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14.1.2.  L'évolution de la 2e filière de la phase de 1re confrontation de l'ontologie matière/esprit, filière dans laquelle M est du type 1/x et e du type 1+1, et dans laquelle la tension entre les deux notions est de forte intensité :

 

 



 

Recto et verso de la tablette de Geißenklösterle, Allemagne

Source des images : https://donsmaps.com/adorant.html

 

 

Pour l'expression analytique de la première étape de la 2e filière, une plaquette en ivoire de mammouth provenant de la grotte Geißenklösterle, près d'Ulm en Allemagne, souvent dénommée « l'Adorant » à cause de son attitude aux bras levés, comme en prière, mais il s'agit d'une interprétation contemporaine qui n'avait probablement pas de signification à l'époque aurignacienne.

Le personnage représenté a été dégradé par l'érosion, ce qui ne permet pas de savoir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, voire d'un être mi-humain/mi-animal, ses bras courts pouvant être interprétés comme des pattes et certains ayant suggéré qu'il y avait une sorte de queue qui pendait jusqu'au sol entre ses jambes. Mais peu importe puisque, s'il s'agit d'un être hybride, cet aspect ne ferait que l’apparenter à l'homme/lion qui nous a servi pour illustrer la première étape de la 1re filière. Pour illustrer spécialement la première étape de la 2e filière, ce qui nous importe est qu'il s'agit d'une sculpture qui se dégage en haut-relief du fond qui lui sert d'arrière-plan. En cela, cette plaquette se différencie de tous les exemples que l'on a donnés pour toutes les étapes de la 1re filière et elle s'apparente déjà à ceux de la dernière étape de la 2e filière, c'est-à-dire aux dessins gravés se distinguant à la surface du matériau poli leur servant de fond et de support. Ici, on a bien déjà un fond, et aussi une figure qui se détache de ce fond qui lui sert de support.

Un même matériau continu sert à deux fonctions complémentaires, celle de sculpture et celle de support pour cette sculpture, cette matérialité relève donc du type 1/x, quant à l'esprit de l'artiste il fait preuve ici de deux intentions autonomes qui s'ajoutent en 1+1 : transformer un morceau d'ivoire en objet destiné à un usage particulier, de façon équivalente à la transformation d'une pierre en arme ou en racloir, et sculpter la représentation d'un être doté d'un esprit.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément l'existence d'un support qui sert de fond et la réalisation sur ce fond d'une sculpture en haut-relief.

À la première étape de la 2e filière l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre : le volume sculpté en haut-relief suit matériellement le volume de la plaquette qui lui sert de support, mais il ne le suit pas puisqu'il s'agit d'une figure qui se dresse devant lui et qui, par ailleurs, ne continue pas la fonction de support rendu par ce fond mais fait autre chose, une figure précisément.

La figure est regroupée avec son support auquel elle adhère complètement mais se détache de lui en avant-plan : effet de regroupement réussi/raté. Une sculpture en haut-relief est faite en premier plan, mais elle est défaite au niveau du support qui ne propose qu'une surface plane. Cet effet de fait/défait peut aussi se décrire ainsi : un personnage en relief est fait, mais il est aussi défait puisqu'il est considérablement aplati et complètement attaché à son support, ce qui lui fait deux différences par rapport à une personne réelle. Le personnage sculpté est relié de toute sa surface à son support tout en se détachant de lui en relief : c'est un effet de relié/détaché. Enfin, l'effet du centre/à la périphérie : le personnage sculpté s'équilibre en se bloquant par toutes ses extrémités (bras, tête, pieds) à la périphérie de la plaquette sur laquelle il est accroché.

 


 

Sources des images : https://www.donsmaps.com/vogelherd.html  et  https://www.wikiwand.com/fr/V%C3%A9nus_de_Hohle_Fels


 

Grotte de Vogelherd, Allemagne : à gauche un cheval, ci-dessus, un félin

À droite : la Vénus d'Hohle Fels, Allemagne


 

Pour l'expression synthétique de la première étape de la 2e filière, trois statuettes en ivoire trouvées en Allemagne. Un cheval aux pattes réduites à des moignons provenant de la Grotte de Vogelherd, un félin très probablement réalisé sans tête provenant de la même grotte, et une femme usuellement dénommée la Vénus d'Hohle Fels dont la tête a été remplacée par un petit anneau servant à l'accrocher en pendentif.

Au chapitre 14.1.0 on a vu que la dernière étape de la 2e filière, dans son expression synthétique, consistait à mettre en relation deux aspects très différents de la notion d'esprit, en évoquant la forme matérielle d'un être doté d'un esprit, et en évoquant celle-ci de façon très allusive, parfois même par une forme très différente, cela afin de révéler la capacité particulière d'abstraction dont est capable l'esprit humain. On en a déduit que l'ensemble des expressions synthétiques de la 2e filière devait tourner autour de ce thème, et qu'on devait donc le trouver dès la première étape, au moins de façon confuse. C'est bien cela que l'on trouve dans ces trois statuettes : un cheval avec des moignons en guise de pattes mais que notre esprit est capable d'assimiler à la représentation d'un cheval complet, un félin sans tête mais que notre esprit est capable d'assimiler à l'aspect d'un félin complet, une femme sans tête, avec des jambes réduites à des moignons et des signes sexuels surdimensionnés, mais que notre esprit est capable d'assimiler à la représentation d'une femme complète et normale.

Chaque fois la statuette est faite d'un matériau unique comportant de multiples détails, ce qui relève du type 1/x. L'apparence matérielle d'un être doté d'un esprit et la capacité abstraite de l'esprit humain d'imaginer une autre réalité que celle strictement montrée correspondent à des aspects de l'esprit très autonomes l'un de l'autre, lesquels ne peuvent donc que s'ajouter en 1+1.

Il s'agit d'expressions synthétiques car on ne peut pas considérer ce que ces statuettes révèlent de la capacité d'abstraction de l'esprit humain sans considérer les formes matérielles qui permettent à cette capacité de s'exercer.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre peut s'envisager de deux façons : d'une part, les pattes, les jambes ou les têtes normales ne suivent pas les figurines qui en manquent, mais notre imagination permet d'y remédier et de faire comme si elles suivaient ; d'autre part, ces figurines suivent l'apparence normale des animaux ou de la femme représentée, mais elles ne la suivent pas vraiment puisqu'il leur manque la tête, des pattes, ou des jambes de longueur normale.

L'apparence d'un cheval, d'un félin ou d'une femme est bien regroupée dans notre esprit lorsque nous considérons ces figurines, mais une partie de leurs membres ne l'est pas : c'est un effet de regroupement réussi/raté. Pour la même raison, on peut dire que la représentation des animaux ou de la femme est bien faite, mais quelle est mal faite, et donc défaite, à cause des membres qui leur manquent ou qui sont difformes : effet de fait/défait. Par l'imagination, les têtes ou les extrémités des pattes ou des jambes qui manquent sont reliées au reste du corps des animaux et de la femme, mais elles en sont aussi détachées puisqu'elles ne sont pas présentes : c'est un effet de relié/détaché. L'effet du centre/à la périphérie est porté par deux effets de déstabilisation distincts : d'une part, nous sommes stupéfaits d'avoir affaire à des animaux ou à une femme sans tête ou avec des membres réduits à l'état de moignons, une déstabilisation qui devait d'ailleurs être bien plus importante à l'époque aurignacienne qu'à la nôtre car nous sommes désormais bien habitués à la manipulation des images ; d'autre part, pour ce qui concerne les pattes ou les jambes réduites à l'état de moignons, par la dérobade du support qu'elles impliquent puisque les statuettes ne s'appuient pas sur le sol à la hauteur que nous attendons et elles semblent donc effondrées, et donc déstabilisées.

 

Bâton et tube sculptés  de la grotte de La Ferrassie (France)

 

Source de l'image : https://donsmaps.com/ferrassie.html




Os avec entailles de l'Abri Cellier (France)

 

Source de l'image : https://donsmaps.com/sousruth.html

 

 

Nous en venons à l'expression analytique de la deuxième étape de la 2e filière. Cette filière se termine par des graphismes compliqués gravés à la surface d'outils ou d'objets du quotidien, et en conséquence le dialogue entre l'objet et ses sculptures ou gravures est le thème de son expression analytique. L'utilisation préférentielle de la gravure est acquise dès la deuxième étape, les suivantes ne verront que des complications progressives des gravures ou de la forme des objets gravés.

Cela commence avec la répétition régulière de formes simples, soit des barres ou hachures, soit des cernes. Comme exemples, un bâton profondément creusé par des cernes périphériques et un tube gravé de hachures profondes qui viennent de la grotte de la Ferrassie, et deux os portant des entailles assez régulièrement espacées trouvés dans l'abri Cellier. Ces deux sites se trouvent en Dordogne, en France.

Dans tous ces cas, puisque l'on peut facilement distinguer la forme qui sert de support de l'intervention de sculpture ou de gravure profonde, il s'agit d'une expression analytique.

Chaque fois un objet matériel unique a été divisé en multiples parties ou marqué par de multiples entailles, ce qui correspond au type 1/x pour son aspect matériel. Quant au choix du support et à sa préparation par l'esprit de l'artiste, cela relève d'un aspect de l'esprit qui n'a rien à voir avec la façon dont notre esprit sait reconnaître la régularité rythmique de ces entailles, ces deux notions de l'esprit s'ajoutent donc l'une à l'autre en 1+1.

Comme à la première étape, l'effet prépondérant à la deuxième est le ça se suit/sans se suivre : toutes les bagues sculptées et toutes les entailles gravées se suivent en files continues, mais puisqu'elles sont parallèles elles ne vont pas dans le sens de leur file et ne se suivent donc pas.

L'effet d'entraîné/retenu joue sur la répétition de signes semblables très proches les uns des autres, de telle sorte que nous ne savons pas sur lequel fixer notre attention : lorsque l'un la retient, les autres nous entraînent à les examiner plutôt que lui. L'effet d'ensemble/autonomie s'exprime simplement : toutes ces bagues ou entailles peuvent se lire isolément, indépendamment les unes des autres, mais elles peuvent aussi bien se lire pour les files continues qu'elles forment ensemble. Enfin, l'effet d'ouvert/fermé joue avec le parallélisme de ces figures : leur parcours est toujours ouvert puisque les entailles sont ouvertes à leurs extrémités et que les bagues entaillées dans le bâton peuvent se parcourir indéfiniment sur tout leur périmètre, mais notre regard ne cesse de buter d'une forme à l'autre si on lit dans le sens longitudinal du support, ce qui implique que le déplacement de notre regard est sans cesse fermé dans ce sens-là.

