincent Kohler : Chapeau (2015)

Source de l'image : https://www.vincentkohler.ch/chapeau/

 

 

Comme exemple d'expression analytique de la première étape de la 3e filière, une œuvre dont, pas plus que la peau d'élan percée de Brian Jungen, on ne comprend l'utilité : le chapeau de Vincent Kohler datant de 2015.

Sa fabrication a consisté à le couper horizontalement et à y entasser divers objets en verre. Ce produit fabriqué à l'aide de multiples produits fabriqués est donc du type 1/x.

Aucune intention globale pour correspondre à un objet aussi inutile, mais plusieurs intentions qui ne font rien ensemble et s'ajoutent en 1+1 : l'intention de découper un chapeau, puis l'intention d'entasser divers objets en verre dans la béance ainsi créée.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément chacune de ces intentions.

Avec la 3e filière on retrouve les effets plastiques de la 1re et, pour la première étape, le centre/à la périphérie comme effet prépondérant. À ce titre, on peut évoquer notre déstabilisation devant un objet aussi absurde, mais aussi observer que, dans cet entassement d'objets en verre pressés les uns contre les autres, chacun est au centre d'un emplacement qui est entouré sur toute sa périphérie d'objets similaires, et que la situation de ces objets en verre entassés au centre du chapeau établit un dialogue visuel privilégié entre le centre du chapeau et sa périphérie.

Le regroupement physique des objets en verre et du chapeau est réussi, mais l'absurdité de ce regroupement le fait rater pour notre esprit qui le trouve illogique : regroupement réussi/raté. Puisque le chapeau est là et entier, il est fait, mais il est aussi défait puisqu'il est coupé en deux et que son encombrement par des objets en verre le rend inutilisable : fait/défait. Enfin, les deux parties du chapeau sont détachées tout en restant localement reliées : relié/détaché.

 

 

 


Brian Jungen : Fore Revolver Reverse, 2011

Source de l'image : http://alexastrautmanis.blogspot.com/2011/09/tight-as-drum-brian-jungen-at-casey.html

 

 

Comme exemple d'expression synthétique de la première étape de la 3e filière, une autre œuvre de Brian Jungen utilisant un morceau de peau d'élan. Elle date de 2011, est intitulée « Fore Revolver Reverse », et elle consiste en un fauteuil à bascule moderne enveloppé d'une peau d'élan reliée aux pieds basculants par des ficelles goudronnées. Inutile de dire que ce fauteuil où l'on ne peut s'assoir est inutilisable, tout comme les barres chocolatées de Kader Attia ne pouvaient pas être mangées à cause des lames qu'elles contenaient.

On a ici une œuvre fabriquée par Brian Jungen qui contient en elle plusieurs produits fabriqués : un fauteuil à bascule, un morceau de peau d'élan, de la ficelle enduite de goudron. Elle relève donc du type 1/x en tant que produit fabriqué.

Il n'y a aucune intention globale envisageable pour correspondre à la fabrication d'un tel objet inutile, seulement des intentions partielles qui s'ajoutent les unes aux autres en 1+1, sans rien faire ensemble mais plutôt en se neutralisant mutuellement : l'intention d'utiliser un fauteuil à bascule, l'intention de le recouvrir d'une peau d'élan qui empêche que l'on puisse s'asseoir dans ce fauteuil, l'intention d'arrimer fixement cette peau au fauteuil à l'aide d'une ficelle goudronnée. Avec une fabrication du type 1/x et des intentions du type 1+1, on est dans la 3e filière.

Il s'agit d'une expression synthétique puisque l'on ne peut pas constater que les diverses parties de cette œuvre sont mises en œuvre d'une façon qui les rend contradictoires sans les prendre en compte simultanément.

L'effet prépondérant du centre/à la périphérie correspond à notre déstabilisation face à une œuvre qui ne sert à rien et dont on ne comprend donc pas la raison d'être, et aussi au dialogue visuel privilégié qui s'instaure entre le fauteuil au centre et la peau et ses tendeurs goudronnés qui se répartissent sur toute sa périphérie. Le regroupement des diverses fabrications incorporées à l'œuvre est réussi puisqu'elle est parfaitement compacte, mais il est raté puisqu'il en résulte un objet inutilisable : regroupement réussi/raté. Il va de soi que si le fauteuil est bien fait, son usage est défait par la présence de la peau d'élan : fait/défait. Enfin, de la peau et des pieds à bascule on peut dire qu'ils sont franchement détachés mais qu'ils sont reliés par la trame de la ficelle goudronnée : relié/détaché.

 

 

 


Helen Marten : Becoming Branch (2014)

Source de l'image : https://www.artbasel.com/catalog/artwork/27058/Helen-Marten-Becoming-Branch

 

 

Comme expression analytique de la deuxième étape de la 3e filière, l'œuvre « Becoming Branch » de 2014 de l'artiste britannique Helen Marten (née en 1985).

De façon générale, on peut dire de toutes les installations de la 3e filière qu'on ne comprend pas leur utilité, à quoi rime leur mise ensemble de divers objets fabriqués. C'est exactement ce que l'on peut dire de cette œuvre d'Helen Marten qui forme une totalité fabriquée par la mise ensemble de multiples objets (type 1/x pour les produits fabriqués) qui ne laisse percevoir aucune intention globale : à quoi peut donc bien servir cet assemblage hétéroclite de supports, de contenants et d'objets ? Si aucune intention globale n'y est perceptible, elle a nécessairement impliqué de multiples intentions correspondant chacune à l'intention d'intégrer un objet en particulier, et ces intentions se sont ajoutées en 1+1 puisqu'elles ne font rien ensemble.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément chacun des divers objets impliqués.

L'effet prépondérant est le même que pour la deuxième étape de la 1re filière, l'entraîné/retenu : puisqu'ils sont ostensiblement agencés ensemble, on se laisse entraîner à penser que cet assemblage particulier d'objets a une raison particulière, un but particulier, mais on n'en est retenu lorsque l'on s'aperçoit que, tout compte fait, ils ne font ensemble rien de compréhensible. L'effet d'ensemble/autonomie est lié au fait que cette installation est le résultat d'ensemble d'éléments qui n'ont visiblement rien à faire les uns avec les autres et qui apparaissent donc autonomes les uns des autres. Le même principe vaut pour l'effet de ça se suit/sans se suivre : les divers objets rassemblés se suivent bien physiquement, mais il n'y a aucune suite fonctionnelle qui passe de l'un à l'autre. Quant à l'effet d'ouvert/fermé, il correspond au fait que ces objets forment un groupe fermé que notre constatation qu'ils n'ont rien à faire ensemble fait éclater en multiples objets séparés, ouvrant ainsi leur regroupement. On peut aussi considérer que cette œuvre est « aérée », c'est-à-dire visuellement traversable, bien qu'elle constitue un ensemble fermé d'objets solidaires entre eux.

 

 

 


Lesley Vance

Source de l'image : https://www.booooooom.com/2010/12/23/artist-painter-lesley-vance/

 

 

Pour ne pas laisser croire que cette filière est exclusivement réservée aux installations, deux peintures qui relèvent également de la 3e filière dans une expression analytique. D'abord, une œuvre de la peintre états-unienne Lesley Vance (née en 1977).

Au premier coup d'œil on saisit que cette peinture comporte de multiples parties peintes de façons différentes s'assemblant dans un effet global équilibré et cohérent. On est donc là dans le type 1/x pour ce qui concerne ce qui a été fabriqué.

Si d'une peinture abstraite on ne doit pas attendre qu'elle représente quelque chose de compréhensible qui correspondrait à une intention globale repérable, ici on peut spécialement repérer comment chacune des portions du tableau correspond à une intention plastique indépendante de celle qui a présidé aux formes voisines. Ainsi, si l'on considère le grand coup de brosse blanchâtre arrondi et plutôt vertical qui se trouve en haut à gauche, on voit que la forme à sa droite manifeste une intention différente quant à la couleur, plus jaune, puis que les formes encore plus à droite manifestent une intention différente quant à leur orientation, maintenant horizontale ou oblique, et quant à leur couleur, maintenant jaune vif ou vert émeraude. Si maintenant on descend au lieu de continuer vers la droite, là encore des intentions plastiques différentes : la surface devient plus uniforme, plus foncée, d'un coloris rouille ou brun presque noir, s'étalant en arrondi pour la forme de gauche et s'étirant plus verticalement pour la forme de droite. De la même façon, on pourrait envisager tour à tour toutes les parties bien individualisées de ce tableau pour constater que l'intention plastique qui correspond à la mise en forme de chacune n'a rien à voir avec celle des autres. Voilà pourquoi, au-delà du fait que toutes ces parties peintes ne font rien ensemble de reconnaissable, on peut également dire qu'il n'y a pas ici d'unité plastique globale, et que les intentions plastiques correspondant à chacune des parties de ce tableau s'ajoutent en 1+1 sans faire un effet global sauf, précisément, celui de l'indépendance de ces parties.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément l'équilibre plastique produit par l'ensemble des formes et l'autonomie plastique de chacune.

L'effet prépondérant est directement lié à cette autonomie des différentes parties du tableau : chaque fois qu'on se laisse entraîner à le lire sur la base des effets de forme, de couleur et de texture qui sont suggérés par l'une de ses parties, on en est retenu par les autres qui fonctionnent différemment.

Bien entendu, l'effet d'ensemble/autonomie se déduit directement de cette autonomie des effets plastiques de chaque partie du tableau, tout comme l'effet de ça se suit/sans se suivre puisque toutes ses parties se suivent physiquement tout en allant vers des directions qui ne se suivent pas. À moins qu'elles ne soient séparées par des coupures qui empêchent que la surface peinte se poursuive en continu, tel qu'il en va pour les deux formes courbes vertes au centre du tableau. L'effet d'ouvert fermé correspond au fait que le tableau est une unité plastique fermée que l'on peut défaire, et donc « ouvrir », en la décomposant en ses multiples parties qui forment autant d'unités plastiques autonomes.

 

 


Kristine Moran

Source de l'image : http://myloveforyou.typepad.com/my_love_for_you/2009/12/kristine-moran.html

 

 

À titre d'exemple, on donne aussi un tableau d'une peintre canadienne, Kristine Moran (née en 1974), qui s'analyserait de la même façon que celui de Lesley Vance.

 

 

 


Claire Barclay : Foul Play (2005)

Source de l'image : https://mapmagazine.co.uk/cathy-wilkes-claire-barclay

 

 

Comme exemple synthétique de la deuxième étape de la 3e filière, avec l'artiste britannique Claire Barclay (née en 1968) on revient aux installations de produits fabriqués mis ensemble sans que l'on puisse trouver une signification quelconque à cette mise ensemble. Ici, il s'agit d'une installation de 2005 qu'elle a baptisée « Foul Play ». Par différence avec l'installation « Becoming Branch » d'Helen Marten, les différentes parties ne sont pas jointives et ne forment pas ensemble un même objet fabriqué continu, c'est seulement leur proximité physique qui nous fait comprendre que l'artiste a voulu qu'on les considère ensemble.

Cette autonomie des objets implique qu'il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas vainement chercher ce qu'ils font ensemble sans s'affronter à leur séparation physique, et donc essayer de comprendre le sens de ce rassemblement de 1/x d'objets sans s'affronter au caractère 1+1 des intentions présidant à leur rassemblement.

Les autres analyses de l'installation d'Helen Marten valent de la même façon pour celle-ci.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Wim Delvoye, Coccyx Double (marbre de 2013)

Elle est en principe accessible à l'adresse https://wimdelvoye.be/work/foundry-works/coccyx-double-1/

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Wim Delvoye Coccyx Double marbre 2013

 

Pour un autre exemple d'expression synthétique de la deuxième étape de la 3e filière, le « Coccyx Double » en marbre fabriqué en 2013 par Wim Delvoye.

Chaque personne humaine n'a qu'un seul coccyx et qu'un seul bassin, de telle sorte que l'on voit tout de suite que ces deux coccyx et ces deux bassins assemblés l'un dans l'autre n'ont rien à faire ensemble. Ce marbre intègre deux objets fabriqués que l'on peut considérer séparément mais qui sont inséparablement entremêlés dans un même objet, ce qui relève du type 1/x pour la notion de produit fabriqué. Par contre, on ne peut pas concevoir que cet assemblage anatomiquement impossible puisse correspondre à l'intention globale de produire un objet cohérent : l'intention de prendre un premier coccyx et l'intention d'y embrocher un second sont sans lien logique et s'ajoutent en 1+1 sans que leur addition puisse correspondre à une quelconque intention globale.

Il s'agit d'une expression synthétique puisque l'on ne peut constater que chacune des deux parties de ce marbre représente un coccyx sans être confronté à l'anomalie de leur assemblage.

En analysant cette œuvre on est d'abord entraîné à considérer qu'il s'agit de deux coccyx, mais on en est retenu puisque l'on doit conclure qu'il n'est pas possible que deux coccyx soient ainsi embrochés : voilà pour ce qui concerne l'effet prépondérant d'entraîné/retenu. L'effet d'ensemble contre nature et donc incohérent de cet assemblage est obtenu au moyen de deux coccyx nécessairement autonomes l'un de l'autre : effet d'ensemble/autonomie. Ils se suivent physiquement dans cette sculpture, mais la logique anatomique fait qu'ils ne peuvent pas se suivre : ça se suit/sans se suivre. L'effet d'ouvert/fermé correspond au fait que la forme est réellement fermée puisque les deux coccyx sont inséparablement attachés l'un à l'autre, tandis que notre esprit détache virtuellement ces deux formes l'une de l'autre puisqu'elles n'ont rien à faire ainsi assemblées, ce qui ouvre mentalement la forme.

 

 

 


Sarah Lucas : Nud Cycladic 14 (2010)

Source de l'image : https://gladstonegallery.com/artist/sarah-lucas/work#&panel1-1

 

 

Pour un premier exemple d'expression analytique de la troisième étape de la 3e filière, une nouvelle œuvre de Sarah Lucas : « Nud Cycladic 14 », qui date de 2010.

Cet entortillement de formes globalement compact est fait de multiples formes entortillées, ce qui implique que ce produit fabriqué relève du type 1/x, tandis qu'on ne décèle aucune intention globale que l'on pourrait comprendre pour correspondre à ce que font ensemble ces entortillements : chacun correspond à une intention partielle de s'entortiller avec les autres, soit en partant dans ce sens-ci, soit dans ce sens-là, soit dans un autre sens encore, l'intention est donc du type 1+1.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément le fait que les divers entortillements partent dans des directions quelconques et que la forme qu'ils génèrent ensemble est celle d'un paquet compact.

À la troisième étape de la 3e filière, tous les effets sont similaires à ceux de la troisième étape de la 1re filière. L'effet prépondérant est donc l'effet d'ensemble/autonomie, et l'on repère bien que tous ces entortillements autonomes forment ensemble une vague forme de boule ou, si l'on veut, une forme de paquet. Globalement, ce paquet est très hétérogène, mais de façon homogène il est fait de « boudins », lesquels sont en outre réalisés dans un matériau homogène : effet d'homogène/hétérogène. Ces boudins, séparément repérables, sont rassemblés en un même paquet : effet de rassemblé/séparé. Malgré leurs torsions aux courbes très variées qui partent dans des directions très autonomes les unes des autres et donc incommensurables entre elles, l'ensemble réussit à se tenir dans une forme de paquet compact et globalement en forme de boule : effet de synchronisé/incommensurable. Enfin, tous ces enroulements sont à la fois continus et coupés les uns par les autres : effet de continu/coupé.

 

 

 


Jim Drain : iii open iii closed (2007)

Source de l'image : https://www.sightunseen.com/2010/12/jim-drain-artist/

 

 

Autre exemple analytique, l'œuvre de 2007 de l'artiste états-unien Jim Drain (né en 1975), bizarrement appelée « iii open iii closed ». Elle ne ressemble pas plus à quelque chose que celle de Sarah Lucas que l'on vient d'envisager, mais a toutefois un aspect très différent. Globalement, on peut dire qu'elle comporte deux parties très autonomes d'apparence, un grand carré tissé de bandes multicolores posé en diagonale et auquel sont suspendues diverses « cravates », et une forme qui fait vaguement penser à celle d'une grande poupée inclinée vers l'arrière et de laquelle pendent de multiples formes en tissu coloré.

On a ici un objet global fabriqué en deux parties, chacune fabriquée à l'aide de multiples fabrications en bandes ou tissus colorés, cela correspond au type 1/x. Aucune intention globale n'est repérable pour cet objet global, seulement des intentions partielles correspondant à chacune de ses parties : l'intention de faire un grand carré, l'intention d'y faire pendre des cravates, l'intention d'y adjoindre une grande forme de « poupée », l'intention de la recouvrir de tissus colorés, puis encore l'intention de faire pendre d'autres tissus ici ou là. La notion d'intention relève donc du type 1+1, sans que cette addition d'intentions partielles ne puisse être résumée dans une intention globale que l'on pourrait repérer et décrire.

L'ensemble correspond à une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément chaque partie de la forme.

De nombreuses formes autonomes les unes des autres concourent à un effet d'ensemble dont on peut dire qu'il est celui « du multicolore » : effet d'ensemble/autonomie. Cet effet multicolore est utilisé de façon homogène dans toute l'œuvre, mais il est basé sur l'entrecroisement ou la combinaison de couleurs très contrastées entre elles, c'est-à-dire très hétérogènes entre elles : homogène/hétérogène. La grande forme en carré et la forme de poupée sont à la fois physiquement rassemblées et visuellement séparées : rassemblé/séparé. Le grand carré est une surface continue obtenue par le recoupage de deux trames croisées, elle est en outre coupée plusieurs fois par des cravates qui pendent à sa surface, et quant à la forme en poupée, bien que continue elle est constamment recoupée par des bandes colorées qui pendent également sur elle : continu/coupé. Il ne semble pas que l'effet de synchronisé/incommensurable ait ici une expression significative bien repérable.

 

 

 


Gonkar Gyatso : Chemise à multiples manches (2000)

Source de l'image : http://archive.rhizome.org/artbase/55583
/www.vvork.com/index.html@tag=copy&paged=2

 

 

Comme exemple d'expression synthétique de la troisième étape de la 3e filière, d'abord une chemise à multiples manches fabriquée par Gonkar Gyatso. Tout comme ses formes de bouddha déjà rencontrées, cette œuvre s'inspire de sa tradition tibétaine. Ici, il faut penser aux divinités bouddhistes qui sont munies de plusieurs bras, parfois de plusieurs têtes, et pour lesquelles ce type de chemise à plusieurs manches serait adapté, du moins si ces divinités envisageaient de s'habiller en chemise.

Il va de soi qu'il n'existe pas de chemise fabriquée avec une demi-douzaine de manches gauches et une demi-douzaine de manches droites, de telle sorte que l'on comprend bien que Gonkar Gyatso a fabriqué sa chemise en assemblant des manches provenant de plusieurs chemises, ce qui relève d'une fabrication du type 1/x. Si l'on admet que les divinités bouddhiques ne sont pas connues pour s'habiller en chemise de confection moderne, on conclut que l'intention d'utiliser une chemise de confection et l'intention de produire un habit disposant de plusieurs manches de chaque côté sont deux intentions qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre, sauf dans un sens que l'on peut dire ironique, ou provocateur, ou simplement dérangeant. Elles s'ajoutent donc en 1+1 sans correspondre à une intention globale crédible.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas constater la présence de plusieurs manches sur chaque côté sans s'affronter à leur caractère surnuméraire.

Cette chemise et sa douzaine de manches font ensemble une chemise, mais l'absurdité de plusieurs manches pour un même bras fait que, pour nous qui n'avons qu'un bras gauche et qu'un bras droit, les manches supplémentaires qui ont été ajoutées sur la chemise sont autant de manches autonomes puisqu'elles n'ont rien à faire là : effet d'ensemble/autonomie.

Toutes les manches sont homogènes entre elles quant à leur forme et quant au tissu utilisé, mais celles en surnombre nuisent à la fonctionnalité de l'unique manche utile à chaque bras et sont donc autant d'hétérogénéités pour cette chemise : effet d'homogène/hétérogène. À chaque bras, toutes les manches sont rassemblées sur la chemise tout en étant bien séparées les unes des autres : effet de rassemblé/séparé. La fabrication d'une chemise à multiples manches pour chaque bras est synchronisée avec ce qu'il faudrait pour habiller une divinité dotée de multiples bras de chaque côté du corps, mais la réalité dont relève une telle divinité est incommensurable avec la réalité de la fabrication des chemises de confection dans notre monde moderne : effet de synchronisé/incommensurable. Enfin, chaque manche s'ajoute aux autres en une suite continue de manches séparées, et donc coupée de sa précédente et de sa suivante : effet de continu/coupé.

 

 

 


Sarah Lucas : Bunny Gets Snookered (1997)

Source de l'image : https://gladstonegallery.com/artist/sarah-lucas/work#&panel1-11

 

 

Pour un autre exemple synthétique de la troisième étape de la 3e filière, on retrouve Sarah Lucas avec son « Bunny Gets Snookered » de 1997, ce que l'on peut traduire par « Bunny s'est fait avoir », ou « Bunny est coincé » pour correspondre au fait que le dossier du siège sert de corps au personnage qui est donc coincé sur son siège.

Ce curieux hybride de siège/personnage aux bas noirs et aux oreilles de lapin a été fabriqué en incorporant de multiples objets industrialisés ou confectionnés par l'artiste elle-même, il s'agit donc d'un produit fabriqué du type 1/x. L'impossibilité de nommer l'hybride ainsi fabriqué autrement que par une boutade implique qu'aucune intention globale repérable ne peut être envisagée, mais on peut toutefois énumérer de multiples intentions partielles qui s'ajoutent les unes aux autres en 1+1 : l'intention d'utiliser un siège à roulettes, l'intention d'en habiller le dossier avec des collants, l'intention de confectionner sous ce dossier le corps d'un personnage aux longues jambes mais sans pied repérable, l'intention d'enfiler des bas noirs sur ces jambes, l'intention de confectionner de curieuses oreilles partiellement dressées et partiellement tombantes.

Comme la précédente cette œuvre correspond à une expression synthétique, puisque l'imbrication de ses différentes parties ne permet pas de les considérer sans s'affronter aux anomalies ou cocasseries de leur assemblage.

Cet être hybride produit un effet d'ensemble cocasse qui résulte de l'assemblage de parties qui sont complètement autonomes les unes des autres puisqu'il n'y a aucune logique à leur assemblage. Il a une apparence qui est vaguement homogène à celle qu'aurait un personnage réel assis sur une chaise à roulettes, mais sa nature est très hétérogène à ce que serait un tel personnage. Ce sont également de façon homogène des vêtements féminins qui sont utilisés, probablement tous en Nylon, mais leurs couleurs, claires ou très foncées, sont hétérogènes entre elles. Les diverses parties qui le constituent sont bien rassemblées au niveau du dossier, mais elles sont séparées au niveau des jambes, des bras et de la tête. Son apparence, comme on la dit, se synchronise vaguement avec l'apparence qu'aurait un personnage réel assis sur une chaise à roulettes, mais sa nature est incommensurable avec ce que serait un tel personnage. Enfin, si le siège et les jambes forment un personnage continu puisqu'ils sont inséparables au niveau du dossier, ces deux aspects sont séparés au niveau des jambes qui sont assises sur le siège, et donc coupées de lui.

 

 

 


Monica Piloni

Source de l'image : https://metalmagazine.eu/en/post/interview/monica-piloni-the-human-body-is-not-human-anymore

 

 

Dernier exemple synthétique de la troisième étape de la 3e filière, une autre curieuse créature proposée par l'artiste brésilienne Monica Piloni (née en 1978). Cette fois, il s'agit indiscutablement d'un corps humain, mais les morceaux de ce corps de femme sont assemblés de façon invraisemblable et il lui manque le tronc.

Ce monstre au caractère bien unitaire a été fabriqué en assemblant plusieurs membres et une tête que l'on peut distinguer de façons séparées : il s'agit d'une fabrication du type 1/x. Un tel être ne pouvant réellement exister, on ne peut comprendre à quelle intention peut correspondre sa fabrication, mais on peut aisément y repérer des intentions partielles s'ajoutant les unes aux autres en 1+1 : placer une tête ici, une jambe là, une autre jambe ailleurs dans un autre sens incompatible avec celui de la jambe précédente, placer un bras là, anormalement près de la tête, un autre bras plus loin et sans qu'on le puisse repérer à quelle épaule il s'attache.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer les membres de ce personnage sans s'affronter au fait qu'il n'y a entre eux aucune logique anatomique.

La monstruosité de cet être est l'effet d'ensemble que produisent ces membres sans logique d'ensemble, et donc autonomes les uns des autres : effet d'ensemble/autonomie. L'apparence de ses membres est homogène à l'apparence des membres d'une femme réelle, mais leur assemblage est très hétérogène à l'apparence d'une femme réelle : homogène/hétérogène. Ses membres sont rassemblés sur la photographie, mais nous sommes bien obligés de considérer qu'ils sont anatomiquement séparés comme le seraient les membres d'un cadavre dépecé en morceaux : rassemblé/séparé. Prises individuellement, les diverses parties de son corps sont synchronisées avec l'apparence des membres d'une femme réelle, mais leur assemblage est incommensurable avec une telle apparence : synchronisé/incommensurable. Enfin, comme l'a dit plus haut, bien qu'il soit continu son corps semble la mise bout-à-bout des membres dépecés d'un cadavre : continu/coupé.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Joana Vasconcelos, Valquíria Enxoval (2009) au Château de Versailles

Elle est en principe accessible à l'adresse http://www.joanavasconcelos.com/det_en.aspx?f=2254&o=848

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Joana Vasconcelos Valquíria Enxoval 2009 Château de Versailles

 

Pour la quatrième étape de la 3e filière et dans une expression analytique, nous retrouvons l'artiste portugaise Joana Vasconcelos avec une œuvre attachée en 2004 au plafond de la Galerie des Batailles du Château de Versailles. Elle l'a intitulée « Valquíria Enxoval ».

Une œuvre gigantesque, tout en longueur, constituée d'une série de formes très colorées confectionnées en tissu et qui s'attachent l'une derrière l'autre en joyeuse ribambelle. Une forme globale fabriquée à l'aide de multiples fabrications en tissu coloré, cela relève du type 1/x.