 


 

Abri Cellier, France : vulves ou ventres et jambes

Source de l'image : https://donsmaps.com/sousruth.html


 

La Ferrassie, France : ventre et vulve ou torse et jambes

Source de l'image : https://donsmaps.com/ferrassie.html


 

La Ferrassie, France : torse et jambes

Source de l'image : https://donsmaps.com/ferrassie.html


 

La Ferrassie, France : torse et jambes

Source de l'image : idem

 

 

Pour l'expression synthétique de la deuxième étape de la 2e filière, d'autres exemples trouvés dans l'abri Cellier et dans la cave de la Ferrassie. Ce sont des gravures profondes que l'on peut même parfois considérer comme des hauts-reliefs. Dans les explications usuelles des préhistoriens, chaque fois il s'agirait de représentations de vulves. Pour ce qui concerne la gravure donnée en deuxième exemple, Alain Testar a toutefois critiqué cette interprétation ([1]) et estimé qu'il fallait plutôt y voir une vulve et un ventre séparés par un trait qui pourrait être un repli de la peau du bas du ventre. Cette interprétation est possible, mais pourquoi ne pas y voir tout aussi bien un torse et deux jambes séparées par un trait de ceinture. On ne peut d'ailleurs pas écarter la possibilité que le graveur ait choisi de créer une ambiguïté entre ces deux lectures. La même ambiguïté me semble également à envisager pour les sculptures de l'abri Cellier du premier exemple : outre la possibilité de lire des vulves, on pourrait alors aussi bien y lire deux jambes réunies par un ventre. Quant aux deux derniers exemples, l'interprétation comme vulve ne résulte que du regard un peu obsédé à en trouver des premiers spécialistes de la Préhistoire, majoritairement des hommes et souvent gens d'église, car, si on se défait de l'a priori d'y voir des vulves, on lit très bien, dans l'un, un torse et deux jambes croisées, dans l'autre, des jambes écartées séparées du bas d'un torse par une ceinture, et cela d'une façon qui rappelle beaucoup la Vénus d'Hohle Fels. Dans ce dernier cas, on peut même soupçonner le triangle du bas ventre qui le sépare des cuisses et, si l'on y tient absolument, une vulve en bas de ce triangle.

Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de vulves ou de jambes surmontées d'un torse, ou encore d'une volonté délibérée de l'artiste de provoquer une confusion entre ces deux lectures, tout ce qui nous importe ici est qu'il s'agit chaque fois d'images qui évoquent seulement par allusion la présence de femmes, sans donc que l'apparence matérielle complète de ces femmes ne soit représentée. Cela est bien dans le fil du thème de l'expression synthétique de la 2e filière qui se terminera par l'évocation de femmes au moyen de formes très abstraites et très éloignées de la forme réelle d'une femme. À la deuxième étape on en est donc seulement à utiliser des parties de femmes pour évoquer des femmes entières, et il s'agit d'une expression synthétique car on ne peut pas réaliser qu'il s'agit de femmes sans constater qu'elles ne sont que partielles.

Dans ces figures partielles, la notion d'esprit intervient de deux façons très différentes, voire contradictoires, qui ne peuvent que s'ajouter en 1+1 : il s'agit d'évoquer des femmes, et donc des êtres dotés d'un esprit, et il s'agit de les évoquer de façon volontairement tronquée afin que notre esprit les complète. Tout cela dans un même matériau et dans le même matériau que celui qui entoure ces figures : la matière est ici du type 1/x.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre s'exprime dans le caractère tronqué des figures : le reste des femmes, qui n'est pas représenté et qui ne suit donc pas les figures sculptées, les suit pourtant dans notre imagination qui les reconstitue pour estimer qu'il s'agit de femmes.

Le côté allusif de ces figures, sur lesquelles on peut se méprendre, voire se demander s'il s'agit de vulves ou de jambes, correspond à l'effet d'entraîné/retenu : lorsqu'on se laisse entraîner à y reconnaître une forme, on en est retenu par son caractère imprécis ou ambigu qui nous amène à nous demander si l'on a bien saisi ce qui est représenté. L'effet d'ensemble/autonomie joue avec la dualité entre les figures réellement représentées et les figures évoquées par ces représentations : elles correspondent ensemble à des images de femmes, mais elles le font de façons très autonomes. L'effet d'ouvert/fermé joue sur le contraste entre le caractère fermé de ces figures et le fait qu'elles semblent sortir de la roche, laquelle s'est donc comme ouverte pour les faire émerger, et le profond sillon qui fait sortir ces formes de la roche ouvre également celle-ci à l'air libre.

 



 

À gauche et ci-dessus, Sungir (Russie) : pendentif en

os en forme de bâton percé et disque en ivoire

 

Sources des images : https://phys.org/news/2016

-04-archaeologists-tools-sungarian.html

et https://donsmaps.com/sungaea.html


Ci-contre, épingles à cheveux en ivoire de mammouth de Brillenhöhle, Blaubeuren-Seissen, et Alb-Donau-Kreis

 

Source de l'image : https://www.donsmaps.com/hohlefelssite.html

 

 

Pour l'expression analytique de la troisième étape de la 2e filière, des objets dans lesquels se joue un contraste entre leur forme d'ensemble utilitaire et le détail de leur gravure ou de leur sculpture.

Les deux premiers correspondent probablement à des bijoux. Ils ont été trouvés sur le site de Sungir en Russie : un pendentif en os en forme de bâton percé sur lequel des rangées de petites cupules ont été gravées, et un disque circulaire dans lequel des trous ont été percés et sculptés en couronne autour d'un percement rond central. Les autres, provenant de divers sites allemands, sont des épingles à cheveux réalisées dans des tiges en ivoire de mammouth sur lesquelles des crans réguliers ont été sculptés.

Ces épingles à cheveux rappellent beaucoup, en plus mince et en plus délicat, les crans circulaires du bâton de La Ferrassie de l'étape précédente. Par contre, les bijoux de Sungir correspondent à des formes plus complexes que celle des bâtons et des tubes de la deuxième étape, à la fois pour leur forme générale et pour le détail de leur gravure. Cette complexification des formes et de l'objet qui leur sert de support est la seule évolution que l'on peut remarquer d'une étape à l'autre, tout le reste de ce qui a été dit à la deuxième étape concernant le thème de cette filière restant valable ici.

D'une étape à l'autre toutefois les effets plastiques ont évolué, l'homogène/hétérogène étant maintenant prépondérant. Dans le cas du bâton percé, un matériau homogène connaît des parties aux formes très hétérogènes entre elles, tandis que l'hétérogénéité que produit le percement de petites cupules à sa surface se poursuit selon des alignements homogènes. Dans le cas du disque en ivoire, tous les percements y créent des hétérogénéités qui ont la forme homogène de percements, et ces percements ont d'ailleurs des formes hétérogènes entre elles puisque celui du milieu est parfaitement rond tandis que ceux de la couronne ont des formes plus ou moins ovoïdes. Enfin, dans le cas des épingles à cheveux, leurs crans forment autant d'hétérogénéités qui se répètent de façon homogène tout au long des épingles, et l'on peut aussi opposer la partie centrale des épingles dont la surface est homogène et leurs deux côtés qui sont marqués par l'hétérogénéité de crans sculptés.

Il est inutile de justifier l'effet de rassemblé/séparé et l'effet de continu/coupé qui sont chaque fois faciles à lire. L'effet de synchronisé/incommensurable est plus difficile à identifier : la régularité des alignements de cupules, la régularité des larges percements du disque et la régularité des crans des épingles correspondent à un effet de synchronisation, tandis que celui d'incommensurabilité ne peut être lié qu'à l'aspect comme miraculeux de ces régularités.

 






 

Dolní Věstonice, Moravie :

À gauche, deux vues d'une femme stylisée

Au centre, femme stylisée (ou homme) en pendentif

À droite : seins montés en collier et détail

 

Source des images : l'art de la préhistoire en Europe orientale - CNRS EDITIONS – 1992 et Préhistoire de l'art occidental - Citadelles & Mazenod – 1995

 https://donsmaps.com/dolnivpottery.html et http://www.ancient-wisdom.com/czechdolnivestonice.htm

 

 

Pour l'expression synthétique de la troisième étape de la 2e filière, nous sommes toujours dans l'évocation de femmes au moyen de formes très éloignées de leur apparence. Par rapport à l'étape précédente où il s'agissait « de morceaux réalistes de femmes » pour évoquer des femmes entières, cette fois il s'agit de formes beaucoup plus abstraites et allusives qui sont presque équivalentes à celles de la dernière étape.

Tous les exemples proviennent du site de Dolní Věstonice, en Moravie : une femme bâton avec seulement la présence de deux seins pour indiquer qu'il s'agit d'une femme, une fourche portée en pendentif représente également une femme de façon très stylisée (ou un homme, d'ailleurs), enfin, une paire de seins avec un cou, répétée en plusieurs exemplaires montés en collier suffit pour évoquer l'idée de féminité.

Il est inutile de répéter les analyses de la dernière étape, on se contentera d'envisager les effets plastiques concernés. L'effet prépondérant est celui d'homogène/hétérogène : ces formes seulement allusives sont très hétérogènes avec la forme de femmes réelles, mais elles sont toutefois suffisamment homogènes à elle pour nous y faire penser.

Dans le premier exemple, l'effet de continu/coupé s'exprime avec force dans la coupure du bâton continu par la présence des seins. Dans le deuxième, il correspond au contraste entre la continuité lisse du matériau sur l'ensemble de la forme et la coupure/séparation de ses deux jambes. Dans le dernier exemple, il correspond aux coupures que réalisent les traits gravés à la surface continue de la figurine et à la répétition continue de la même forme en exemplaires coupés les uns des autres pour faire un collier continu, et cela à partir de formes de femmes dont on a coupé la tête et l'essentiel du corps. Effet de rassemblé/séparé : dans le premier exemple, les deux seins sont bien rassemblés l'un avec l'autre tout en étant visuellement bien séparés du bâton qui leur sert de support et avec lequel ils sont également rassemblés. Dans le deuxième exemple, les deux jambes séparées sont rassemblées sur le tronc de la figurine. Dans le troisième, les deux seins et le cou sont rassemblés les uns aux autres pour former un triangle dans lequel chacune de ces formes se sépare visuellement des autres. L'effet de synchronisé/incommensurable va de soi : ces formes sont syn-chronisées avec l'aspect d'une femme puisqu'elles nous y font penser, mais il n'y a rien de commun entre elles et l'aspect réel d'une femme, elles sont donc incommensurables avec cet aspect réel.

 

Ci-contre, plaquette de Malta (Sibérie)

Source de l'image :
https://www.donsmaps
.com/malta.html

 

Au centre, sagaies de Khotylevo 2 (Russie)

Source de l'image : L'art de la Préhistoire en Europe Orientale, CNRS Editions, 1992




Ci-contre, Le Fourneau du Diable : baguette demi-ronde

Source de l'image :
https://www.donsmaps
.com/diable.html

 

 

Pour l'expression analytique de la quatrième étape de la 2e filière, nous retrouvons des objets et des armes décorés, mais avec des motifs encore plus compliqués qu'à l'étape précédente. Si l'on excepte, toutefois, la baguette trouvée au Fourneau du Diable qui ne porte que des incisions et des quadrillages réguliers. De Malta en Sibérie, une plaquette en ivoire de mammouth qui porte à son verso des formes serpentiformes ondulantes et à son recto des alignements de cupules en spirales, la principale au centre et de plus petites à son pourtour. Du site de Khotylevo 2 en Russie, plusieurs exemples de sagaies qui portent des gravures transversales beaucoup plus détaillées et compliquées que dans les exemples des étapes précédentes.

Encore une fois, la complication croissante des motifs est le seul signe que l'on passe d'une étape à l'autre, et comme le principe du thème de la filière n'évolue pas fondamentalement les analyses déjà faites ne seront pas répétées.

À la quatrième étape de la 2e filière, l'effet prépondérant est le rassemblé/séparé. Sur la plaquette de Malta les cupules bien séparées les unes des autres sont rassemblées sur des alignements en spirale, et l'entortillement de chaque spirale se rassemble sur lui-même tout en se séparant des spirales voisines. Sur les sagaies de Khotylevo 2, chaque ligne de gravures répète des figures ou des encoches bien séparées les unes des autres qui se rassemblent en alignements transversaux continus. Dans le sens longitudinal, ces lignes de gravures visuellement bien séparées se rassemblent en s'ajoutant les unes au-dessus des autres pour générer des surfaces gravées continues.

L'effet de lié/indépendant s'apparente au précédent. L'effet de même/différent correspond à la répétition, différentes fois, du même type de forme, que ce soit la répétition des mêmes cupules sur la plaquette ou la répétition des mêmes graphismes sur les sagaies. Il correspond aussi au fait que l'on a affaire à des formes à la fois similaires et différentes d'un endroit à l'autre, ce qui vaut pour la taille des spirales sur la plaquette et pour le détail du dessin des gravures pour les sagaies. L'effet d'extérieur/intérieur correspond à la nette séparation des formes qui s'accumulent sur chacun des objets, qu'il s'agisse des cupules dans un cas et des graphismes dans les autres, de telle sorte que l'extérieur de chacune est toujours bien repérable à l'intérieur de leur ensemble. Enfin, l'effet d'un/multiple est facile à lire : il y a toujours un même type de motif répété de multiples fois, ce qui donne une allure unitaire à chaque décoration qui est donc faite de la répétition de multiples détails.

 

 



 

Malta (Sibérie) : figurine féminine et pendentif en forme d'oiseau volant, tous deux réalisés dans des défenses de mammouth

 

Source des images : https://www.donsmaps.com/malta.html

 

 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 2e filière, nous retrouvons des formes plus évocatrices que réalistes, néanmoins moins éloignées des formes qu'elles évoquent qu'à l'étape précédente et qu'à la dernière étape : une figurine féminine à la tête très surdimensionnée et au corps exagérément allongé, un oiseau volant aux ailes excessivement sous-dimensionnées et au cou trop long. Ces deux sculptures proviennent à nouveau du site de Malta.

Le relatif réalisme des formes de cette étape par rapport à celles des deux étapes qui l'encadrent correspond à l'absence de l'effet de synchronisé/incommensurable qui se rencontre à ces deux étapes là, un effet qui conduit à y inventer des formes qui sont incommensurables avec l'aspect réel qu'elles veulent évoquer, et donc très étranges pour un point de vue réaliste.

L'effet prépondérant à cette étape est le rassemblé/séparé : les membres qui ont des dimensions très anormales, la tête pour la femme, les ailes pour l'oiseau, sont rassemblés avec le reste de la figurine tout en en étant visuellement séparés du fait de leurs anomalies.

L'effet de lié/indépendant correspond au fait que la forme de ces figurines est liée à l'aspect réel de la forme qu'elle évoque tout en en étant très indépendante. L'effet de même/différent joue aussi de l'identité et de la différence avec les formes réelles évoquées. L'effet d'intérieur/extérieur rejoint celui rassemblé/séparé : la tête est réellement à l'intérieur de la figurine féminine mais extérieure à elle dans le sens où elle est incompatible, par sa taille, avec le reste de cette figurine, et la même chose vaut pour les ailes de l'oiseau. Enfin, l'effet d'un/multiple correspond au fait qu'il s'agit toujours de figurines très compactes, donc très unitaires, mais qui comportent de multiples parties bien distinguables les unes des autres.

 



À gauche : Baguettes demi-rondes en bois de cervidé décorées de spirales gravées, Isturitz, Pyrénées Atlantiques, France

Source de l'image : https://www.photo.rmn.fr/archive/91-000641-2C6NU0HMHX8H.html

 

à droite : Statuette de femme/oiseau avec double triangle pubien et chevrons gravés, Mezin, Ukraine

Source de l'image : https://www.donsmaps.com/wolfcamp.html

 

 

Pour terminer la 2e filière, on redonne deux exemples de sa dernière étape, l'un d'expression analytique et l'autre d'expression synthétique.

 

Dans l'exemple analytique des baguettes gravées de spirales aux formes très complexes, on reconnaît l'aboutissement du thème de la décoration d'objets usuels ou d'armes créées et fabriquées par un esprit humain selon des formes de plus en plus compliquées qui captivent spécifiquement l'esprit des humains. Dans l'exemple synthétique de la femme/oiseau, l'aboutissement du thème de l'évocation de la forme matérielle d'êtres dotés d'un esprit au moyen de formes très éloignées de leurs formes réelles et que seul un esprit humain sait reconnaître comme équivalentes.

Dans les deux cas, il s'agit de pousser à bout les singularités et les capacités d'un esprit humain, singularités et capacités qui concernent son intérêt pour des formes abstraites et sa faculté d'imaginer autre chose que ce qu'il voit réellement.

 

 

 

14.1.3.  L'évolution de la 3e filière de la phase de 1re confrontation de l'ontologie matière/esprit, filière dans laquelle M est du type 1+1 et e du type 1/x, et dans laquelle la tension entre les deux notions est de faible intensité :

 

Avec la 3e puis la 4e filière, nous allons envisager les situations dans lesquelles les deux aspects relevant de la matière ne sont plus capables de s'associer en couple mais s'ajoutent l'un à l'autre en 1+1. À l'inverse, ce sont les aspects qui relèvent de l'esprit qui s'associent maintenant en 1/x.

 


 

Abri Blanchard : dalle gravée d'un aurochs

Source de l'image : http://www.sci-news.com/archaeology/aurignacian-artwork-france-04576.html



 

Au centre et ci-dessus, Grotte Chauvet-Pont d'Arc : hibou et cheval gravés

Source des images : La grotte Chauvet à Vallon-Pont-d'Arc – Seuil - 1995

 

 

Pour l'expression analytique de la première étape de la 3e filière, on revient à l'aurignacien. Au chapitre 14.1.0, on a vu que l'aboutissement de cette filière est la sculpture en haut-relief à même la paroi d'abris exposés à la lumière du jour, le plus souvent d'animaux de grande dimension. Le thème de l'expression analytique de cette filière est ainsi l'affirmation progressive d'un contraste entre la matière « brute » de la paroi et l'aspect matériel des êtres dotés d'un esprit qui y sont sculptés, ce qui relève du type 1+1 pour la matière puisque ces deux aspects sont étrangers l'un pour l'autre, spécialement du fait que la paroi est parfaitement autonome de la représentation gravée dès lors qu'elle se poursuit bien au-delà des limites de celle-ci. L'esprit de l'artiste est ce qui révèle cette différence entre ces deux aspects de la matière et relève pour cela du type 1/x.

La première étape de la 3e filière commence par des gravures, comme il en ira d'ailleurs pour sa deuxième étape : un aurochs gravé et piqueté sur une large dalle que l'on a retrouvée à l'abri Blanchard amputée de sa partie inférieure (Dordogne, France), et deux gravures réalisées dans la grotte Chauvet sur une surface de rocher spécialement tendre, représentant l'une un hibou et l'autre un cheval. La gravure de l'abri Blanchard daterait de 36 000 ans environ avant l'ère commune, celles de la grotte Chauvet de 34 000 ans environ avant l'ère commune.

La gravure est ici large et profonde, elle ne peut donc être assimilée à un simple dessin apposé par-dessus la paroi mais constitue une véritable transformation de celle-ci, spécialement à la grotte Chauvet où la couche de calcite superficielle a été complètement enlevée, faisant ressortir par contraste la couleur beaucoup plus claire de la couche sous-jacente. Cette transformation de la matière du rocher par un acte résultant de l'esprit de l'artiste fait que la matière et l'esprit sont ici deux aspects du même processus artistique et relèvent bien de la relation couplée propre à la sculpture. Dans le cadre donc de cette relation couplée, la matière de la paroi et la matérialité des animaux représentés correspondent à des réalités autonomes et s'ajoutent en 1+1, tandis que l'esprit de l'artiste qui met en relation ces deux aspects de la matière dans une même figure est du type 1/x.

Dans ces exemples il est possible de considérer séparément la représentation animale de la surface de la roche, ce qui implique qu'il s'agit d'expressions analytiques. Certes, ces gravures ne proposent pas un dialogue entre la paroi et le volume des animaux représentés comme il en ira à la dernière étape, seulement avec leur image plane, mais déjà on a un dialogue entre la paroi et l'apparence matérielle des animaux de telle sorte que l'on peut dire que l'enjeu de l'expression analytique de la filière est déjà en germe à sa première étape.

À la première étape de la 3e filière, l'effet prépondérant est celui du centre à la périphérie. Il correspond à la déstabilisation provoquée par la surprise, à cette époque préhistorique lointaine, de voir localement la surface de la roche transformée en animal. Dans le cas de l'aurochs de l'abri Blanchard, il concerne aussi le tapissage de son pelage par des cupules dont chacune est un centre d'intérêt visuel qui est entouré, sur toute sa périphérie, de centres visuels similaires.

L'effet de regroupement réussi/raté correspond au fait que les gravures réussissent à regrouper l'idée d'un aurochs, d'un hibou ou d'un cheval, alors que le regroupement réel de ces animaux est raté puisqu'il s'agit seulement d'images planes qui ne possèdent pas le volume réel de ces animaux. L'effet de fait/défait s'appuie sur le même principe : les animaux sont à la fois faits, puisqu'on les reconnaît, mais non faits, et donc défaits, puisqu'ils n'ont pas l'apparence du volume, du pelage ou des plumes des animaux réels. L'effet de relié/détaché s'appuie sur la technique propre de la gravure : les traits gravés se relient entre eux en continu et ils sont également reliés à la matière de la roche qu'ils entaillent, mais ils se détachent visuellement de la surface courante de cette roche, tout comme évidemment les formes animales qu'ils dessinent se détachent visuellement.