En revanche, et comme à l'étape précédente, il est inutile de chercher à quelle intention correspond cette cavalcade, sinon celle d'additionner en 1+1, l'une derrière l'autre, des formes autonomes relevant chacune d'une intention spécifique destinée à créer un morceau bien individualisé et bien repérable dans cette file de formes colorées et variées, les unes plutôt en forme de boule, les autres plutôt en forme de longue branche, etc.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément l'allure d'ensemble en ribambelle de formes ajoutées les unes à la suite des autres et le détail de l'apparence de chacune des formes qui participent à cette ribambelle.

Les effets sont les mêmes que dans la 1re filière. L'effet prépondérant d'ouvert/fermé correspond au contraste qui existe entre les diverses formes : certaines sont des boules plus ou moins sphériques, mais dans tous les cas fermées, d'autres ont la forme de grands bras qui s'ouvrent vers le lointain, d'autres forment des guirlandes qui pendent en formant des demi-cercles qui restent ouverts, traversables, d'autres encore ressemblent à des verrues sortant de boules fermées qui les portent et s'ouvrent donc pour les laisser sortir. L'effet de lié/indépendant est évident : les diverses formes, indépendantes les unes des autres, sont liées ensemble pour former une ribambelle de formes à la queue leu-leu. L'effet de même/différent intervient de deux façons : les différentes formes ont un même aspect très bariolé, et ces différentes formes s'intègrent dans une même file. Concernant l'effet d'intérieur/extérieur, on peut dire que l'extérieur de chacune des formes est visiblement à l'intérieur de la file qui les rassemble. Enfin, le continu/coupé va également de soi puisque cette ribambelle forme une suite continue de formes séparées, et donc coupées les unes des autres.

 

 

 


Peter Coffin : Sans titre (2009)

Source de l'image : http://petercoffinstudio.com/#blue

 

 

Autre exemple analytique de la quatrième étape de la 3e filière :  « Sans titre », de 2009, de Peter Coffin. Cette fois, ce n'est pas leur mise en file indienne qui permet de lire que toutes les parties rassemblées forment une grande unité globale, c'est leur mise en tas, et surtout le choix d'une couleur dominante bleue qu'elles partagent toutes.

La continuité physique entre les différents objets et leur couleur commune permet de lire en 1/x cette fabrication d'un entassement hétéroclite de multiples objets fabriqués.

On serait bien en peine de dire à quelle intention globale peut correspondre un tel entassement. Seules peuvent être décelées des intentions partielles s'ajoutant en 1+1 les unes aux autres : prendre une voiture bleue, y adosser un portique bleu, puis adosser à celui-ci un toboggan bleu, puis prendre un matelas pneumatique et l'appuyer contre le toboggan, ajouter un vélo bleu à l'extrémité du toboggan, etc.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer qu'il s'agit d'un entassement d'objets et considérer séparément chacun des multiples objets qui le constituent.

Ce tas fermé contient de larges trous qui permettent de voir à travers, ce qui correspond à l'effet prépondérant d'ouvert/fermé. On peut aussi attribuer à cet effet la considération, par notre esprit, que chacun des objets qui forment ce tas pourrait individuellement en être enlevé, et donc que ce tas est virtuellement ouvert, démembré, disloqué.

Cet entassement qui relie des objets indépendants relève évidemment de l'effet de lié/indépendant. Ces différents objets ont une même couleur : effet de même/différent. L'extérieur de chacun est perceptible à l'intérieur du tas, ce qui relève de l'effet d'intérieur/extérieur, tout comme le fait qu'il subsiste de grands creux qui laissent pénétrer l'extérieur à l'intérieur de ce tas. L'effet d'un/multiple se lit matériellement (un seul tas fait de multiples objets), mais aussi sur la base du coloris (une seule couleur et ses multiples nuances).

 

 

 


Xavier Mascaro : Eleonora (2011)

Source de l'image : https://www.fondationfrances.com/artistes/xavier-mascaro/

 

 

AUTRE IMAGE ÉVOQUÉE : Joana Vasconcelos, Penelope (2007)

Elle est en principe accessible à l'adresse http://www.joanavasconcelos.com/det_en.aspx?f=1155&o=1544

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Joana Vasconcelos Penelope 2007

 

AUTRE IMAGE ÉVOQUÉE : Hans Hemmert, Denkblase 14 (2008)

Elle est en principe accessible à l'adresse https://www.vsala.com/vincenz_sala
/Hans_Hemmert_Denkblase_03.html

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Hans Hemmert Denkblase 14 2008

 

Pour illustrer l'expression synthétique de la quatrième étape de la 3e filière, trois œuvres d'aspects très différents mais qui relèvent du même principe, celui d'une forme complètement emprisonnée à l'intérieur d'une autre mais restant bien visible à travers elle : une tête sculptée emprisonnée à l'intérieur d'une cage en fer, c'est la sculpture « Eleonora » de 2011 de Xavier Mascaro, une tête empaillée de taureau à l'intérieur d'une dentelle rouge, c'est « Penelope » confectionnée en 2007 par Joana Vasconcelos, et enfin une sorte de ballon emprisonné à l'intérieur des sangles d'une chaussure de femme, c'est « Denkblase 14 » confectionné en 2008 par Hans Hemmert.

Puisque chacune de ces œuvres comporte deux fabrications distinctes, l'une prisonnière à l'intérieur de l'autre et dont la réunion forme une entité globale bien lisible, il s'agit de produits fabriqués du type 1/x.

Aucune intention globale à l'origine de telles fabrications n'est décelable. On ne voit pas en effet quelle intention peut justifier l'enfermement d'une tête de femme dans une cage de fer qui ne lui permet ni de voir ni d'ouvrir la bouche, pas plus qu'on ne comprend pourquoi il y aurait nécessité d'emballer une tête de taureau dans une fine dentelle, ni à quoi peut bien servir d'entortiller une forme de ballon à l'intérieur des lanières d'une chaussure. Par contre, pour chacune de ces œuvres on peut repérer deux intentions partielles qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre et qui s'ajoutent donc en 1+1 : fabriquer une sculpture en tête de femme puis l'emprisonner dans une cage de fer, empailler une tête de taureau puis fabriquer une dentelle qui épousera étroitement sa forme, prendre une chaussure de femme et installer à son intérieur un ballon que l'on gonflera.

Il s'agit d'expressions synthétiques, car on ne peut pas considérer la forme prisonnière à l'intérieur de l'autre sans constater que, précisément, elle y est prisonnière.

L'effet prépondérant d'ouvert/fermé est limpide : la forme extérieure enferme l'autre tout en étant suffisamment ouverte pour que l'on puisse toujours voir la forme emprisonnée à son intérieur. L'effet d'intérieur/extérieur va également de soi puisqu'on peut voir que l'extérieur d'une forme est à l'intérieur de l'autre. Les deux formes sont indépendantes puisqu'elles n'ont rien à faire l'une avec l'autre, mais elles sont évidemment liées l'une à l'autre par cette situation d'emprisonnement : effet de lié/indépendant. Une même œuvre globale est obtenue par l'addition de deux objets différents, c'est là un effet de même/différent, mais aussi un effet d'un/multiple.

 

 

 


Matt Johnson : Stone with Bicycle (2013)

Source de l'image : https://dailyartfair.com/exhibition/2335/matt-johnson-alison-jacques-gallery

 

 

Dernier exemple synthétique pour la quatrième étape de la 3e filière, la « Pierre avec Bicyclette » (Stone with Bicycle) fabriquée en 2013 par Matt Johnson.

Cet embrochement d'un vélo et d'une pierre est un objet fabriqué évidemment compact qui relève du type 1/x puisqu'il enferme deux objets fabriqués (la pierre a dû au minimum être prélevée et transportée, et donc fabriquée en tant qu'objet).

Le « Painvisage » du même artiste relevait de la 1re filière car chacune des deux fabrications qu'il regroupait disposait d'une intention qui lui était propre : l'une consistait à prendre une tranche de pain de mie, l'autre consistait à percer des trous dans cette tranche pour lui donner l'aspect d'un visage. Comme ces deux intentions n'avaient rien à voir l'une avec l'autre, le type en 1+1 de leur addition se répercutait sur les deux fabrications qui leur étaient associées. Avec la bicyclette embrochée sur un rocher, on a aussi deux intentions contradictoires (type 1+1), mais elles ne sont pas associées individuellement à l'un ou à l'autre des deux objets, puisque l'on ne sait pas dire s'il a été pris un vélo avec l'intention +1 de l'embrocher sur une pierre ou s'il a été pris une pierre avec l'intention +1 de l'embrocher avec un vélo. L'absence d'association caractéristique de la 1re filière entre chaque objet fabriqué et une intention spécifique est ici absente, ce qui évite aux objets d'hériter du caractère 1+1 de leurs intentions et leur permet de conserver le type 1/x impliqué par leur étroite association physique, et donc de relever de la 3e filière.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer les deux objets associés sans constater qu'ils sont très anormalement embrochés l'un dans l'autre.

L'effet prépondérant d'ouvert/fermé provient de la forme physique de l'œuvre, qui est effectivement ouverte, au sens de traversable, mais il provient aussi du réflexe intellectuel que nous avons, lié au fait qu'il nous apparaît matériellement impossible qu'un vélo se trouve dans la situation de traverser un rocher, de telle sorte que nous dissocions spontanément ces deux objets dans notre esprit, et par la pensée ouvrons donc cette œuvre. Le rocher et le vélo sont évidemment liés l'un à l'autre mais indépendants en tant qu'objets distinctement repérables : effet de lié/indépendant. Une même œuvre est faite de deux différents objets qui sont d'ailleurs très différents d'aspect : effet de même/différent. L'extérieur du vélo a pénétré à l'intérieur du rocher, ou réciproquement : effet d'intérieur/extérieur. Et l'on peut dire aussi que cette œuvre est faite de deux objets réunis en une seule unité : c'est un effet d'un/multiple.

 

 

 


Michel Lamoller : Layerscape - Acity #3 (2015)

Source de l'image : http://www.michel-lamoller.com/index.php/layerscapes/layerscapes---sculptures/

 

 

Pour finir, on revient à la cinquième et dernière étape de la 3e filière déjà envisagée au chapitre 12.1.0. Comme on l'a exposé alors, la mutation qui apparaît brutalement à la dernière étape de cette filière utilise le caractère 1/x du produit fabriqué pour répartir sur ses différentes parties, selon une progression graduelle ou brutale, différentes intentions partielles qui ne cessent pas pour autant de relever du type 1+1. Faisant cela, l'œuvre parvient au moins à mettre les différentes intentions en relation de contiguïté physique, faute de pouvoir les mettre en relation dans le cadre d'une intention globale puisque celle-ci serait incompatible avec la participation à cette filière.

Pour illustrer ce principe, dans le cadre d'une transition graduelle et d'une expression analytique, on avait donné l'exemple du labyrinthe rouge et vert de Xu Qu dont la vue de face se transformait très progressivement en une vue de biais de plus en plus accentuée. Sa photographie de 2015 d'une ville, que Michel Lamoller a appelée « Layerscape - Acity #3 », ressemble beaucoup, dans son principe, au labyrinthe de Xu Qu. Dans le fond, on voit une vue que l'on peut dire « normale » du paysage, mais plus près de nous il semble se séparer en bandes zigzagantes séparées par des crevasses de plus en plus larges à mesure que l'on descend, et avant de retrouver une allure continue dans sa partie la plus proche. Simultanément, entre le haut et le bas, la teinte dominante est passée du bleu ciel à l'orangé.

Puisque le montage photographique fabriqué par Michel Lamoller apparaît comme la vue globale d'un paysage continu divisé en multiples strates séparées par des crevasses, en tant que fabrication il relève du type 1/x.

Aucune intention globale ne se révèle, le paysage qui résulte des modifications introduites par l'artiste ne ressemblant à rien de réaliste puisqu'on ne comprend pas pour quelle raison de telles crevasses ou cavernes y ont été introduites, mais à l'intérieur de ce paysage on peut toutefois déceler diverses intentions partielles : donner une vue « normale » du paysage dans son lointain et dans son proche, et donner une vue de ce paysage affecté de crevasses et de sombres cavernes dans sa partie médiane. Ces diverses intentions s'ajoutent en 1+1 sans rien faire globalement de déchiffrable, mais alors qu'aux étapes précédentes on ne pouvait que relever le caractère autonome des diverses intentions s'ajoutant en 1+1, ici, par le moyen d'un passage progressif et souvent insensible d'une zone traitée selon une intention à une zone traitée selon l'autre intention, ces deux intentions se trouvent matériellement placées dans une relation d'enchaînement allant de l'une à l'autre.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément le caractère d'ensemble anormal de la photographie et le caractère progressif du passage entre les parties traitées normalement et les parties artificiellement affectées de crevasses.

Les effets sont les mêmes qu'à la dernière étape de la 1re filière, celui de ça se suit/sans se suivre qui est prépondérant correspond à la double lecture que l'on peut faire de cette photographie : soit on considère qu'il s'agit d'un paysage continu, fût-il bizarre, alors toutes ses parties se suivent, soit on considère que ses parties très anormalement affectées de crevasses ne peuvent pas suivre réellement les parties qui apparaissent normales, alors les différentes parties du paysage ne se suivent pas, d'autant que la présence de ces crevasses le sépare en tronçons qui, par définition, ne se suivent pas. L'effet de regroupement réussi/raté fonctionne également sur cette base : soit on considère que toutes les parties de la photographie sont rassemblées dans une même vue, fût-elle très bizarre à certains endroits, soit on considère que l'étrangeté de ces endroits ne permet pas de les intégrer à une vue d'ensemble crédible, et alors leur regroupement avec les parties normales est raté. Le fait/défait va de soi : certaines parties du paysage sont bien faites alors que d'autres apparaissent complètement défaites par la présence de crevasses invraisemblables. Les diverses bandes zigzagantes séparées par les crevasses sont reliées au lointain et aux parties du paysage proche, mais elles sont évidemment détachées les unes des autres par la présence de ces crevasses : effet de relié/détaché. Enfin, nous sommes décontenancés devant la vision d'un tel paysage mi-possible mi-impossible, ce qui implique une déstabilisation propre à l'effet du centre/à la périphérie.

 

 


 

Vhils : Contraste (œuvre en liège)   Source de l'image : https://www.apcor.pt/en/interview-with-vhils-alexandre-farto/

 

Autre exemple analytique d'un passage progressif par contiguïté physique d'une intention à l'autre, une très longue « fresque en liège » réalisée dans le hall d'un bâtiment par Alexandre Farto, alias Vhils, une œuvre qu'il a baptisée « Contraste ».

Dans cette bande continue, en liège sculpté par creusement, s'échelonnent des fabrications bien distinctes : des morceaux de motifs géométriques, des morceaux de visage, et des morceaux d'écriture. Comme bande continue à la fois unique et multiple, cette fabrication relève donc du type 1/x. On ne repère aucune intention globale dans cet assemblage qui ne correspond à aucune vue d'ensemble de quelque chose que l'on pourrait décrire, mais seulement à l'addition, côte à côte, d'intentions différentes, chacune interrompant sa voisine et l'empêchant de se développer pleinement. Puisque ces intentions successives se morcellent les unes les autres, se cassent les unes des autres, on a affaire à l'addition de 1+1 intentions partielles.

Par différence au montage photographique précédent de Michel Lamoller, ce n'est pas l'organisation du détail des formes qui permet la progression visuelle d'un endroit à l'autre, c'est l'unité du matériau et l'uniformité de la profondeur de son creusement, de sa texture et de sa couleur, qui permettent de lisser l'ensemble du panneau, de passer en continu d'une partie à l'autre sans être trop affecté par la façon brutale dont les différentes figures se brisent l'une l'autre, la prégnance de l'uniformité de cet effet de relief creusé dans le liège étant suffisamment forte pour qu'on lise sa régularité malgré les collisions que l'on perçoit entre les visages, les pavages géométriques et les écritures. C'est donc encore la façon dont l'œuvre est fabriquée qui permet ici que les différentes intentions locales, bien que contradictoires entre elles, soient perçues dans une relation visuelle continue qui va de l'une à l'autre, cela comme il convient pour rendre compte de la mutation qui intervient à la dernière étape de cette filière.

Il s'agit d'une expression analytique : on peut considérer séparément l'unité de l'œuvre qui résulte de l'uniformité de son procédé plastique et l'autonomie de chacune des diverses figures qui s'interrompent mutuellement.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre correspond à l'opposition entre l'uniformité du matériau et de son traitement plastique qui se poursuivent en continu sur toute la frise, et l'indépendance des différents visages, pavages géométriques et écritures qui ne se suivent pas puisqu'ils ne font rien ensemble. Le regroupement réussi/raté utilise le même principe : toute la frise est regroupée en une bande homogène de liège profondément creusé par des dessins, mais ce regroupement est raté puisque ses différentes figures sont autonomes les unes des autres et ne font rien ensemble. Le fait/défait va de soi : les figures voisines s'interrompent mutuellement de façon brutale, se cassant mutuellement, ce qui n'empêche pas que chacune est faite sur une surface suffisante pour que l'on puisse comprendre de quoi il s'agit, soit d'un visage, soit d'un pavage géométrique, soit d'une écriture. L'effet de relié/détaché se rapporte à la technique des sillons creusés dans le liège qui détachent les différentes surfaces laissées en relief, lesquelles restent cependant reliées entre elles par leur participation à une même surface. Il se rapporte aussi aux différentes figures bien détachées les unes des autres mais reliées par leur participation à une même frise continue. Chaque visage, chaque pavage géométrique et chaque morceau d'écriture constitue un centre d'intérêt visuel autonome, et chacun de ces centres visuels est entouré sur toute sa périphérie de centres visuels analogues, ce qui correspond à l'effet du centre/à la périphérie.

 

 

 


Vhils : Dissection (2014)

Source de l'image : http://thereart.ro/dissection-vhils-edp-foundation/

 

 

Comme exemple d'expression synthétique de la dernière étape de la 3e filière, une autre œuvre de Vhils dans laquelle les effets de relief présents dans l'œuvre précédente sont amplifiés de façon considérable. Cette sculpture de 2014, réalisée dans le cadre d'une exposition à Lisbonne au nom générique de « Dissection », doit en effet être observée depuis une plate-forme située à deux étages de hauteur pour que l'on puisse discerner les visages qui y sont sculptés dans du polystyrène expansé. Depuis le sol, tout ce que l'on peut voir consiste en de grandes surfaces ou de grandes tiges verticales plus ou moins densément déchiquetées, plus ou moins continues, et plus ou moins écartées les unes des autres par des vides interstitiels.

La continuité et la compacité globale du bloc de polystyrène sculpté amène à y lire une grande fabrication globale, et comme son morcellement en innombrables formes verticales amène à le lire aussi comme une forme fractionnée en multiples parties, cela en fait un produit fabriqué du type 1/x. Pour ce qui concerne l'intention, en revanche, on ne peut déceler aucune intention globale qui pourrait rassembler l'intention de nous donner à observer de simples formes verticales ne laissant rien déchiffrer de lisible depuis le niveau du sol et l'intention de nous donner à observer trois visages plus ou moins discernables depuis la plate-forme située en hauteur. Puisque l'intention de donner à voir des visages depuis la hauteur n'a rien à voir avec l'intention de donner à voir des formes verticales depuis le sol, elle s'y ajoute en 1+1.

Cette dualité entre le type 1/x du produit fabriqué et le type 1+1 des intentions a été observée à toutes les étapes de la 3e filière, mais, comme dans les exemples précédents relevant de sa dernière étape, on peut ici passer d'une intention à l'autre au moyen de la forme fabriquée qui les rassemble puisque ce sont les mêmes formes qui, selon l'angle de vue, génèrent soit la perception de hauts canyons très déchiquetés, soit la perception de visages. Cependant, par différence avec les exemples précédents, le passage de la lecture des canyons verticaux à la lecture des visages n'est pas progressif mais brutal : on passe de l'une à l'autre sans aucune transition intermédiaire, seulement après avoir monté ou descendu deux étages.

Il s'agit d'une expression synthétique puisqu'on ne peut pas constater l'existence d'une modification entre la vue depuis le sol et la vue depuis le dessus sans avoir simultanément à l'esprit l'existence de ces deux situations. Le balancement entre ces deux lectures est comparable à l'alternance obligée de la lecture des sculptures en couches de papier empilées de Li Honbgo que nous avions donné en exemple au chapitre 12.1.0 : soit les couches étaient comprimées les unes sur les autres et alors on pouvait voir la statue, soit elles étaient distendues et alors la forme de la statue disparaissait et on ne pouvait plus voir qu'un accordéon en papier.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre est lié à la dichotomie entre la lecture des formes verticales et la lecture des visages lus d'en haut : les formes de ces visages suivent nécessairement les découpes verticales qui les génèrent, mais elles ne les suivent pas puisqu'elles s'étalent sur une surface horizontale ou bien suggèrent des volumes 3D qui ne suivent pas le sens vertical et le caractère linéaire de ces découpes. On parvient à regrouper visuellement toutes les formes utiles à la lecture cohérente d'un visage, mais on peut dire aussi de ces diverses formes qu'elles ne sont pas regroupées puisqu'elles sont morcelées et qu'elles chevauchent des découpes verticales nettement écartées les unes des autres, ce qui correspond à un effet de regroupement réussi/raté. Quant à lui, le fait/défait correspond au basculement incessant entre la vision des visages qui sont partiellement faits et la vision des hauts canyons verticaux qui les défont. Les différents surfaces correspondant à la lecture d'un même visage sont reliées ensemble dans la forme de ce visage, mais elles sont détachées les unes des autres par les grands canyons qui les séparent : c'est un effet de relié/détaché. Enfin, l'effet de déstabilisation propre au centre/à la périphérie correspond à la stupeur qui nous prend lorsqu'on constate, en montant sur la plate-forme, que les formes verticales très découpées et apparemment aléatoires que l'on observait depuis le sol se transforment soudain en visages.

 

 

 


Jason deCaires Taylor : Musée sous-marin de la Grenade (détail)

Source de l'image : https://www.underwatersculpture.com/works/submerged/

 

 

Dernier exemple synthétique pour la cinquième étape de la 3e filière. On le doit à l'artiste anglais Jason deCaires Taylor (né en 1974) qui s'est fait une spécialité de fabriquer des sculptures déposées au fond de la mer, laissant au hasard de l'implantation des algues et des coquillages le soin de les recouvrir et de modifier progressivement leur aspect. Il a ainsi créé plusieurs musées sous-marins, c'est dans celui de la Grenade, dans les Caraïbes, que se trouvent les statues envisagées ici.

Le nom de « musée » donné à ses créations correspond au fait qu'il rassemble toujours de multiples statues au voisinage les unes des autres, des statues qui forment même souvent des foules ou des assemblées appartenant à un même groupe ou à une même scène. Il s'agit donc toujours de produits fabriqués du type 1/x.

On peut déceler dans ce processus deux intentions indépendantes l'une de l'autre : la première est de fabriquer des statues représentant des personnages ou des objets usuels qui les accompagnent dans une même scène, la seconde est de laisser les algues et les coquillages marins s'installer sur ces statues afin que leur apparence soit modifiée au fil du temps. Ces deux intentions sont complètement autonomes et s'ajoutent donc en 1+1.

Comme dans tous les exemples de la cinquième étape, c'est la matérialité de l'œuvre fabriquée qui met en relation ces deux intentions et qui les tient ensemble bien qu'elles n'aient rien à voir l'une avec l'autre. En effet, en regardant les photographies de ces statues, on passe alternativement de l'idée qu'il s'agit de formes fabriquées par un sculpteur à l'idée qu'il s'agit de végétations marines et de coquillages marins qui se sont librement installés sur ces statues, tout comme un peu plus loin ils se sont installés sur les rochers qui pavent le fond de la mer. Bien que l'installation de cette croûte végétale et animale soit en réalité très progressive, pour nous, le basculement entre ces deux lectures est nécessairement brutal, comme il en allait avec l'exemple précédent de Vhils.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas s'apercevoir qu'il s'agit de statues sans s'affronter au fait que leur surface a été envahie par des algues et des coquillages.

Ces algues et ces coquillages suivent nécessairement la forme des statues colonisées, mais leurs colonies évoluent selon leur propre logique qui ne suit pas la logique qui serait nécessaire pour que les formes initiales des statues restent bien visibles, car elles se gonflent, se diversifient ou se colorent en toute indépendance, et puisque les formations marines suivent les formes des statues sans les suivre, on a affaire à l'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre. L'effet de fait/défait est également bien impliqué puisque ces formations marines défont progressivement la forme sculptée qui était faite. On peut dire aussi qu'elles sont bien regroupées avec les statues qui les portent, mais qu'elles s'en distinguent nettement, ce qui fait rater ce regroupement. L'effet de relié/détaché correspond quant à lui à la façon dont les diverses concrétions marines se détachent visuellement les unes des autres tout en étant reliées au même support. Il concerne aussi la façon dont les différents statues d'un même groupe sont détachées les unes des autres tout en étant reliées ensemble par le fond marin sur lequel elles reposent et par l'eau qui les inonde et que parcourent des bancs de poissons. Enfin, et comme souvent, c'est par l'effet de déstabilisation que provoque en nous la vision de personnages reposant au fond de la mer et comme imperturbables dans leur attitude que s'exprime l'effet du centre/à la périphérie.

 

Si l'on fait maintenant un rapide survol de la 3e filière, comme pour les précédentes on ne repère aucune évolution de sa première à sa quatrième étape, les intentions partielles impliquées dans chacune des œuvres restant toujours complètement étrangères entre elles et s'ajoutant donc toujours les unes aux autres en 1+1. C'est seulement à la cinquième et dernière étape qu'apparaît une mutation par laquelle l'œuvre fabriquée selon le type 1/x parvient à servir de support à un passage progressif ou brutal entre les diverses intentions partielles, les mettant ainsi dans une relation de transformation progressive ou brutale de l'une en l'autre sans que le caractère 1+1 de leur addition ne soit pour autant remis en cause.

 

 

 

12.1.4.  L'évolution de la 4e filière de la phase d’émergence de l'ontologie Produit Fabriqué/intention, filière dans laquelle PF est du type 1+1 et i du type 1/x :

 

Pour la première étape de la 4e filière, au chapitre 12.1.0 on a donné deux exemples d'empreintes de fers à repasser réalisés par Willie Cole. De ces exemples on peut retenir que les œuvres de cette filière sont similaires, ce qui correspond à la présence en elles d'une même intention éclatée sous diverses formes (type 1/x pour l'intention), et qu'elles sont en même temps bien séparées les unes des autres et qu'elles s'ajoutent l'une à l'autre en série qui pourrait se poursuivre à l'infini (produits fabriqués du type 1+1).