 

 


Grotte Chauvet-Pont d'Arc : un avant-train de rhinocéros semblant sortir du fond d'une galerie

 

Source des images : La grotte Chauvet – L'art des origines – Seuil - 2010

 

 

Pour l'expression synthétique de la première étape de la 3e filière, la gravure d'un avant-train de rhinocéros semblant sortir du fond d'une galerie de la grotte Chauvet.

On se souvient que, à la dernière étape de la 3e filière, on a vu au chapitre 14.1.0 que son expression synthétique la plus mûre correspondait à des représentations partielles de grande dimension d'êtres dotés d'un esprit et sculptées en haut-relief sur la paroi des abris. La représentation partielle, sur une paroi, de l'aspect matériel d'êtres dotés d'un esprit, est donc le thème propre à l'expression synthétique de cette filière. À sa première étape, on n'est pas encore dans des abris exposés à la lumière du jour mais dans des grottes profondes, et il ne s'agit pas encore de volumes dégagés en haut-relief dans le rocher, seulement de la gravure d'une image en deux dimensions. Déjà il s'agit cependant de la représentation partielle d'un être vivant doté d'un esprit, ce qui montre une nouvelle fois que le thème propre à une filière est déjà présent de façon embryonnaire à sa première étape.

On rappelle ce qu'impliquent ces représentations partielles : l'aspect matériel des animaux évoqués fait contraste avec la surface matérielle de la roche laissée nue, et ces deux aspects de la matière n'ayant rien à voir ils s'ajoutent en 1+1. Ici, l'interruption de la gravure du rhinocéros à la moitié de son corps donne l'impression qu'il sort littéralement de la paroi, ce qui donne d'autant plus de force au dialogue entre la matérialité de la paroi et l'apparence matérielle de l'animal. L'esprit du peintre, parce qu'il est ce qui met en relation ces deux types de matière, relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer l'aspect seulement partiel de l'animal sans constater que la partie de la paroi qui devrait recevoir le reste de sa représentation est laissée nue.

L'effet prépondérant du centre/à la périphérie est lié à la déstabilisation que devait provoquer, à cette époque très lointaine, la perception d'un animal semblant surgir de la paroi, une déstabilisation probablement amplifiée ici par le constat qu'un simple contour linéaire, qui plus est partiel, pouvait évoquer l'apparence d'un animal réel.

L'effet de regroupement réussi/raté est lié au fait que notre esprit est capable de regrouper en lui l'apparence de l'animal entier à partir d'une partie de son apparence, un regroupement qui est raté si l'on s'en tient à ce qui est réellement représenté. L'effet de fait/défait joue sur le même principe : l'animal est suffisamment fait puisqu'on peut déclarer qu'on le voit, mais il est complètement défait dans sa partie arrière. L'effet de relié/détaché utilise la façon dont le corps de l'animal se fond progressivement dans la matière de la paroi en lui permettant de se relier complètement à elle tandis que son avant-train se détache visuellement à sa surface.

 

 




 

 

Ci-dessus, Grotte de Cussac, Gironde, France : 2 silhouettes féminines

Sources des images : http://www2.culture.gouv.fr/culture/arcnat/cussac/fr/photo5.htm et Grotte de Cussac – 30 000, éditions confluences (2020)

 

À droite, Grotte du Pech-Merle, Lot, France : silhouette féminine tracée au doigt sur le « plafond des Hiéroglyphes » et relevé par M. Lorblanchet des 3 silhouettes de ce plafond  Source : Art Pariétal – Grottes ornées du Quercy, de Michel Lorblanchet aux Éditions du Rouergue


 

Pour l'expression analytique de la deuxième étape de la 3e filière on retrouve la grotte de Cussac et ses gravures, et l'on donne aussi une vue très partielle du « plafond des Hiéroglyphes » de la grotte du Pech-Merle ainsi que des relevés de Michel Lorblanchet du même plafond. Toutes ces silhouettes féminines sont très semblables dans leur style et dans leur attitude.

Sur le principe, ces silhouettes fonctionnent comme celles des animaux envisagées à la première étape de cette filière, on renvoie donc aux explications données pour cette étape.

Les effets plastiques, par contre, sont renouvelés. L'effet prépondérant est maintenant l'entraîné/retenu : on est entraîné à lire qu'il s'agit d'une silhouette féminine, mais on en est retenu lorsqu'on considère les jambes étranglées de la première ou les bras pareillement étranglés des autres, sans parler de l'impossibilité physique qu'elles aient les jambes ou les seins latéralement côte à côte comme il en va pour les deuxièmes femmes de Cussac et du Pech-Merle. Dans le cas de la première femme de Cussac, son attitude déséquilibrée est aussi à prendre en compte, d'autant plus déséquilibrée d'ailleurs que ses jambes fluettes semblent se dérober sous elle, ce qui nous laisse incertains sur ce qu'elle fait. Avance-t-elle d'un pas ? Est-elle juste en train de se pencher ? Est-elle immobilisée dans une attitude d'attente ? Lorsqu'on se laisse entraîner à penser qu'il s'agit de l'une de ces situations, on en est retenu en se disant que c'est plutôt une autre qui devrait être privilégiée.

L'effet d'ensemble/autonomie utilise aussi cette bizarrerie de ses jambes qui, bien que faisant avec le reste de la gravure l'image d'ensemble d'une femme, le fait d'une façon très autonome de la partie traitée plutôt de façon réaliste, et le même principe vaut pour toutes les autres femmes qui combinent aussi des parties assez réalistes et des parties très étranges ou très anormales. Dans le cas des trois premières femmes, l'effet d'ouvert/fermé joue sur la transparence virtuelle de ces représentations : leur contour est fermé et enferme donc le volume d'une femme à leur intérieur, mais il n'empêche pas que la vue de la roche nous reste parfaitement ouverte à l'intérieur de ces contours. Dans le cas des deux dernières femmes, même le contour est partiellement ouvert, au niveau du cou, de la jambe, voire du bras pour l'une. L'effet de ça se suit/sans se suivre joue sur la ressemblance/dissemblance globale de ces silhouettes avec l'apparence de femmes, des silhouettes qui suivent cette apparence sans la suivre vraiment puisqu'elles en diffèrent beaucoup. Dans le cas des membres manquants ou très étranglés à leur extrémité, on devine que les parties manquantes ou atrophiées sont à la suite des parties représentées mais elles ne les suivent pas réellement sur les contours gravés.

 

 


 

Ci-dessus, Grotte de Cussac, Gironde, France : tête de rhinocéros

À droite, Grotte de Gargas, Hautes-Pyrénées, France : avant-train de cheval

 

Sources des images : Grotte de Cussac – 30 000, éditions confluences (2020) et Préhistoire de l'art occidental - Citadelles & Mazenod - 1995


 

 

Pour l'expression synthétique de la deuxième étape de la 3e filière, nous retrouvons des animaux seulement partiellement représentés au moyen de gravures de la paroi de grottes.

À la grotte de Cussac, un rhinocéros représenté par le contour de son avant-train, et une tête et encolure de cheval de la grotte de Gargas, dans les Hautes-Pyrénées françaises.

Nous sommes à nouveau dans le cadre d'expressions synthétiques, puisque l'on ne peut pas considérer qu'il s'agit de représentations de l'apparence matérielle d'animaux sans s'apercevoir que le rocher a été laissé vide de gravure sur une partie importante de l'emprise correspondant normalement à ces représentations.

L'effet prépondérant d'en-traîné/retenu est lié à l'absence d'une partie importante de ces animaux : nous nous attendons à en lire une représentation complète, nous sommes entraînés à découvrir une telle représentation, mais nous en sommes retenus du fait de leur aspect seulement très partiel.

L'effet d'ensemble/autonomie joue aussi de la dialectique entre les parties représentées et les parties non représentées : dans notre imagination les deux forment ensemble la vision d'un animal, mais elles le font de manières très autonomes. L'effet d'ouvert/fermé va de soi : par leur aspect en cul-de-sac le contour des deux têtes sont des poches fermées côté museau, mais il s'ouvre librement du côté du poitrail qui n'est pas fermé. L'effet de ça se suit/sans se suivre joue également sur l'aspect seulement partiel des représentations : dans notre imagination, dès lors que nous y voyons l'image d'animaux, le reste de leur corps suit les parties représentées, mais sur les gravures elles-mêmes les parties manquantes sont réellement manquantes et ne suivent donc pas les parties représentées.

 

 

 



Abri de Laussel, Dordogne, France : la Femme à la Corne et une représentation masculine extraites de blocs effondrés

 

Source des images : http://www.sculpture.prehistoire.culture.fr/fr/contenu/la-sculpture-parietale.html#-art-mobilier-sculpte

 

 

Pour l'expression analytique de la troisième étape de la 3e filière, la gravure profonde s'est désormais transformée en sculpture en haut-relief, mais pour des représentations encore de petite taille et pas encore taillée à même la paroi, seulement sur de grands blocs séparés.

À l'origine, ces deux représentations faisaient partie d'un énorme bloc calcaire faisant face à la paroi de l'abri-sous-roche de Laussel, en Dordogne : la Femme à la corne, parfois appelée la Vénus de Laussel, et le fragment d'une représentation assez dégradée sur certaines parties et que l'on peut supposer masculine. Ces sculptures ont été estimées datant de 29 000 à 26 000 ans avant l'ère commune, pour ma part, du fait de leurs caractéristiques, je penche pour une date de l'ordre de 27 000 ans AEC.

Comme pour les sculptures en haut-relief de la dernière étape, la matière a ici deux aspects très différents qui ne font rien ensemble et s'ajoutent donc en 1+1 : l'aspect matériel des êtres dotés d'un esprit représentés, et le matériau « brut » de la partie de la roche qui n'est pas intégrée à ces représentations. L'esprit de l'artiste qui décide de prendre en charge deux aspects et de bien les séparer relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la partie de matière laissée brute et la partie de matière transformée en humain par l'esprit de l'artiste.

À la troisième étape de la 3e filière, l'effet prépondérant est l'effet d'ensemble/autonomie. Du fait de leur continuité, les parties sculptées et les parties non sculptées font nécessairement ensemble un effet de continuité matérielle, tandis que la différence de leurs aspects, sculpté dans un cas, non sculpté dans l'autre, accuse leurs autonomies respectives. Des restes de colorants permettent de savoir que, au moins pour ce qui concerne la Femme à la Corne, la sculpture était peinte, ce qui devait accentuer encore l'autonomie visuelle des deux parties du rocher.