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Kader Attia, L’Empreinte de l’Autre (2016)

Elle est en principe accessible à l'adresse http://kaderattia.de/lempreinte-de-lautre-2016/

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Kader Attia L’Empreinte de l’Autre 2016

 

C'est bien ainsi que se présente l'œuvre de 2016 de Kader Attia qui utilise des protections en carton moulé destinées à l'emballage de produits industriels qu'il met en scène comme s'il s'agissait de sculptures, par exemple comme s'il s'agissait de présenter des masques africains.

Chacun présenté à la verticale sur un haut socle surmonté d'un présentoir en métal, ces emballages ne génèrent ensemble aucune forme globale et s'ajoutent seulement les uns à côté des autres comme il convient pour correspondre au type 1+1. Simultanément, on peut y voir une collection d'emballages semblables par leur matériau et leur allure d'ensemble, mais dissemblables dans leurs détails, ce qui correspond à l'intention à la fois une et multiple, et donc du type 1/x, de les présenter comme s'il s'agissait d'une collection de multiples sculptures semblables.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément qu'il s'agit de protections d'emballages bien séparées sur des socles autonomes et que leurs formes sont semblables.

Dans la 4e filière, les effets sont les mêmes que dans la 2e. À la première étape, cela implique que l'effet prépondérant est le synchronisé/incommensurable, et effectivement, telles que présentées, ces protections d'emballages ont une apparence qui est étonnamment synchronisée avec l'apparence de masques dans un musée d'art africain alors que leur matérialité leur est incommensurable. Cette ressemblance avec des masques africains permet de regrouper leur apparence avec celle de tels masques, mais ce regroupement est raté quand on considère leur différence de nature, ce qui relève d'un effet de regroupement réussi/raté. Le constat de leur réalité de protection d'emballage en carton moulé défait le statut d'œuvre d'art qu'on avait pu leur prêter, c'est un effet de fait/défait. Ces boîtes d'emballage sont reliées par leur participation commune à une collection de produits similaires, mais elles sont aussi bien détachées les unes des autres, ce qui implique un effet de relié/détaché. Enfin, chaque statue/emballage constitue un centre d'intérêt visuel autonome entouré sur toute sa périphérie par des centres visuels similaires, ce qui correspond à un effet de centre/à la périphérie. On peut aussi associer à cet effet la déstabilisation qui nous affecte lorsque nous constatons que ce que l'on avait pu prendre pour des masques africains n'est en réalité qu'une collection de protections d'emballage pour des produits industriels.

 

 


 

Vincent Kohler : Turnaround (2010-2011)   Source de l'image : https://www.vincentkohler.ch/turnaround/

 

Comme exemple d'expression synthétique de la première étape de la 4e filière, une collection de fausses battes de base-ball, bien alignées les unes à côté des autres et toutes très différentes les unes des autres. Cette collection a été réalisée en 2010-2011 par Vincent Kohler, sous le nom générique de Turnaround, à l'occasion de la construction du centre sportif de Heerenschürli à Schwamendingen-Zurich qui comprenait le premier terrain de baseball réglementaire de Suisse.

Ici, l'intention de proposer une collection de battes de base-ball est diffractée en une multitude d'intentions de façonner une batte de base-ball selon une forme bien particulière qui ne se retrouvera par deux fois : cette intention est donc du type 1/x. Les diverses battes de base-ball fabriquées qui en ont résulté s'ajoutent les unes à côté des autres, en une longue suite de 1+1 battes, et sans générer ensemble une forme globale sauf celle d'une suite de battes de base-ball alignées les unes à côté des autres.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas prendre connaissance du fait qu'il s'agit toujours d'objets singeant l'aspect d'une batte de base-ball sans s'affronter au fait que leurs formes sont toutes très éloignées de l'aspect normal de telles battes.

La répétition régulière de formes en bois plus ou moins cylindriques et placées à équidistance les unes des autres implique un effet de synchronisation, lequel va de pair avec l'incommensurabilité de ces formes très fantaisistes avec la forme qu'ont les véritables battes de base-ball : c'est un effet de synchronisé/incommensurable. Toutes ces formes sont regroupées dans un alignement régulier de formes vaguement semblables à celle d'une batte de base-ball, mais ce regroupement est raté si l'on considère leur grande diversité et leurs anomalies : regroupement réussi/raté. Puisque de telles battes de base-ball sont inutilisables, leur fonctionnalité est complètement défaite : fait/défait. Elles sont reliées dans un même alignement mais bien détachées les unes des autres : effet de relié/détaché. Quant à lui, le centre/à la périphérie correspond à l'effet déstabilisant de l'apparence de battes de base-ball aux formes si incongrues, et finalement si impraticables.

 

 

Nous envisageons maintenant des exemples analytiques de la deuxième étape de la 4e filière.

 

 


Ernesto Neto : We stopped just here at the time (2002)

Source de l'image : https://perezartsplastiques.com/2015/11/02/linstallation-dans-lart-contemporain/

 

 

Ernesto Neto est un artiste brésilien (né en 1964) qui s'est fait connaître par ses suspensions de paquets de sables à l'intérieur de très longues « chaussettes » suspendues à une surface textile de même nature. Ainsi, son œuvre de 2002 intitulée « We stopped just here at the time ».

Chacune de ces « pendaisons » démarre isolément des autres, et elle poursuit son parcours vers le bas toujours sans aucun contact avec les autres. En tant qu'objets fabriqués par l'artiste, elles s'ajoutent en 1+1 les unes à côté des autres puisqu'elles ne génèrent ensemble aucune une forme globale, sauf celle de leur accumulation en forêt les unes à côté des autres. Toutes relèvent d'une même intention, celle de faire pendre un paquet de sable prisonnier à l'intérieur d'une colonne textile transparente, et cette intention se diffracte en une multitude d'intentions particulières, chacune correspondant à une couleur particulière du sable utilisé et à une longueur quelque peu différente des autres pour la colonne textile : l'intention est du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique, car nous pouvons considérer séparément le fait que toutes les colonnes qui pendent sont bien autonomes les unes des autres et le fait qu'elles se ressemblent beaucoup.

L'effet prépondérant est le même qu'en deuxième étape de la 2e filière, le ça se suit/sans se suivre : les diverses colonnes se suivent horizontalement, mais elles pendent verticalement et ne se suivent donc pas puisqu'elles sont parallèles. L'effet d'entraîné/retenu correspond au principe même de ces colonnes : elles sont entraînées vers le bas par le poids du sable qu'elles contiennent mais leur paquet de sable est retenu à quelque distance du sol par les limites de l'élasticité du textile. L'effet d'ensemble/autonomie va de soi : bien qu'autonomes les unes des autres, les colonnes génèrent ensemble l'effet d'une forêt de colonnes suspendues. L'effet d'ouvert/fermé est lié au caractère groupé, et donc fermé, de cette forêt de colonnes, une forêt qui est visuellement traversable et donc ouverte pour la vue.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Morgane Tschiember, Swing (2012 - (Acier, peinture laquée)

Elle est en principe accessible à l'adresse http://crac.laregion.fr/artiste_contemporain/469-morgane-tschiember/3172-artistes-art-contemporain-crac-montpellier-sete.htm

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Morgane Tschiember Swing 2012 Acier peinture laquée

 

Autre expression analytique pour la deuxième étape de la 4e filière, cette enfilade de bandes en acier laqué créée en 2012 par l'artiste française Morgane Tschiember (née en 1976) et intitulée « Swing ».

Chaque bande est suspendue au plafond de façon bien isolée des autres et ne fait rien avec elles, sauf un alignement dans lequel elles s'égrènent en 1+1 l'une après l'autre. Elles correspondent toutes à une même intention, celle de pendre au plafond une large bande de métal depuis les deux côtés d'un couloir en la laissant reposer au sol dans sa partie centrale. Cette intention commune se répète à multiples reprises, chaque fois pour donner forme à une bande différente, elle est donc du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique car nous pouvons considérer séparément que les différentes feuilles d'acier sont indépendantes les unes des autres et qu'elles font partie d'une même file.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre fonctionne comme dans l'exemple précédent : les feuilles d'acier se suivent en file pour former ensemble une espèce de tunnel inversé que l'on a en face de nous, mais chacune va de la gauche vers la droite ou de la droite vers la gauche, et elles ne se suivent donc pas dans ce sens-là puisqu'elles y sont parallèles. L'effet d'entraîné/retenu est également assez similaire à l'exemple précédent : la gravité entraîne les feuilles d'acier à prendre depuis le plafond et elles sont retenues au sol qui les soutient. Chacune forme une bande bien autonome qui pend du plafond et repose sur le sol, mais toutes ensemble forment une sorte de tunnel inversé continu : c'est un effet d'ensemble/autonomie. Ce tunnel inversé génère avec le plafond une forme continue close, qui est toutefois systématiquement ouverte aux endroits où les feuilles de métal sont écartées les unes des autres et qui reste également ouvert à ses deux extrémités : effet d'ouvert/fermé.

 

 

 


Ernesto Neto : Léviathan Thot au Musée des Beaux-Arts de Nantes (2009)

Source de l'image : http://entrevoirart.blogspot.com/2009/06/ernesto-neto-culpa-civilizada.html

 

 

Pour des expressions synthétiques de la deuxième étape de la 4e filière, on va retrouver les deux mêmes artistes que pour les exemples analytiques précédents.

D'abord un nouvel exemple de suspensions d'Ernesto Neto, une œuvre intitulée « Léviathan Thot », installée en 2009 au musée des Beaux-Arts de Nantes en reprise d'une installation de même type réalisée à l'intérieur du Panthéon de Paris.

Par différence avec l'exemple « We stopped just here at the time », cette fois-ci les suspensions ne sont pas toutes similaires. De minces colonnes verticales jaunâtres lestées d'un sable de couleur foncée y sont en concurrence avec des suspensions verticales blanches nettement plus volumineuses, mais surtout avec de très larges suspensions blanches en forme d'arcs, reliées entre elles et lestées d'un matériau parfaitement blanc.

Ces divers systèmes de suspension sont indépendants les uns des autres et se traversent mutuellement en s'ignorant complètement, ce qui en fait des produits fabriqués du type 1+1. Une même intention est à l'œuvre pour les générer, celle d'utiliser des textiles transparents pendus au plafond et lestés par des matériaux granulaires. Cette intention générale unique se diffracte en trois intentions distinctes, celle de fabriquer de fines colonnes verticales jaunâtres, celle de fabriquer de larges colonnes verticales blanches, et celle de fabriquer de larges suspensions blanches en forme d'arc dont les toiles sont reliées entre elles en partie haute afin de former des espèces de tentes. Par conséquent, cette intention est du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas réaliser qu'il s'agit toujours de suspensions textiles lestées de matériaux granulaires sans examiner les différents procédés utilisés pour réaliser ces suspensions, et donc sans faire l'expérience de ce qui les différencie.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre s'exprime de la même manière que dans le premier exemple d'Ernesto Neto, mais de façon un peu plus complexe : toutes les formes se suivent si on les considère dans un plan horizontal, mais certaines se dirigent verticalement, donc parallèlement et sans se suivre, tandis que d'autres génèrent des arcs qui partent obliquement et ne suivent donc pas la même direction que les suspensions verticales. L'effet d'entraîné/retenu et l'effet d'ouvert/fermé s'expriment exactement comme dans le premier exemple, tandis que celui d'effet d'ensemble/auto-nomie est un peu enrichi puisque l'effet de suspension, qui correspond toujours à un effet d'ensemble, est maintenant obtenu à l'aide de trois registres de formes bien autonomes.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Morgane Tschiember, Stars and Stripes (Diana Beach, Floride - 2010)

Elle est en principe accessible à l'adresse https://www.designboom.com/art/morgane-tschiember-stars-and-stripes/

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Morgane Tschiember Stars and Stripes Diana Beach Floride  2010

 

Le nouvel exemple de Morgane Tschiember, cette fois d'expression synthétique, a été réalisé en 2010 à Diana Beach en Floride, à l'intérieur du patio d'un immeuble. Son nom « Stars and Stripes », qui est celui du drapeau américain, souligne que cette installation est faite de longues bandes (stripes) dont le profil est celui d'une étoile (star). Ces bandes sont vivement coloriées de façons très différentes les unes des autres, et elles sont disposées dans tous les sens, sans aucune régularité décelable.

Chaque bande/étoile fabriquée par l'artiste s'affirme isolément quant à son coloris et sa disposition, et elles s'ajoutent en 1+1 les unes aux autres sans générer ensemble une quelconque forme lisible. L'intention commune qui est à l'origine de leur forme consiste à fabriquer une longue bande droite ayant un profil d'étoile, et cette intention se diffracte en une multitude d'intentions quant à la couleur à donner à chaque bande/étoile et quant à sa disposition dans l'espace (type 1/x).

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas conclure qu'il s'agit toujours de bandes/étoiles semblables sans s'affronter à leurs différences de couleur et d'orientation dans l'espace.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre correspond au fait que toutes les bandes/étoiles se suivent à l'intérieur d'un même bouquet coloré, alors qu'elles ne se suivent pas si l'on considère leurs directions qui sont différentes, à moins qu'elles ne soient parallèles deux à deux, mais elles ne se suivent pas non plus dans ce cas-là puisqu'elles vont alors côte à côte dans la même direction. L'effet d'entraîné/retenu résulte de la concurrence visuelle que se font les diverses bandes/étoiles : chacune attire notre regard du fait de sa couleur vive et de la force visuelle de son trajet, nous entraîne ainsi à la regarder et à suivre spécialement son trajet, mais nous en sommes retenus par les autres bandes/étoiles qui, de la même façon, nous entraînent à plutôt les regarder, elles. L'effet d'ensemble/autonomie va de soi : chaque bande/étoile trace dans l'espace un trajet autonome coloré d'une façon qui lui est propre, et toutes ensemble forment un groupe de trajets colorés qui partent dans toutes les directions sans aucune régularité. Ce groupe est à la fois compact, donc fermé, et facilement traversable par le regard, donc ouvert.

 

 

 


Sarah Crowner : Untitled sculptures (2012)

Source de l'image : https://dailyartfair.com/events/article/878/sarah-crowner-galerie-nordenhake/archives

 

 

Autre exemple d'expression synthétique de la deuxième étape de la 4e filière, « Untitled sculptures » de l'artiste états-unienne Sarah Crowner (née en 1974) qui fait souvent des tableaux ou des sculptures gaiement colorées, dont celle-ci qui date de 2012.

Cette sculpture comporte en fait sept différentes sculptures installées sur un même socle. Chacune a une forme qui lui est propre, qui ignore la forme des autres, qui parfois ignore aussi la couleur des autres, et chacune est installée à bonne distance des autres sans générer avec elles une plus grande forme. Bref, elles s'ajoutent l'une à côté de l'autre en 1+1.

Ces fabrications autonomes résultent cependant d'une même intention générale : ériger une forme verticale constituée de deux panneaux découpés et assemblés en équerre. Cette intention se diffracte en diverses intentions locales, chacune correspondant à l'une de ces sculptures : l'intention de dessiner une forme particulière que l'on ne retrouvera pas dans les autres, et l'intention de lui donner un coloris particulier que l'on retrouvera ou que l'on ne retrouvera pas dans les autres. L'intention relève donc ici du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas saisir ce que ces différentes sculptures ont en commun sans prendre en compte leur dispersion en des endroits séparés et leurs différences de forme : certaines s'amenuisent vers le haut, d'autres non, certains profils sont arrondis, d'autres sont droits, d'autres ondulent, et d'autres encore sont très contrastés dans leur parcours.

Ces diverses sculptures se suivent sur un même socle, mais elles se dressent vers des directions parallèles ou suivent des courbes qui se tracent sans relation avec le dessin des autres, elles ne se suivent donc pas les unes les autres sous cet aspect. Comme dans l'exemple précédent, c'est la concurrence que se font mutuellement les formes qui produit l'effet d'entraîné/retenu : chaque fois que l'on est entraîné à lire une forme qui nous captive, nous en sommes retenus parce que les autres nous entraînent avec une même énergie à plutôt les regarder. Chacune de ces formes est très autonome des autres, tant dans sa disposition dans l'espace que dans l'originalité de son profil, mais toutes ensemble font le même effet d'aplat coloré se dressant verticalement : effet d'ensemble/autonomie. En tant que groupe rassemblé sur un même socle, cet ensemble de sculptures forme un bloc fermé, mais il est en même temps ouvert car on peut facilement le traverser du regard.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Fabienne Verdier, Polyphonie, Ascèse (2013)

Elle est en principe accessible à l'adresse https://fabienneverdier.com/db/painting/polyphonie/ (la 4e image du carroussel)

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Fabienne Verdier Polyphonie Ascèse 2013

 

Comme expression analytique à la troisième étape de la 4e filière, nous retrouvons Fabienne Verdier avec une œuvre qui date de 2013, qu'elle a intitulée « Polyphonie, Ascèse », et qui fait plus de 7 m de haut. Elle est constituée de 12 panneaux, chacun rempli par un cercle noir incomplet sur fond gris bleuté, traversé de quelques traînées de peinture noire qui s'apparentent à des bavures ou à des coulures de son énorme pinceau réalisé en queues de chevaux.

Chaque panneau correspond à une fabrication autonome de la part de l'artiste, et leurs tracés circulaires ne générant pas ensemble une plus grande forme, ils s'ajoutent seulement en 1+1 les uns à côté des autres.

Il est évident qu'une même intention est à l'œuvre sur chaque panneau : sur un fond gris bleuté, peindre en noir un trait circulaire qui ne se clôture pas complètement, et l'accompagner de quelques giclures beaucoup plus fines et sensiblement horizontales. Toutefois, chaque panneau fait apparaître une intention plus spécifique qui lui est propre : l'endroit choisi pour le départ du trait circulaire est chaque fois différent, et la façon dont celui-ci s'achève avant que le cercle ne se referme est également chaque fois différente puisque le trait s'atténue parfois très lentement, parfois beaucoup plus brutalement, et parfois il perd de sa matière avant de reprendre pleine consistance. Il en va de même pour les bavures qui accompagnent le cercle qui sont chaque fois différentes. L'intention est donc du type 1/x pour des produits fabriqués du type 1+1 : on est dans la 4e filière.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément le fait qu'il s'agit d'un assemblage de panneaux autonomes et le fait que tous ces panneaux sont réalisés sur la base d'une même intention formelle.

Les effets sont les mêmes qu'à la troisième étape de la 2e filière, ce qui implique que l'effet prépondérant est l'homogène/hétérogène. Ici, le fond des panneaux est relativement homogène tandis que les dessins peints en noir à leur surface forment des signes qui lui sont très hétérogènes. Les graphismes sont hétérogènes dans leurs formes même, puisque les larges tracés circulaires sont très différents des légères giclées formant « bavures ». De chaque tracé circulaire on peut aussi dire qu'il est homogène quant à sa couleur noire et quant à sa largeur bien régulière, mais que sa partie finale qui manque de peinture a un aspect hétérogène puisqu'elle se modifie d'un endroit à l'autre. Enfin, ces différents panneaux sont hétérogènes entre eux puisque le tracé du cercle est chaque fois différent, tout comme le détail de leurs « bavures ».

Tous ces tracés circulaires sont séparés mais rassemblés côte à côte : c'est un effet de rassemblé/séparé. Ils se synchronisent tous dans une même forme circulaire de même diamètre et réalisée au moyen d'un trait de même épaisseur, et pourtant ces tracés sont incommensurables pour notre perception qui ne peut pas les visualiser de la même façon puisqu'ils ne démarrent pas au même endroit du cadran et qu'ils ne sont pas toujours réalisés dans le même sens de giration. L'effet de continu/coupé s'exprime de deux façons. D'abord, on peut remarquer que l'ensemble de l'œuvre forme une répétition continue de tracés circulaires qui sont détachés, et donc coupés, de leurs voisins. Ensuite, on peut remarquer que chaque tracé circulaire est formé par une ligne continue qui se coupe plus ou moins brutalement avant que le cercle qu'elle dessine ne se referme.

 

 

 


Subodh Gupta : Alibaba (2011)

Source de l'image :
http://blogs.lecolededesign.com
/blogs/2011/07/25/paris
-delhi-bombay/

 

 

Pour un autre exemple analytique de la troisième étape de la 4e filière, on retrouve Subodh Gupta et ses batteries de cuisine, cette fois strictement rangées en files qui semblent interminables et sur des hauteurs impressionnantes. Il s'agit de son œuvre de 2011 qu'il a appelée « Alibaba ». Pour la plupart, il s'agit ici de « boîtes à repas » destinées à transporter les mets sur le lieu de leur consommation.

Ces boîtes à repas sont des objets fabriqués industriellement qui s'alignent ici les uns à côté des autres et les uns sur les autres, s'ajoutant chaque fois en 1+1 sans rien faire ensemble globalement, sauf la forme engendrée par leurs alignements les uns à côté des autres et leurs entassements les uns sur les autres. Cette installation résulte d'une seule intention globale : mettre côte à côte et les unes sur les autres quantités de boîtes à repas en métal brillant. Cette intention globale se diffracte en diverses intentions particulières qui varient d'un endroit à l'autre, le type de boîte n'étant pas toujours le même et la hauteur de chaque assemblage de boîtes n'étant pas toujours uniforme, ce qui révèle donc une intention du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément qu'il s'agit d'un alignement/empilement de boîtes individuelles distinctes et qu'il s'agit toujours de boîtes à repas.

L'effet prépondérant d'homogène/hétérogène est procuré par l'homogénéité du matériau en métal brillant et celle de la forme ronde des boîtes, une homogénéité qui est aussi celle de leur alignement, tandis que chaque cylindre arrondi généré par un empilement de boîtes se distingue par l'hétérogénéité qu'il forme à la surface de l'empilement, et tandis que les différences de diamètre ou de hauteur dans les empilements produisent aussi des effets d'hétérogénéité.

L'effet de rassemblé/séparé correspond à la possibilité de lire aussi bien isolément chacun des différents alignements/empilements de boîtes que réunis dans leur rassemblement global. Et si chacun de ces alignements/empilements rassemble en lui une multitude de boîtes, on peut aussi repérer ces boîtes séparément les unes des autres. L'effet de continu/coupé résulte du fait qu'il s'agit de suites continues de boîtes coupées les unes des autres, soit horizontalement par l'effet de leur arrondi, soit verticalement par le tracé de leur séparation, et l'on peut également observer que les empilements sont coupés les uns des autres par des reculs d'alignement. L'effet de synchronisé/incommensurable est lié à l'aspect très brillant des objets qui empêche de bien repérer le volume de chacun et sa position dans la file, tandis que la régularité de la disposition des boîtes manifeste un effet de synchronisation bien lisible.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Fabienne Verdier, Fresque Torlonia, Opus I (Palazzo Torlonia, Rome - 2010)

Elle est en principe accessible à l'adresse https://fabienneverdier.com/db/painting/polyphonie/ (la 4e image du carroussel)

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Fabienne Verdier Fresque Torlonia Opus I Palazzo Torlonia Rome 2010

 

Pour une expression synthétique de la troisième étape de la 4e filière, la « Fresque Torlonia, Opus I » peinte en 2010 par Fabienne Verdier pour l'un des murs du Palazzo Torlonia de Rome.

On peut la décrire comme une suite de larges tracés rouges en V, en V inversés, en W, et en W inversés. Du même rouge, une fine ondulation vaguement horizontale dessine quatre traits qui traversent toute l'œuvre, laquelle est réalisée sur un fond bleu nuit uniforme.

Chaque tracé en V, V inversé, W ou W inversé, forme un signe qui peut être lu de façon autonome, toujours bien séparément de ceux appartenant à la ligne du dessus ou du dessous, et certains sont aussi bien séparés de leurs voisins de gauche ou de droite. Ils ne font rien ensemble, sauf une suite de signes qui s'ajoutent en 1+1 en se répartissant sur deux lignes superposées. Si la fabrication de ces signes relève du type 1+1, l'intention qui les a générés est en revanche du type 1/x puisqu'ils relèvent tous d'une même intention globale, celle de dessiner une forme brisée en zigzag au moyen d'un large trait rouge traversé par de fines lignes rouges ondulant comme au hasard. Cette intention globale se diffracte en intentions particulières, chacune correspondant à l'une de ces formes : le tracé démarre parfois vers le haut et parfois vers le bas, il va parfois vers la gauche et parfois vers la droite, et les signes sont visibles séparément tout en étant presque jointifs ou en formant un zigzag parfaitement continu.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas repérer qu'il s'agit de tracés foncièrement organisés de façons similaires sans s'affronter à leurs différences.

L'effet prépondérant d'homogène/hétérogène s'exprime dans le contraste entre le fond bleu homogène et les tracés rouges hétérogènes qui sont peints sur lui. Ils sont également hétérogènes entre eux puisqu'il y a de très gros tracés et de très fins tracés, et leur forme même est hétérogène du fait de leurs zigzags brutaux pour ce qui concerne les gros tracés et du fait de l'irrégularité de leurs ondulations pour ce qui concerne les tracés fins. Bien qu'hétérogènes, tous ces tracés sont toutefois réalisés de façon homogène dans une même couleur rouge.

Les gros tracés rouges, bien que séparés les uns des autres sont rassemblés sur une même surface à proximité les uns des autres, et de plus ils sont rassemblés par les fins tracés qui les relient : effet de rassemblé/séparé. L'incommensurabilité correspond aux directions obliques prises par les gros tracés rouges, des directions très opposées puisque certains partent en biais vers le haut tandis que d'autres partent en biais vers le bas, parfois vers la gauche et parfois vers la droite. Quant à elle, la synchronisation correspond au rythme régulier de leurs zigzags et à la régularité de l'écartement bleu qui les sépare, ce qui trahit une forme de coordination entre eux malgré l'incommensurabilité de leurs tracés. Le continu/coupé s'exprime de deux façons : les gros tracés forment une suite continue de zigzags dont chaque branche correspond à une coupure de direction ou à un écart à travers le fond bleu, et d'autre part les tracés fins rouges qui forment des lignes continues vaguement horizontales sont coupés par les grandes formes rouges qui les traversent.