L'effet d'homogène/hétérogène joue aussi sur le contraste entre l'homogénéité du matériau pierre qui se poursuit sur les deux parties traitées de façons hétérogènes, l'une étant sculptée et l'autre laissée brute. C'est aussi sur cette complémentarité que joue l'effet de rassemblé/séparé : la partie sculptée et la partie non sculptée sont visuellement bien séparées tout en étant rassemblées dans une même continuité de matériau. On peut aussi dire que les défoncés réalisés pour la taille en haut-relief ont séparé les représentations de la surface environnante tout en y regroupant des figures compactes. Dans le cas de la Vénus de Laussel, dont la forme est globalement inscrite dans un losange, on peut dire que l'effet de synchronisé/incommensurable fonctionne comme dans le cas des Vénus gravettiennes envisagées pour la 1re filière, c'est-à-dire qu'il s'agit de la synchronisation d'une forme de losange et d'une forme féminine bien que ces deux réalités soient incommensurables. L'effet de continu/coupé joue de la continuité de la paroi rocheuse entre sa partie laissée brute et sa partie sculptée alors que la présence des sculptures crée évidemment une coupure dans son aspect.

 


Source de l'image : http://www.incertae-sedis.fr/gl/docut856_01_cosquer_gravures.htm


 

Gravures dans la Grotte Cosquer, Bouches-du-Rhône, France : à gauche, un phoque et un bouquetin, au centre, un bouquetin, à droite, un cheval


Source des images du centre et de droite : La Grotte Cosquer, Éditions du Seuil, 1992

 

 

Pour l'expression synthétique de la troisième étape de la 3e filière, des gravures d'animaux dans la grotte Cosquer, dans les Bouches-du-Rhône. Elles dateraient de 21 000 avant l'ère commune, c'est-à-dire de la toute fin de la période relevant de la troisième étape.

Il ne s'agit pas de représentations partielles d'animaux, comme il en allait aux étapes précédentes et comme il en ira à la dernière étape de cette filière, mais le contour des animaux est laissé ouvert à différents endroits, de telle sorte que la confusion entre la matière de la paroi et l'apparence matérielle de ces animaux est aussi forte que si une partie seulement du corps des animaux était gravée. Dans le cas du phoque, la paroi traverse complètement son corps dans le sens de sa longueur, sa continuité étant seulement interrompue par ce qui est probablement une flèche ou une sagaie traversant l'animal. Dans le bouquetin de gauche, c'est surtout au niveau de sa tête que son corps est laissé ouvert, mais il existe aussi des vides plus modestes entre sa queue et son arrière-train et entre le haut de ses pattes avant et son poitrail. Dans l'autre bouquetin, la paroi est également continue entre les deux cornes, mais c'est surtout l'absence complète de trait pour marquer la limite du ventre qui la laisse largement pénétrer à l'intérieur de l'animal, tout comme il en va pour le cheval à l'endroit de son arrière-train où il est tout à fait impossible de percevoir une limite quelconque à son corps. Plus discrètement, la paroi pénètre également à l'intérieur de lui entre ses deux pattes avant.

De façon générale, même sans tenir compte des manques laissés dans les contours dessinés, on repère bien que la gravure linéaire laisse la texture de la roche se poursuivre à travers le corps des animaux, et comme la représentation matérielle de leur corps se confronte ainsi directement à la matérialité de la paroi, ces deux aspects de la matérialité ne peuvent s'ajouter qu'en 1+1 puisqu'il s'agit de réalités complètement autonomes. L'esprit de l'artiste qui met en jeu cette confrontation du corps des animaux avec la matérialité de la paroi relève pour cela du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique puisque l'on ne peut pas constater la continuité d'aspect de la paroi au franchissement des gravures et aux endroits des contours manquants sans s'affronter à la présence de ces gravures.

Les représentations animales sont l'effet d'ensemble obtenu par le moyen des deux réalités autonomes que sont les gravures réalisées par un esprit humain et la paroi matérielle : c'est un effet d'ensemble/autonomie qui est prépondérant à cette étape.

Les traits de gravure forcent à percevoir la présence d'animaux qui sont autant d'hétérogénéité à la surface de la paroi qui se poursuit de façon homogène à travers eux : effet d'homogène/hétérogène. Ces représentations animales sont à la fois perceptibles de façon distincte de la paroi et rassemblées avec sa perception : effet de rassemblé/séparé. Ces animaux et la paroi sont deux réalités incommensurables l'une pour l'autre qui sont synchronisées sur une même surface : effet de synchronisé/incommensurable. La paroi et sa texture se continuent librement à travers les animaux aux endroits où leur contour est ouvert, mais elles sont coupées par les traits gravés qui ferment ces contours : effet de continu/coupé. On a rendu compte ici de la relation entre la paroi et les traits gravés. Plus loin, au chapitre 14.2.1 auquel on peut se reporter, pour des gravures similaires de la grotte Cosquer on analysera les effets plastiques propres au style même de ces gravures.

 

 


 

Ci-dessus, abri du Roc-de-Sers, Charente, France : sculptures en haut-relief d'un cheval et d'un bison/sanglier

Ci-contre, Le Fourneau-du-Diable, Dordogne, France : deux aurochs sculptés en haut-relief

Sources des images : https://www.donsmaps.com/rocdesers.html  et https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Aurochs_-_Fourneau_du_Diable_-_Bourdeilles_-_MNP.jpg


 

Avec la quatrième étape de la 3e filière dans son expression analytique, nous nous rapprochons beaucoup du stade final de l'expression analytique de cette filière avec des sculptures sur paroi qui sont en haut-relief franchement accusé. Il s'agit toutefois de figures de dimension encore modeste ou assez modeste, tandis que la dernière étape verra apparaître des figures de grande taille, quasiment grandeur nature.

On donne deux exemples, celui d'un morceau de la frise de l'abri du Roc-de-Sers, en Charente, frise qui est habituellement considérée comme la plus ancienne frise connue sculptée en haut-relief sur une paroi, un morceau sur lequel est représenté un cheval précédé d'un bison à museau de sanglier. Cette frise, datée d'environ 21 000 ans avant l'ère commune, a été découverte brisée en morceaux, et celui évoqué ici correspond au plus long bloc retrouvé, lequel fait 1,64 m de long. Au total, la frise faisait une dizaine de mètres de longueur, elle a été réalisée sous un abri exposé à la lumière naturelle et une activité d'habitat se déroulait à ses pieds. On donne ensuite l'exemple du couple d'aurochs de l'abri du Fourneau-du-Diable faisant partie d'un ensemble de figures animales sculptées sur un grand bloc rocheux qui daterait de 17 000 ans environ avant l'ère commune.

Il s'agit d'expressions analytiques, car nous pouvons considérer séparément les sculptures qui représentent l'aspect matériel des animaux et la matière du rocher qui les entoure. Ces deux aspects de la matière sont complètement autonomes l'un de l'autre et s'ajoutent donc en 1+1. Puisque c'est l'esprit de l'artiste qui a tranché ces deux aspects de la matière, il relève du type 1/x

À la quatrième étape de la 3e filière, l'effet prépondérant est l'ouvert/fermé : le volume des animaux est enfermé dans la masse pierreuse, mais on peut aussi bien lire qu'il est sorti de la pierre, qu'il en est dégagé, ouvert à la vue et exposé à la lumière du jour sur sa plus grande partie.

L'effet de lié/indépendant se reconnaît facilement au fait que les animaux restent attachés à la paroi par la face arrière de leur volume tout en en étant indépendants puisqu'ils sont bien dégagés d'elle par la profondeur de leur haut-relief. L'effet d'intérieur/extérieur utilise le même principe : par un aspect les animaux sont compris dans le rocher, et donc à son intérieur, mais leur volume est aussi comme par-dessus sa surface courante, et donc à son extérieur. L'effet de même/différent peut se lire de deux façons : d'une part, on peut dire que les animaux sculptés sont les mêmes que des animaux réels tout en étant différents d'eux par leur matériau en pierre, d'autre part on peut dire que le même matériau pierreux comporte deux parties différentes, celle qui a été transformée en animaux et celle qui n'a que l'aspect de la pierre. On trouve le même principe dans le cas du bison/sanglier : un même animal comporte deux parties qui correspondent à des types d'animaux différents. Tout ce qui a été dit sur l'effet de même/différent vaut aussi pour celui d'un/multiple.

 


 

Abri du Roc-de-Sers, Charente, France : sculptures en haut-relief d'un bœuf poursuivant (peut-être) un humain et de trois chevaux derrière un humain

Source des images : https://www.donsmaps.com/rocdesers.html


 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 3e filière, un autre bloc récupéré de la frise de l'abri du Roc-de-Sers. À son extrémité droite, une figure humaine, derrière elle un bœuf qui pourrait être en train de la poursuivre, mais cela reste douteux car l'animal tourne sa tête vers nous tandis que l'humain court dans la direction inverse. À son extrémité gauche, une autre figure humaine et la tête d'un cheval, cette fois directement dans son dos. Deux autres chevaux, cette fois complet, sont plus en arrière de lui et vont vers des directions opposées l'une de l'autre.

Le bœuf de l'extrémité droite a son corps qui est pour l'essentiel parallèle à la surface de la roche dans laquelle il est sculpté, et peu dégagé d'elle, par différence avec son avant-train qui est bien dégagé du bloc sculpté. Du fait que la partie courante de la pierre extérieure à l'animal est pratiquement sculptée en angle, celui-ci semble sortir de cet angle de pierre et foncer vers le vide.

La tête de cheval de l'extrémité gauche est une évolution plus classique des têtes animales « sans corps » gravées relevant de la première et de la deuxième étape de cette filière, mais la gravure est ici plus profonde et s'apparente davantage à un effet de haut-relief. On peut admettre que cette tête de cheval et le personnage humain qui la précède forment un ensemble qui devait être significatif pour l'artiste, et sous cet aspect l'effet de haut-relief plus accusé du personnage correspond probablement à une intention plastique : l'essentiel du corps du cheval est supposé complètement enfoui dans la pierre, sa tête en sort légèrement, puis l'humain situé devant l'animal achève cette sortie de la pierre de façon encore plus prononcée.

Ces deux exemples correspondent à une expression synthétique, car on ne peut pas considérer que la forme semble partiellement sortir de la pierre sans prendre en compte qu'elle semble y être prisonnière dans sa partie qui ne participe pas à cet effet de sortie.

L'effet prépondérant d'ouvert/fermé s'appuie, encore plus que dans les expressions analytiques de la même étape, sur l'impression que la forme est partiellement enfermée dans la pierre et qu'elle semble partiellement en sortir, ce qui implique que la pierre semble s'ouvrir pour laisser sortir les animaux ou les humains représentés. Pour ce qui concerne les autres effets plastiques, on peut se rapporter à ce qui a été dit pour les exemples analytiques.