 

 

 


Ara Peterson & Jim Drain : Pinwheels (2004-2005)

Source de l'image : https://www.youtube.com/watch?v=PHn7JD_3CRs

 

 

Autre exemple synthétique pour la troisième étape de la 4e filière, une œuvre réalisée en commun par deux artistes états-uniens, Ara Peterson (né en 1973) et Jim Drain que nous avons déjà rencontré dans la 3e filière. Leur installation de 2004- 2005 s'intitule « Pinwheels ». Elle est constituée de disques aux motifs très variés, colorés de façons très différentes et qui tournent sur eux-mêmes à des vitesses également différentes.

Tous ces disques sont des fabrications indépendantes qui ne génèrent ensemble aucune forme globale, sauf celle de leur accumulation en 1+1 les uns à côté des autres, et ils fonctionnent même séparément les uns des autres puisque leur vitesse de rotation n'est pas uniforme. Une intention globale préside à leur mise en forme, celle de fabriquer des disques violemment colorés de couleurs contrastées qui tournent sur eux-mêmes, et cette intention globale se diffracte en multiples intentions qui président individuellement à la fabrication de chacun des disques : telle ou telle dimension, tel ou tel motif, telle ou telle couleur, telle ou telle position dans le groupe, telle ou telle vitesse de rotation. L'intention est donc ici du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas prendre conscience de la similitude profonde de toutes ces formes sans avoir à surmonter leurs différences et sans faire l'expérience de leur étagement très variable dans la profondeur.

L'effet prépondérant d'homogène/hétérogène se lit au niveau de la collection des disques : ils ont une forme homogène, celle d'un disque, mais ils sont hétérogènes entre eux pour ce qui concerne leur dimension, les dessins qui les recouvrent, leurs couleurs et leur vitesse de rotation. Il se lit aussi au niveau de chaque disque, puisque chacun est recouvert d'un motif homogènement répété mais qui est très hétérogène en lui-même du fait du contraste violent de ses formes, et surtout de ses couleurs, faisant par exemple alterner le blanc et le noir, ou le rouge et le vert.

Ces disques séparés les uns des autres sont rassemblés dans une même pièce et dans un même effet de rotation : effet de rassemblé/séparé. Tous les disques se synchronisent pour faire ensemble un mouvement de rotation, mais ces mouvements sont incommensurables entre eux puisque leurs différences de vitesse ne permettent pas de les suivre en même temps, et donc de saisir commodément le mouvement de l'un par rapport aux mouvements des autres. L'effet de continu/coupé est en rapport avec l'allure générale de l'installation qui est celle d'une suite continue de disques séparés les uns des autres, et donc coupés les uns des autres. Le motif de chaque disque correspond également un effet de continu/coupé puisqu'il répète en continu des dessins et des coloris qui tranchent les uns avec les autres, et qui coupent donc perpétuellement sa surface.

 

 

 


Subodh Gupta à la Monnaie de Paris (2018 – détail)

Source de l'image : https://www.sortiraparis.com/arts-culture/exposition/articles/165734-subodh-gupta-a-la-monnaie-de-paris-exposition-a-voir

 

 

Dernier exemple synthétique pour la troisième étape de la 4e filière, choisi parce qu'il est très différent des précédents, même s'il faut reconnaître que ce n'est pas une œuvre exceptionnelle. Il s'agit d'une installation réalisée en 2018 par Subodh Gupta à la Monnaie de Paris, installation qui a consisté à placer côte à côte deux cuvettes de WC à la fois semblables et différentes.

Elles sont semblables par leur forme générale qui consiste en une arrivée d'eau murale avec robinet, une cuvette sans rabattant, un réservoir de chasse d'eau situé en hauteur actionné par une tirette, et enfin une liaison entre la cuvette et ce réservoir. Elles sont aussi différentes l'une de l'autre puisque la cuvette de gauche a été uniformément revêtue d'un matériau doré tandis que celle de droite a des coloris qui sont très hétérogènes entre eux : blanc pour la cuvette, brun pour le réservoir, couleur cuivre pour les canalisations.

Ces deux WC s'ajoutent en 1+1 l'un à côté de l'autre puisqu'ils ne font pas ensemble une plus grande forme, mais ils relèvent d'une même intention, celle d'exposer des WC, cette intention étant éclatée en deux intentions distinctes : présenter un WC doré pour l'une, présenter un WC aux couleurs hétérogènes pour l'autre. Cette intention est donc du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique car on ne peut pas s'apercevoir qu'il s'agit de la répétition côte à côte d'une même forme de WC sans avoir à surmonter leurs différences d'aspect.

On a déjà évoqué l'effet prépondérant : l'un des WC a une couleur homogène tandis que l'autre à des couleurs très hétérogènes. On peut y ajouter que la forme des deux appareils est homogène tandis que leurs coloris sont hétérogènes entre eux. Ils sont rassemblés dans le même coin de pièce tout en étant bien séparés l'un de l'autre : effet de rassemblé/séparé. Ils sont synchronisés quant à leur forme, mais l'aspect ordinaire de celui de droite et l'aspect doré extraordinaire de celui de gauche les rend incommensurables : effet de synchronisé/incommensurable. Depuis le robinet d'arrêt qui commence la tuyauterie jusqu'à l'extrémité de la tirette, en passant par la cuvette, par la conduite de la chasse d'eau et par le réservoir, chaque WC forme une suite continue de formes qui est coupée en étapes, alternant notamment les longues formes minces et les formes trapues : effet de continu/coupé.

 

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Katharina Fritsch, Dinner party (1988)

Elle est en principe accessible à l'adresse https://www.yelp.de/biz_photos/mmk-2-frankfurt-am-main?select=WU9ZHZbflziEkK1pDUJDWg

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Katharina Fritsch Dinner party 1988

 

Comme exemple analytique de la quatrième étape de la 4e filière, une nouvelle œuvre de Katharina Fritsch dont nous avions déjà envisagé la Madone jaune à l'occasion de la 1re filière. Il s'agit cette fois d'une œuvre de 1988 intitulée « Dinner Party » qui, de chaque côté d'une très longue table, aligne une également longue file de personnages absolument identiques à la peau blanche, au vêtement noir, et à la chevelure noire.

Ces personnages s'ajoutent en 1+1 les uns à côté des autres puisqu'ils ne font rien ensemble à part l'effet de file qui résulte de cette addition. On décèle clairement une intention globale, celle de disposer des personnages assis autour d'une table à motif blanc et rouge, et cette intention se subdivise en plusieurs intentions (type 1/x) : disposer une nappe à motif blanc et rouge sur une très longue table, disposer des personnages blancs habillés de noir assis sur un banc sur toute la longueur d'un côté de la table, disposer face à eux des personnages similaires sur toute la longueur de l'autre côté de la table.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément le fait que les personnages sont tous semblables et le fait qu'ils se répètent à distance les uns des autres.

L'effet prépondérant est le même qu'à la quatrième étape de la 2e filière, le rassemblé/séparé : tous les personnages bien séparés les uns des autres sont rassemblés autour d'une même table.

L'effet de lié/indépendant se rattache aussi à cette disposition : les personnages sont indépendants les uns des autres mais la table sur laquelle ils s'appuient les relie. L'effet de même/différent a plusieurs aspects : un même personnage arbore des couleurs très différentes, les différents personnages ont la même forme et les mêmes couleurs, et ces différents personnages appartiennent à la même assemblée de personnages réunis autour d'une même table. L'extérieur de chaque personnage est bien repérable à l'intérieur de leur file, c'est un effet d'intérieur/extérieur. Enfin, l'effet d'un/multiple est facilement repérable et de plusieurs façons : un même personnage est reproduit à de multiples reprises, chacun est franchement divisé en deux couleurs, et la table est recouverte d'un unique motif répété de multiples fois.

 

 

 


Xavier Mascaró : Guardians (2010)

Source de l'image :
https://commons.wikimedia.org
/wiki/File:Guerreros_de_Xavier_
Mascar%C3%B3_-_14556538738.jpg

 

 

Autre exemple analytique de la quatrième étape de la 4e filière, les « Guardians » réalisés en 2010 par Xavier Mascaró et qui ont beaucoup de points communs avec l'œuvre de Katharina Fritsch que l'on vient de décrire, alignés comme eux selon deux files symétriques de personnages semblables. On ne répétera pas l'analyse, se contentant de signaler la similarité de l'organisation globale de ces deux œuvres avec celle de Morgane Tschiember intitulée « Swing » envisagée pour la deuxième étape de cette même 4e filière. Cette similarité montre, une nouvelle fois, qu'il n'y a pas d'évolution fondamentale d'une étape à l'autre dans une filière, sauf au moment de la mutation de la dernière étape.

 

 

 


Alex Olson : Rote (2014)

Source de l'image : https://www.shanecampbellgallery.com/previous-fairs/2014/fiac/

 

 

Pour ne pas se contenter d'installations ou de sculptures, on donne un dernier exemple analytique pour la quatrième étape, un exemple qui concerne cette fois une peinture. Il s'agit d'une œuvre de la peintre états-unienne Alex Olson (née en 1978), qui date de 2014 et qu'elle a intitulée « Rote ». Il ne s'agit d'ailleurs pas complètement d'une peinture puisque les reliefs sont réalisés en pâte à modeler.

Ses ronds bleus s'additionnent en 1+1 ronds bleus les uns à côté des autres, ils relèvent d'une même intention, celle de réaliser des reliefs arrondis dont la surface est bleutée et mise en forme sur une surface uniforme gris clair, et cette intention se diffracte en diverses intentions différentes (1/x), chacune correspondant à une teinte plus ou moins foncée de la couleur bleue et à une forme dont le rond est déformé d'une façon chaque fois différente.

L'expression est analytique, car on peut considérer séparément que les reliefs arrondis sont similaires et qu'ils sont bien séparés les uns des autres.

Il n'est pas besoin d'insister sur les effets plastiques qui vont de soi et que chacun pourra facilement déceler : le rassemblé/séparé, le lié/indépendant, le même/différent et l'un/multiple. L'extérieur/intérieur est encore lié ici au fait que l'extérieur de chaque rond est bien repérable à l'intérieur de ce groupe de ronds, mais on peut aussi faire valoir que les ronds en relief sont à l'intérieur de l'œuvre tout en étant à l'extérieur de sa surface.

 

 



 

À gauche, Fiona Banner : Full Stops (installation de 1998)

Source de l'image : https://www.1301pe.com/past-exhibitions-1/fiona-banner

À droite, Paola Pivi : You started it … I finish it (2014)

Source de l'image : https://www.ngv.vic.gov.au/essay/paola-pivi-you-started-it-i-finish-it/

 

 



 

Ranjani Shettar , à gauche : Fire in the Belly (2007)

Source de l'image : http://www.lokvani.com/lokvani/article.php?article_id=4743

À droite : Me, no, not me, buy me, eat me, wear me, have me, me, no, not me (2006)

Source de l'image : https://www.artslant.com/global/artists/show/60769-ranjani-shettar?page=1&tab=ARTWORKS

 

 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 4e filière, de façon groupée quatre œuvres différentes qui sont semblables dans leur principe. D'abord, une installation de 1998 de l'artiste anglaise Fiona Banner (née en 1966) qu'elle a intitulée « Full Stops » et qui rassemble plusieurs formes blanches toutes différentes les unes des autres : une boule, des formes en œuf plus ou moins allongées et plus ou moins grandes, une forme en croix cubique. Ensuite, « You started it … I finish it » de 2014 de Paola Pivi, qui rassemble plusieurs ours en peluche de couleurs différentes et dans des attitudes différentes. Ensuite encore, une œuvre de 2007 de l'artiste indienne Ranjani Shettar (née en 1977) qu'elle a intitulée « Fire in the Belly » et qui rassemble de multiples formes de même couleur mais de volumétries différentes. Pour finir, une autre œuvre de 2006 de Ranjani Shettar, cette fois consistant en des fabrications en végétal tissé, de formes semblables, mais de tailles différentes et différemment orientées dans l'espace. Elle l'a intitulée « Me, no, not me, buy me, eat me, wear me, have me, me, no, not me ».

Dans chacun de ces quatre exemples les fabrications de l'artiste s'additionnent en 1+1 les unes à côté des autres, bien séparées les unes des autres, et sans faire ensemble une plus grande forme qui les rassemblerait, sauf un effet de file ou de groupe de 1+1 objets similaires. Chaque fois on peut repérer une intention globale, celle de faire un type de forme particulier, et cette intention se diffracte en multiples intentions (type 1/x), chacune consistant, soit à faire des formes chaque fois différentes, soit à changer chaque fois le coloris, soit à changer chaque fois la taille, soit à changer chaque fois l'orientation dans l'espace, soit encore à combiner plusieurs de ces intentions.

Il s'agit d'expressions synthétiques : dans chaque série on ne peut pas repérer ce qui fait que l'on a affaire à des productions similaires sans devoir surmonter ce qui les fait différentes.

Comme pour les exemples analytiques, les effets plastiques correspondant à cette quatrième étape vont de soi : dans chaque série, les objets similaires sont séparés mais rassemblés dans une même série, ils sont autonomes dans l'espace mais liés ensemble par leur participation à une même file ou à un même groupe de formes semblables, ils sont à la fois mêmes et différents, ils sont d'un même groupe de multiples objets semblables, et enfin, à l'intérieur de chacun de ces groupes, l'extérieur de chacun des objets est bien repérable.