 

 

Pour en finir avec la 3e filière, on rappelle quelques-uns des exemples donnés pour sa cinquième et dernière étape : d'une part des animaux entiers sculptés en haut-relief qui correspondent à une expression analytique, d'autre part des femmes dont le corps semble partiellement sortir de la pierre, ce qui correspond à l'aboutissement de l'expression synthétique de la filière. L'évolution par rapport à l'étape précédente correspond au fait qu'il s'agit désormais de sculptures de grande dimension et qu'elles sont sculptées en haut-relief systématiquement à même la paroi d'un abri exposé à la lumière naturelle.

 


 

Bouquetin femelle dans la frise de l’abri Bourdois du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l'Anglin, Vienne, France

Source de l'image : https://www.francebleu.fr/infos/culture-loisirs/quel-avenir-pour-le-roc-aux-sorciers-angles-sur-l-anglin-1460482647


 

Femmes partielles dans la frise de l’abri Bourdois du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l'Anglin, Vienne, France

Sources des images : http://www.roc-aux-sorciers.fr/histoire/

 

 

 

 

14.1.4.  L'évolution de la 4e filière de la phase de 1re confrontation de l'ontologie matière/esprit, filière dans laquelle M est du type 1+1 et e du type 1/x, et dans laquelle la tension entre les deux notions est de forte intensité :

 

Le thème de la 4e filière est probablement le plus difficile à discerner et à reconnaître, tellement ce qui fondait la démarche des paléolithiques est étranger à notre culture contemporaine où les notions remuées dans cette filière sont complètement assimilées et ainsi rendues invisibles et sans intérêt. On rappelle, comme analysé en fin du chapitre 14.1.0, que l'expression analytique de cette filière joue de la relation entre une figure et le support matériel sur laquelle elle est tracée, et surtout qui l'encadre, tandis que son expression synthétique explore la possibilité, grâce à la sculpture, de manipuler l'apparence matérielle d'un animal, par exemple en cadrant exactement cette sculpture sur sa seule tête, comme s'il s'agissait d'une entité autosuffisante et équivalente à l'animal entier. En résumé, encadrer un graphisme et manipuler une apparence sont les deux aspects du thème de la 4e filière.

 



Bouquetin sur rondelle de Bruniquel, Tarn et Garonne, et tête de cheval en contour découpé de la Grotte du Mas-d’Azil, Ariège

 

Sources des images : https://www.donsmaps.com/enlene.html et  https://musee-archeologienationale.fr/phototheque/oeuvres/tete-de-cheval-en-contour-decoupe_grave_perforation

 

À gauche, rappel d'un exemple de l'aboutissement, à sa dernière étape, de l'expression analytique de la 4e filière : l'image d'un avant-train de bouquetin et divers autres graphismes à l'intérieur d'une rondelle encadrée par un bourrelet périphérique cranté.

À droite, rappel d'un exemple d'expression synthétique de la même étape : une tête de cheval cadrée sur son contour découpé dans un os plat.

 

Pour l'expression analytique de la première étape de la 4e filière, nous allons donc voir s'amorcer le thème de l'encadrement d'une image par la mise en forme de son support. À la première étape il ne s'agit pas encore d'images réalisées sur des supports mobiliers spécialement mis en forme pour cela, mais de sélectionner des parties naturellement façonnées de la paroi d'une grotte spectaculairement aptes à recevoir des images, et peu importe que celles-ci soient des peintures ou des sculptures puisque ce qui va être pris en compte est le volume naturellement sculpté de la paroi.

 



Grotte Chauvet-Pont d'Arc : pendant dit « de la Vénus » et frise des têtes de bisons

 

Sources des images : http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque/pendant-venus et http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque

 

 

La grotte Chauvet propose de multiples exemples d'adaptation d'image à des endroits spécialement choisis. On en envisagera principalement deux. D'une part, le pendant dit « de la Vénus » qui pend de façon spectaculaire et sur lequel l'artiste a représenté un être composite qui possède le bas-ventre et les jambes d'une femme, l'avant-train d'un bison, l'avant-train d'un lion, un mammouth représenté par sa ligne de profil, et plus loin ce qui semble un aurochs dont l'arrière-train est recouvert par les cornes d'un animal qui pourrait recouvrir partiellement le mammouth, les images actuellement disponibles ne permettant pas une bonne lecture de la surface située au-delà du mammouth. Et d'autre part on envisagera le pli presque orthogonal que forment deux grandes surfaces de paroi dont l'angle a été mis à profit pour y peindre une file de têtes de bisons.

Dans le cas du pendant de la Vénus, on voit bien que la forme de l'être hybride qui a été peint sur lui épouse exactement sa forme, le bassin et les jambes de la femme descendant très bas en formant une pointe qui accompagne la pointe du pendant, et le reste des figures se déroule selon un arc aplati qui accompagne le raccord en arcade de cette pointe au reste de la voûte. On peut même remarquer que la partie noircie de la tête du bison se place exactement au-dessus de la partie noircie du bas-ventre de la femme, et que ces deux masses sombres forment, avec les deux jambes de la femme, un axe vertical très affirmé qui s'ajuste exactement avec l'axe vertical du pendant.

Nous ne connaissons pas la raison d'un tel être hybride, mais cela ne nous empêche pas de parfaitement comprendre que l'artiste a eu le souci d'assembler verticalement deux zones noircies prolongeant l'axe de deux jambes, et de réaliser une enfilade de trois avant-trains d'animaux dont les amorces de dos se prolongent l'une l'autre, une enfilade qui est d'ailleurs prolongée par un ou deux animaux supplémentaires, et cela afin d'épouser à distance l'arc en arrondi du raccordement du pendant au reste de la voûte. Dans le cas des têtes de bisons, on ne peut non plus manquer de percevoir que le ou la peintre a décidé d'une exacte coïncidence entre le pli de la paroi et la position de la file de ces têtes.

On a chaque fois deux aspects de la matière qui n'ont aucun rapport et qui s'ajoutent donc en 1+1 : la matière de la paroi de la grotte et l'apparence matérielle d'êtres dotés d'un esprit. Et comme c'est l'esprit de l'artiste qui a décidé de choisir un emplacement spécialement spectaculaire de la paroi pour y peindre une scène spécialement adaptée à cet endroit précis, son esprit relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la forme du pendant ou du pli de la voûte et les représentations qui y ont été peintes.

À la première étape de la 4e filière, l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre : l'être hybride peint sur le pendant de la voûte suit sa forme et celle de son raccordement en arcade, mais il se lit aussi de façon autonome, ne serait-ce que parce qu'on y lit de bas en haut une femme qui se dresse debout alors que le pendant se lit en descendant, et donc en ne suivant pas le sens de la lecture de la femme. Dans le cas de la frise des bisons une partie des têtes suit exactement l'arête de la paroi, mais la scène se complète par plusieurs têtes de bisons qui sont à la droite de cette arête et qui viennent la rejoindre, et donc qui ne la suivent pas.

L'effet de regroupement réussi/raté utilise les mêmes procédés : les représentations sont regroupées avec la forme spéciale de la paroi qui les reçoit, mais dans le cas du pendant on les lit aussi pour elles-mêmes, et dans le cas des têtes de bisons elles s'étendent au-delà de l'angle caractéristique, de telle sorte que leur parfait regroupement avec la forme spéciale de la paroi est raté. Et puisque le regroupement de l'image avec les particularités de son support est donc fait et défait, il s'agit aussi d'un effet de fait/défait. L'effet de relié/détaché se rapporte au fait que les représentations épousent la forme de la paroi, et s'y relient donc tandis qu'elles se détachent visuellement à leur surface. Dans le cas du pendant, l'effet du centre/à la périphérie joue sur notre déstabilisation à l'examen d'une forme de voûte aussi lourde qui tient en l'air en s'appuyant sur le vide, une déstabilisation d'autant plus forte qu'on y lit les jambes d'une femme s'appuyant sur un support qui se dérobe sous ses pieds. Dans le cas de la file des bisons, cet effet joue sur le fait que les bisons situés à droite de l'angle de la paroi semblent venir se buter contre cet angle, et donc venir s'équilibrer sur la périphérie de la paroi que constitue cet angle. La butée les unes contre les autres des têtes des bisons déjà dans la file ne sera envisagée que dans le chapitre consacré à la peinture, car elle n'utilise pas la situation particulière de cette file avec l'angle de la paroi.

 

 


Grotte Chauvet-Pont d'Arc : hibou

 

Source des images : La grotte Chauvet à Vallon-Pont-d'Arc – Seuil - 1995

 

 

Très rapidement, on revient sur l'exemple du hibou de la grotte Chauvet dont le placement relève également de cette filière dès lors que la représentation du hibou et la forme de la paroi ne sont pas seulement en relation de dialogue ou d'écho visuel comme il en va sur le pendant de la Vénus : plus radicalement ici, la forme de la paroi complète la représentation du hibou puisque celui-ci est placé de telle sorte qu'il semble perché sur le bord de la voûte, exactement comme s'il était perché sur la branche d'un arbre.

 

On revient un moment sur l'explication qu'ont pu se donner les humains de cette époque pour justifier la combinaison dans une même forme, sur le pendant de la Vénus, d'une partie de femme combinée à plusieurs parties animales. Il est parfois regretté que nous ne puissions jamais avoir accès à cette explication, mais si nous l'avions ce ne serait qu'une mythologie de plus à ajouter aux millions d'explications mythologiques qu'ont inventées les humains, et elle n'aurait probablement aucune filiation avec les mythologies inventées par la suite au néolithique ou plus tardivement encore. Notre perte de la signification de cette figure composite n'a donc pas une importance essentielle puisqu'elle n'a pas de relation avec la façon dont nous comprenons le monde à notre époque, mais par contre, de simplement constater que la couleur sombre de la toison du bison n'est utilisée que sur sa tête, que cette masse sombre est précisément installée sur la verticale de la masse sombre que forme le ventre de la femme qui n'a a priori pas de raison anatomique d'être plus sombre que ses jambes sur une si grande surface, que ces deux masses sombres artificiellement et volontairement soulignées par l'artiste forment un axe vertical qui se poursuit avec l'axe que forment les jambes de la femme, et constater enfin que cet axe entre en relation visuelle avec l'axe du pendant de la voûte tout comme l'enchaînement continu des dos animaux alignés à gauche de cet axe entre en relation visuelle avec la courbure de la voûte, cela nous permet de saisir quelque chose de la relation qu'entretenaient les humains d'alors entre ce qu'ils comprenaient comme étant des faits de l'esprit et ce qu'ils comprenaient comme étant des faits de matière. Et cette fois cela nous importe, car à notre époque nous nous appuyons toujours sur ce qu'ont compris de cette relation les humains d'alors, et parce qu’il y a une filiation continue, via des milliers de générations humaines ayant très progressivement approfondi cette relation, entre ce qu'ils ressentaient alors et ce que nous ressentons aujourd'hui. Du moins, bien sûr, si les analyses qui sont faites dans cet essai ont quelque pertinence.

 

 



La Vénus de Galgenberg, dite « La danseuse » (Autriche) - vues de face et de profil -

 

Source de l'image : https://www.donsmaps.com/galgenbergvenus.html

 

 

Pour l'expression synthétique de la première étape de la 4e filière, nous revenons à l'art mobilier avec une statuette en schiste vert de Galgenberg en Autriche, souvent dénommée « La Danseuse » à cause de sa pose déhanchée et du mouvement de ses bras. Il est possible que celui situé du même côté que le sein ait été cassé et ne nous soit parvenu que de façon incomplète.

Parce que cette forme féminine est écrasée, aplatie entre deux plans très rapprochés, nous pouvons dire que nous commençons avec elle une filière d'expressions synthétiques spécialisées dans la manipulation de l'apparence matérielle des formes humaines ou animales. Par différence avec les contours découpés de la dernière étape, la Vénus de Galgenberg n'a pas été cadrée et sectionnée sur une partie de sa surface, mais sur une partie de sa profondeur. En effet, cette statuette a été sculptée dans une ardoise plate, et si elle connaît un léger relief sur sa face avant, sa face dorsale est parfaitement plane. C'est comme si le personnage avait été raboté sur sa face avant, y compris sur son visage, pour rester globalement dans une épaisseur assez mince, avec un sein complètement sectionné pour ne pas occasionner de relief dépassant cette épaisseur, l'autre rabattu sur le côté pour éviter une même surépaisseur, ses pieds sectionnés pour la même raison, ses épaules et ses bras étalés pour rester dans le même plan que celui du reste du corps, et une taille très verticale réalisée sur sa face arrière pour en faire disparaître toute excroissance, notamment celles de l'arrondi des fesses.

Il importe de comprendre que les modifications infligées à la forme normale de cette femme ne sont pas du même type que celles de l'expression synthétique de la première étape de la 2e filière. Il s'agissait alors de raccourcir très anormalement les jambes d'un cheval ou de priver de tête une femme et un félin, des déformations seulement destinées à leur donner une apparence bizarre ou mutilée. Avec la danseuse il s'agit aussi d'une apparence mutilée, mais ses mutilations vont toutes dans le sens d'aplatir sa forme pour l’assujettir à une tranche plane trop mince pour contenir son volume. Il s'agit donc ici de mutilations à but seulement « plastique », c'est-à-dire dans le but de faire dialoguer la forme d'une femme avec celle d'une tranche plane de matériau de teinte verte, car on est dans une filière qui explore la puissance de la sculpture pour manipuler les formes, et non, comme dans la 2e filière synthétique, dans une filière qui explore les capacités de l'esprit à reconnaître une forme malgré des déformations, des mutilations ou des étrangetés parfois très grandes par rapport à l'aspect réel de la forme évoquée.

Dans cette femme aplatie la matière a deux aspects différents : nous avons affaire à l'apparence matérielle d'une femme, et nous avons affaire à un matériau en ardoise taillé selon une fine lame dans laquelle le profil du personnage a été obligé de s'inscrire. Ces deux aspects de la matière sont sans relation et s'ajoutent donc en 1+1. De son côté, l'esprit de l'artiste qui a choisi un matériau aussi mince et décidé d'y sculpter la silhouette d'une femme a nécessairement géré la relation entre ces deux aspects : il relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas prendre connaissance du volume du personnage sans prendre connaissance du tronçonnement vertical opéré sur ses deux faces.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre est associé aux parties de la femme qui manquent dans la statuette mais que nous supposons suivre en surépaisseur pour reconstituer l'apparence normale d'une femme : l'épaisseur de son visage, de son sein droit, de ses pieds, de ses fesses.

L'effet de regroupement réussi/raté utilise le même principe : instinctivement, par imagination, nous regroupons dans la forme les volumes qui manquent, mais dans les faits ces parties manquantes n'y sont pas regroupées. L'effet de fait/défait est évident : la représentation d'une femme est bien faite puisque nous savons y reconnaître une femme, mais elle est défaite parce qu'elle est entaillée verticalement sur sa face avant et sur sa face arrière. Tous ses membres sont reliés en continu dans un même matériau et dans un même plan, mais ils se détachent les uns des autres grâce aux fentes qui séparent les deux jambes et qui séparent le tronc du bras droit : c'est un effet de relié/détaché. La déstabilisation propre à l'effet du centre/à la périphérie provient de la bizarre absence d'épaisseur à l'endroit des parties du corps qui devraient être en relief de telle sorte que nous ne parvenons pas à nous décider quant au volume réel de cette représentation.

 

 

 


Grotte de Gargas, Hautes-Pyrénées : avant-train de bison

Source de l'image : Préhistoire de l'art occidental - Citadelles & Mazenod - 1995

 

 

Pour l'expression analytique de la deuxième étape de la 4e filière, retour dans la grotte de Gargas avec la gravure d'un avant-train de bison. Les photographies de la paroi elle-même étant difficilement lisibles, on en donne un relevé.

La tête de ce bison a été réalisée sans aucun trait de contour par une série de hachures parallèles évoquant les poils de l'animal, et par deux traits schématisant ses cornes.

Comme on l'a déjà dit à plusieurs occasions, la deuxième étape est l'occasion d'une remise à plat après la première, une étape où sont déjà en germe les principes propres au thème de la filière, mais d'une façon qui ne peut pas être immédiatement amplifiée et qui doit parcourir toute une succession d'étapes avant d'atteindre la clarté propre à l'expression de ce thème.

Après une mise en relation de la forme de la paroi avec les représentations réalisées sur elle à la première étape, tel qu'il en allait pour le pendant de la Vénus dans la grotte Chauvet, on redémarre donc avec une mise en relation plus fondamentale entre la surface plane d'une paroi et le dessin gravé sur elle.

Par le moyen de ces hachures gravées perpendiculaires au contour de l'animal, la forme de celui-ci n'est pas présente par elle-même mais se définit seulement par la répétition continue d'une entaille de la paroi. En outre, puisque la paroi rocheuse est continue entre l'extérieur de l'animal et l'intérieur de son corps, on ne sait décider si la portion de paroi comprise à l'intérieur du contour doit être lue comme une simple paroi matérielle rocheuse ou si elle doit être lue en tant que partie de l'apparence matérielle de cet animal. Les deux lectures ne cessent de se renvoyer l'une l'autre, mais elles s'excluent puisqu'elles sont incompatibles et elles s'ajoutent donc en 1+1 matérialités autonomes au même endroit. L'esprit de l'artiste, puisqu'il a mis en relation ces deux lectures, relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément l'existence d'une représentation animale et la parfaite continuité de la paroi rocheuse qui la traverse.

À la deuxième étape de la 4e filière comme à la première, l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre : la surface de la paroi rocheuse se poursuit en continu de l'intérieur de la représentation à son extérieur puisque son contour ne l'interrompt jamais, mais la représentation animale ne se poursuit pas au-delà des hachures qui la définissent.

L'effet d'entraîné/retenu s'appuie sur l'absence de trait de contour continu : on est entraîné à lire que la surface de la paroi rocheuse est continue, mais on en est retenu lorsque l'on considère qu'il doit bien y avoir un contour qui tranche la limite de l'animal puisqu'on le distingue. L'effet d'ensemble/autonomie utilise les hachures du pelage : autonomes les unes des autres, mais fabriquant ensemble une représentation animale. L'effet d'ouvert/fermé va de soi avec ce contour qui est à la fois fermé puisqu'on perçoit sa présence et ouvert puisqu'il n'interrompt pas la continuité de la paroi rocheuse. Il correspond aussi au fait que le bison n'est représenté que par son avant-train : son corps est ouvert du côté de son arrière, il est fermé du côté de son museau. ([2])

 

 



À gauche, tracés digitaux réalisés lors d'une 1re phase d'occupation de la grotte Cosquer, Bouches-du-Rhône, France

Source de l'image : https://archeologie.culture.fr/cosquer/fr/mains

 

 

À droite, tracés digitaux sur l'un des panneaux du « plafond des Hiéroglyphes » de la grotte du Pech-Merle, Lot, France (relevé par M. Lorblanchet de la phase la plus ancienne de ces tracés)

Source de l'image : Art Pariétal – Grottes ornées du Quercy, de Michel Lorblanchet aux Éditions du Rouergue

 

 

Pour l'expression synthétique de la deuxième étape de la 4e filière, des tracés digitaux réalisés sur la paroi de la grotte Cosquer lors d'une première phase d'occupation de cette grotte, vers 30 000 avant notre ère. Ces espèces de griffures ne représentent rien de particulier mais sont une suite d'empreintes réalisées avec les doigts d'une main entière dans l'épaisseur de la surface tendre de la paroi. La même chose vaut pour les premiers tracés digitaux du « plafond des Hiéroglyphes » de la grotte  Grotte du Pech-Merle qui datent d'environ 27 000 ans avant notre ère.

Avec de tels tracés peut-être s'éloigne-t-on un peu de la notion de manipulation d'une apparence matérielle qui correspond à l'expression synthétique de cette filière. Mais on l'a dit, à la deuxième étape on reprend à zéro de telle sorte que ces tracés digitaux peuvent être vus comme la volonté de l'artiste de profiter de la paroi de la grotte pour jouer avec la trace matérielle de ses doigts, et de varier et modifier ces traces de place en place pour jouir de leurs transformations d'un endroit à l'autre de la paroi.

La matière de la paroi et les traces matérielles laissées à sa surface par les mains de l'artiste correspondent à deux aspects bien distincts de la notion de matière, ils s'ajoutent donc en 1+1. Quant à l'esprit de l'artiste qui a choisi cet emplacement matériel et réalisé dessus ces traces matérielles en mettant en relation ces deux aspects autonomes de la matérialité, pour cela il relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas séparer la perception de ces tracés de la constatation que la matière de la paroi a été transformée par leur réalisation.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre correspond au fait que ces tracés digitaux se suivent en continu sur la surface mais qu'ils sont plus ou moins parallèles entre eux, et donc côte à côte, à moins qu'ils n'aillent vers des directions complètement étrangères les unes pour les autres. Dans tous les cas, leurs directions ne se suivent pas.