 

 

On en vient à nouveau à la cinquième et dernière étape de la 4e et dernière filière.

Au chapitre 12.1.0, pour introduire à l'évolution caractéristique de cette filière à sa dernière étape et dans son expression analytique, on avait donné l'exemple du visage de femme réalisé par Vhils au moyen du grattage des couches successives d'un mur.

 

 


Michel Lamoller : de la série Tautochronos

Source de l'image : http://wetheurban.tumblr.com/post/129813123609/tautochronos-michel-lamoller-tautochronos-by

 

 

Combinant une série de photographies superposées, c'est un procédé analogue qu'a utilisé Michel Lamoller pour réaliser ce visage d'homme. Ces photographies sont ajoutées les unes sur les autres, et le fait que leurs différentes tranches montrent des détails différents garantit qu'il s'agit bien d'un procédé d'addition de 1+1 photographies indépendantes de personnages qui sont différents les uns des autres, mais en découvrant partiellement des bouts de chacune, Michel Lamoller met en relation ces photographies indépendantes puisqu'elles forment ensemble ce visage composite. Un visage qui n'existe pas et qui n'a jamais été photographié : chacune des personnes photographiées y prête seulement des morceaux de la couche qu'il occupe pour correspondre à l'une des multiples intentions partielles regroupées dans l'intention globale qui consiste à fabriquer un portrait composite du type 1/x.

Vhils donnait l'occasion à des couches plus ou moins profondes d'un mur de se mettre en relation pour fabriquer ensemble un portrait tout en restant dans leur situation de 1+1 couches superposées. De la même façon, Michel Lamoller donne l'occasion à des couches plus ou moins profondes d'une série de photographies de se mettre en relation en fabriquant ensemble un même visage tout en restant dans leur situation de 1+1 photographies superposées. Dans les deux cas se trouve satisfaite la quête de la 4e filière qui est de permettre aux produits fabriqués qui s'additionnent en 1+1 d'apparaître aussi relever du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément les indices qui montrent que l'on a affaire à une série de photographies différentes superposées et le visage global qui apparaît grâce à leur assemblage.

On retrouve les mêmes effets qu'à la dernière étape de la 2e filière, l'effet prépondérant étant à nouveau le synchronisé/in-commensurable : les divers morceaux apparents des photographies sont incommensurables entre eux puisqu'ils ne concernent pas les mêmes personnes et appartiennent à des couches qui se masquent les unes les autres, mais ils savent se synchroniser pour générer ensemble la photographie d'une personne imaginaire.

L'effet de regroupement réussi/raté correspond au regroupement réussi des divers morceaux de photographies dans un même portrait, cela bien que l'on perçoive que ces divers morceaux appartiennent à des photographies de personnes différentes de telle sorte que leur regroupement dans une image cohérente est raté. L'effet de fait/défait a trait aux imperfections que l'on relève dans ce portrait, par exemple, un bout du menton portant la barbe contrairement à ce qu'il en va pour un autre bout, ou bien des cheveux qui apparaissent en plein milieu du front : si l'on voit bien que le portrait d'un personnage est fait, on est obligé de considérer que beaucoup de ses détails défont sa crédibilité en tant que portrait réaliste. L'effet de relié/détaché se rapporte au principe même de la génération de cette image : des morceaux de photographies différentes, superposées et donc détachées les unes des autres, se relient ensemble dans un même portrait. Enfin, et comme souvent, le centre/à la périphérie correspond à un effet de déstabilisation, celle qui nous saisit lorsque nous constatons que le portrait que nous voyons ne correspond à aucune réalité et ne résulte que de l'addition de morceaux de photographies qui n'ont rien à voir les unes avec les autres.

 

 

 


Leandro Erlich : Collection de nuages (détail – 2011)

Source de l'image : https://curatingthecontemporary.org/2015/05/08/nephelococcygia-curators-and-the-now/leandro-erlich/

 

 

Autre expression analytique de la dernière étape de la 4e filière qui utilise aussi des couches indépendantes superposées faisant ensemble une même image, la « Collection de nuages » de Leandro Erlich datant de 2011 : des plaques en verre sont ajoutées en série du type 1+1 les unes derrière les autres, et dans la direction perpendiculaire à leurs tranches se forme l'image de nuages dont chaque plaque ne porte qu'une partie. Ainsi, bien que s'ajoutant en 1+1 décalées les unes des autres, ces différentes plaques de verre participent à l'intention globale de former l'image d'un nuage répartie sur x plaques décalées, et donc une image fabriquée du type 1/x.

Le caractère analytique de cette solution est facilement décelable puisque l'aspect 1+1 de l'addition des différentes plaques fabriquées par l'artiste s'observe sur la tranche tandis que l'intention 1/x de montrer l'image d'un nuage ne se révèle que si l'on regarde de face et doit donc être considérée séparément.

En raison de sa similitude avec l'exemple précédent, il n'est pas besoin d'analyser celui-ci en détail.

 

 

 


Leandro Erlich : The Swimming Pool (2004)

Source de l'image : http://toplinediamond.com/TabNews/TabNewsDetail/16471

 

 

On en vient à l'expression synthétique de la dernière étape de la 4e filière, d'abord avec une installation de Leandro Erlich qui joue sur l'illusion de la présence d'eau, tout comme il avait utilisé ce même thème, mais d'une autre façon, dans ses faux reflets de bateaux dans le faux bassin nautique envisagé à la fin du chapitre 12.1.0. Dans « The Swimming Pool », installée en 2004 au Japon mais aussi en d'autres occasions, seule une mince couche de 10 cm d'eau est présente sur une surface en verre au-dessus de la piscine, ce qui suffit pour générer des ondulations qui font croire que la piscine est remplie d'eau. On peut pénétrer librement sous ce toit en verre, et depuis l'intérieur on voit alors onduler les personnes sur les plages du bassin comme si la piscine était remplie, tandis qu'inversement ceux qui sont autour de la piscine peuvent croire que des personnes sont plongées dans l'eau et s'étonnent de les voir se mouvoir comme à l'air libre.

Ici, ce sont les lieux qui sont complètement étrangers l'un pour l'autre et qui s'ajoutent en 1+1, car en effet le volume de la piscine et celui des plages qui l'entourent ne forment pas un espace continu : l'un est supposé rempli d'eau et donc « irrespirable », inadapté à la survie de personnes non équipées pour la vie sous-marine, et l'autre est « normalement vivable » pour des humains. Ici on a donc affaire à 1 volume d'eau + 1 volume d'air, pas à un volume continu adapté à la vie humaine.

L'intention globale vise à donner l'illusion que des personnes sont réellement plongées dans l'eau d'une piscine. Elle se décompose en deux intentions partielles, l'une qui correspond à l'illusion que l'on a depuis le fond de la piscine, l'autre qui correspond à l'illusion que l'on a depuis les plages, ce qui fait donc une intention du type 1/x pour des « espaces fabriqués » qui s'ajoutent en 1+1. On est bien dans la 4e filière.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas percevoir les personnes dans la piscine (si on est au-dehors) ou hors de la piscine (si on est dedans) sans percevoir des ondulations qui déforment leur apparence.

Le « truc » du toit en verre recouvert de 10 cm d'eau est ce qui rend possible une mise en relation du type 1/x de ces deux espaces incompatibles qui continuent pourtant de s'ajouter en 1+1 comme il convient pour la dernière étape de la filière. Grâce à lui les deux espaces restent librement circulables, et l'on peut passer de l'un à l'autre sans vêtement de plongée : il y a l'espace en dessous du dispositif trompe l'œil, et il y a l'espace au-dessus de lui, ce sont les deux espaces en lesquels se divise l'unique dispositif trompe l'œil qui a été fabriqué et qui est donc matériellement du type 1/x, bien qu'il corresponde aussi à la fabrication de deux espaces s'ajoutant en 1+1 puisqu'on ne peut pas passer en continu de l'un à l'autre.

L'effet prépondérant de synchronisé/incommensurable est lié à cette illusion : les deux espaces sont incommensurables l'un pour l'autre puisque l'un est adapté à la vie humaine tandis que l'autre n'y est pas, mais la vue que l'on a est synchronisée avec ce que l'on verrait si l'on pouvait respirer dans l'eau. Visuellement, les personnes dans le fond de la piscine sont regroupées avec le volume d'eau censé occuper l'intérieur de la piscine, mais ce regroupement échoue car nous comprenons bien qu'il ne s'agit que d'une illusion : effet de regroupement réussi/raté. La survie des personnes dans l'eau est faite si l'on en croit nos sens, mais elle est défaite si l'on en croit notre raison : effet de fait/défait. Les personnes situées dans la piscine sont détachées de celles situées sur les plages par la présence du miroir d'eau, mais elles y sont reliées puisque l'on peut passer en continu d'un espace à l'autre : effet de relié/détaché. Quant à l'effet du centre/à la périphérie, c'est encore un effet de stupéfaction qui nous déstabilise qu'il faut ici invoquer.

 

 

 


Pejac : Réfugiés (Street Art en Jordanie – 2016)

Source de l'image : https://streetartnews.net/2016/04/pejac-in-amman-jordan.html

 

 

Dernier exemple d'expression synthétique pour la dernière étape de la 4e filière, une œuvre de Street Art réalisée en 2016 en Jordanie par l'artiste espagnol Pejac (né en 1977). Son intervention a consisté à écailler la peinture d'un mur pour donner l'impression que la dégradation de sa peinture représentait seulement par hasard la silhouette d'un paysage parcouru par des réfugiés en transit. Cette scène silhouettée ne fait certainement pas partie de l'état normal de la peinture du mur, elle s'y ajoute en 1+1 du fait de son hétérogénéité de nature : 1 pur revêtement physique de couleur uniforme qui commence à s'écailler + 1 scène imagée complexe représentant des personnages.

L'intention était de figurer une scène en silhouette sur un vieux mur. Elle s'est divisée en deux intentions complémentaires, d'une part l'intention d'utiliser l'état vétuste de la peinture pour incorporer cette scène à son écaillage naturel ancien, d'autre part l'intention de donner à voir une scène dont le dessin apparaîtra artificiel et ne pouvant pas seulement résulter du hasard d'un tel écaillage. L'intention relève donc du type 1/x, et comme il convient pour correspondre à la dernière étape de la 4e filière dans le cadre d'une expression synthétique, les deux aspects de cette fabrication (l'écaillage naturel et la scène imagée) se répartissent sur les deux parties de l'intention 1/x pour profiter de ce caractère 1/x tout en continuant à s'ajouter en 1+1 : bien que la présence d'une scène complexe silhouettée soit sans rapport avec la dégradation naturelle de la peinture du mur et qu'elle s'y ajoute en 1+1, l'incorporation de cette scène à l'écaillage du mur permet de considérer que l'écaillage de la peinture et la présence de la scène silhouettée sont deux aspects complémentaires de la fabrication que l'on a devant les yeux.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas saisir l'intention de l'artiste sans prendre en compte les deux parties de son œuvre, celle qui utilise les dégradations naturelles de la peinture du mur et celle qui correspond à son intervention d'écaillage volontaire.

L'effet prépondérant de synchronisé/incommensurable résulte de l'improbabilité que la peinture du mur se soit précisément écaillée pour générer la vue d'un tel paysage peuplé de personnages aussi finement dessinés : la vue de cette scène de réfugiés voyageant dans un paysage est incommensurable avec un écaillage naturel de la peinture du mur, et pourtant ces deux réalités sont ici synchronisées dans une même silhouette.

Cette scène est matériellement regroupée avec la surface dégradée de la peinture du mur, mais nous ressentons bien que la présence de cette scène est artificielle, ce qui fait rater son regroupement avec la réalité normale de l'état du mur : effet de regroupement réussi/raté. L'illusion est faite que la scène en silhouette appartient à l'écaillage naturel de la peinture, elle est défaite lorsque nous considérons que cela n'est pas véritablement possible : effet de fait/défait. La scène silhouettée est reliée au mur puisqu'elle utilise l'écaillage de sa peinture, tandis que les silhouettes sombres qui la constituent se détachent visuellement sur le blanc de cette peinture : effet de relié/détaché. Comme dans tous les exemples précédents, l'effet du centre/à la périphérie s'exerce en nous déstabilisant, ici par la stupéfaction qui nous prend lorsqu'on voit que la dégradation naturelle du mur a la forme d'une scène en silhouettes.

 

 

Le bilan de l'évolution de la 4e filière amène à la même conclusion que pour les trois autres : si sa cinquième et dernière étape voit brusquement apparaître la maturation qui permettra de passer à la phase ontologique suivante, aucune évolution ne se laisse voir avant cette étape, seule l'évolution des effets plastiques laissant deviner que quelque chose murit malgré tout d'une étape à l'autre. Ainsi, il n'y a pas de différence d'organisation entre les marques de brûlures de fer à repasser de Willie Cole côte à côte une même feuille de papier à la première étape, les grands cercles mal fermés côte à côte peints par Fabienne Verdier à la troisième étape, ou les ronds bleus côte à côte d'Alex Olson à la quatrième. À la dernière étape seulement, la lecture des produits fabriqués qui relève du type 1+1 vient soudainement se doubler d'une lecture des mêmes productions de l'artiste selon le type 1/x.

 

> Suite du chapitre 12 – L'émergence du nouveau cycle en architecture