L'effet d'entraîné/retenu est lié à la multiplicité de ces tracés similaires qui empêche que notre intention soit retenue sur un groupe de tracés plutôt que sur un autre : lorsqu'on se laisse entraîner à en examiner un en particulier, un autre nous en retient puisqu'il nous entraîne à plutôt l'examiner. L'effet d'ensemble/autonomie va de soi : les tracés forment des groupes autonomes qui, ensemble, font des nappes continues de tracés digitaux. Enfin, l'effet d'ouvert/fermé s'appuie sur le parallélisme des tracés entre eux : lorsqu'on suit les tracés dans le sens de leur réalisation le trajet de notre regard reste continu, donc ouvert, tandis qu'il bute sans arrêt contre de nouveaux tracés lorsqu'on les lit dans le sens perpendiculaire, le trajet de notre regard étant donc constamment fermé dans cette direction-là. Dans le cas de la grotte du Pech-Merle, chaque paquet de tracés forme un groupe localement circonscrit, donc fermé, tandis que de grandes surfaces restent libres, donc ouvertes, entre ces divers paquets.

 

 

 


Sungir, Russie : statuette de cheval en contour découpé (ses deux faces)

 

Sources des images : https://fr.sputniknews.com/sci_tech/201712041034156246-russie-archeologie-decouvertes-tombes-cro-magnons/ et inconnue

 

 

Pour l'expression analytique de la troisième étape de la 4e filière, une statuette de cheval provenant de Sungir, en Russie.

Cette statuette, réalisée en ivoire et portant des traces de peinture, est qualifiée de « contour découpé » car elle est d'épaisseur mince et uniforme. Son pied arrière est percé d'un trou qui permettait d'en faire un bijou porté en pendentif. Ce qui nous intéresse ici ce sont les alignements de cupules qui traversent la surface de chaque face de la figurine et qui soulignent sa structure puisqu'ils rentrent en relation plastique avec la forme de la figurine qui leur sert de support : une double rangée de cupules pour la forme générale du corps et de la tête de l'animal, une simple rangée pour marquer sa patte avant et sa patte arrière.

Après une première étape où la forme de la Vénus de la grotte Chauvet entrait en relation avec celle du pendant rocheux naturel sur lequel elle s'inscrivait, après une deuxième étape où la forme de l'avant-train du bison s'affirmait en contraste avec la surface de la paroi sur laquelle elle était gravée, c'est maintenant la forme de l'animal qui dialogue avec les rangées de cupules auxquelles elle sert de support. On est donc bien ici dans la filière qui met en relation un graphisme avec un support spécialement préparé pour le recevoir ou, dans le cas du bison de Gargas, qui a été choisi pour sa planéité spécialement adaptée à recevoir une gravure.

Cette statuette propose deux aspects matériels : elle évoque l'apparence matérielle d'un cheval, et elle se distingue par la présence matérielle d'alignements de cupules qui n'ont aucun rapport avec la réalité d'un cheval et valent pour eux-mêmes, pour la force de leur effet plastique. Comme ces deux aspects de la matière n'ont aucune relation entre eux, ils s'ajoutent en 1+1. L'esprit de l'artiste qui les a mis en dialogue visuel relève pour cette raison du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément la silhouette du cheval et les rangées de cupules qui sont gravées sur chacune de ses faces.

À la troisième étape de la 4e filière, l'effet prépondérant est l'homogène/hétérogène : la silhouette du cheval forme une surface plane homogène qui reçoit les hétérogénéités que forment les alignements des cupules. Ces alignements sont réalisés par la répétition homogène d'un même type de cupule, mais ils sont aussi hétérogènes entre eux puisque les uns sont droits et à simple rangée tandis que les autres ondulent et sont à double rangée. Enfin, la forme de ces alignements est homogène avec la forme générale de la silhouette, mais ils ne la suivent pas exactement de telle sorte que l'on peut aussi dire que leur parcours est hétérogène avec le contour du cheval.

L'effet de rassemblé/séparé peut se lire de deux façons : d'une part, on décèle que la forme générale des tracés de cupules est rassemblée avec la forme générale du contour de la figurine alors qu'elle est bien séparée de ce contour, à bonne distance de lui, et d'autre part on ne peut manquer de voir que les alignements de cupules rassemblent des cupules bien séparées les unes des autres. L'effet de synchronisé/incommensurable joue aussi sur l'écho plastique entre la forme des alignements et la forme générale de la figurine, un écho qui correspond à un effet de synchronisation alors qu'il existe nécessairement de l'incommensurabilité entre des alignements purement linéaires et la surface en deux dimensions qui donne sa forme à l'animal. L'effet de continu/coupé peut également se lire de deux façons : d'une part la surface de la figurine forme un plan continu coupé par le tracé des alignements de cupules, d'autre part ces alignements de cupules forment des tracés continus constamment interrompus par la présence des écarts qui existent entre elles.

 

 


Source des images :http://www.nyu.edu
/gsas/dept/anthro/programs/csho/Content
/Facultycvandinfo/White/
RWarticles/RW2002Milandes.pdf

 

 

Pour l'expression synthétique de la troisième étape de la 4e filière, deux curieuses Vénus sans tête et aux jambes atrophiées : la Vénus dite « de Tursac » (à gauche) et la Vénus dite « de Sireuil ». Dans le cas de la Vénus de Sireuil, sa tête a été cassée, tout comme l'extrémité de ses bras, mais c'est d'origine que la Vénus de Tursac n'a ni tête, ni bras.

Le remarquable dans le cas de la Vénus de Tursac est que l'artiste n'est presque pas intervenu sur la forme du galet de calcite ambré qu'il avait trouvé presque tel quel. Son analyse microscopique a en effet montré qu'elle a été mise en forme presque uniquement par des procédés d'abrasion et de polissage, ce qui ne suggère pas une importante modification de sa forme qui aurait nécessité des opérations de grattage et d'incisions à l'aide d'un outillage de silex. De telles traces sont visibles dans le cas de la Vénus de Sireuil, ce qui démontre une modification notable de la forme du galet utilisé, mais les analyses montrent aussi que son dos arqué semble en grande partie naturel. Pour cette filière, dont le thème de l'expression synthétique est la manipulation des représentations humaines ou animales au moyen de la sculpture, ce qui nous intéresse est que l'artiste a donc trouvé un morceau de matière qui évoquait vaguement une forme féminine et que son intervention a consisté à transformer cette matière pour accuser cette ressemblance et parfaire cette évocation, même si, après cette intervention, la forme restait très étrange et significativement éloignée de celle d'une femme.

On a ici une action directe et claire de l'esprit de l'artiste pour modifier, en l'accusant, une forme qui lui était proposée par la matière, ce qui implique que la notion de matière y intervient de deux façons complètement indépendantes qui ne peuvent que s'ajouter en 1+1 : il y a l'apparence matérielle d'une femme qui est évoquée, et il y a un morceau de matière en calcite. L'esprit de l'artiste relève du type 1/x puisqu'il a mis en relation la forme d'une femme et celle du matériau.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer le caractère évocateur de la forme de la figurine sans prendre en compte le fait que cette forme est seulement évocatrice, c'est-à-dire qu'elle est malgré tout très éloignée de la forme réelle d'une femme et correspond encore à une forme de galet ayant seulement par hasard une vague forme de femme.

L'effet prépondérant d'homogène/hétérogène s'exprime de deux façons : d'une part, ces galets sculptés ont un aspect et une surface globalement homogène, et ce sont les hétérogénéités de leurs formes qui leur permettent d'évoquer des représentations féminines ; d'autre part, si leur forme est homogène à celle d'une femme, elle en est aussi très différente, c'est-à-dire très hétérogène, notamment pour ce qui concerne les jambes des deux statuettes et l'absence de tête et de bras pour la Vénus de Tursac.

L'effet de rassemblé/séparé concerne spécialement la jambe pliée des deux figurines : en se pliant elles se rassemblent, la cuisse et le mollet se resserrant l'un contre l'autre, ce qui permet à cette partie des figurines de se détacher visuellement, et donc de se séparer visuellement du reste de la sculpture. L'effet de synchronisé/incommensurable est lié à l'étrangeté de leur forme qui est incommensurable avec la réalité de la forme d'une femme, mais qui se synchronise pourtant dans notre esprit avec l'apparence réelle d'une femme. L'effet de continu/coupé se réfère à la continuité de la surface du matériau, malgré tout coupée par le relief que forment les jambes et, dans le cas de la Vénus de Sireuil, par le relief que forme son bras.

 

 


Grotte de Foissac (Aveyron, France), des petits cercles noirs ont été ajoutés pour transformer des stalactites en têtes de rongeurs ou de musaraignes

 

Source de l'image : http://lithos-perigord.org/spip.php?article217

 

 

Bien qu'on ait prévenu qu'on ne prendrait pas en compte les ajouts sur les reliefs spécialement suggestifs proposés par la paroi d'une grotte pour les transformer en représentations humaines ou animales, cette façon de faire se retrouvant à bien des époques et n'étant donc pas caractéristique d'une étape particulière, on profite de l'analyse précédente pour signaler que ce type d'intervention correspond toutefois particulièrement bien à la 4e filière dans son expression synthétique.

Ainsi en va-t-il des stalactites de la grotte de Foissac, en Aveyron, sur lesquelles des petits cercles ont été ajoutés pour équivaloir à des yeux et les transformer en têtes de rongeurs ou de musaraignes. On a bien là deux aspects de la matière étrangers l'un à l'autre et qui s'ajoutent en 1+1 : la matière des stalactites et l'aspect matériel des animaux évoqués. Comme pour les Vénus que l'on vient d'envisager, il s'agit d'une expression synthétique puisque, pour percevoir ces animaux, on ne peut pas séparer la matière des stalactites des ajouts peints par l'esprit de l'humain qui les a réalisés.

 

 

 



 

Ci-contre, Roc-de-Sers, France : possible tête humaine striée

 

À gauche, Malta, Sibérie : recto et verso d'un pendentif en forme de figurine

 

Sources des images : https://www.donsmaps.com/rocdesers.html et  https://www.donsmaps.com/malta.html

 

 

Pour l'expression analytique de la quatrième étape de la 4e filière, une figurine provenant du site de Malta, en Sibérie. Il s'agit d'un pendentif en forme de figurine, probablement féminine, qui est striée de rainures horizontales parallèles entre elles et parfois légèrement ondulantes. Il est supposé que ces lignes horizontales reprennent l'apparence réaliste des habits avec capuche en fourrure de cette époque froide, les rayures correspondant à l'alternance de fourrures claires et de fourrures sombres. Sans l'analyser, on donne aussi une sculpture trouvée à Roc-de-Sers, en France, qui correspond peut-être à une tête humaine striée de la même façon de bandes approximativement horizontales.

On est revenu dans la filière qui met en scène la relation entre un graphisme et son support. À l'étape précédente, celle du cheval de Sungir, le graphisme était encore largement indépendant de la forme de son support, même s'il en reprenait l'allure d'ensemble. Ici, il se confronte à la totalité de son support puisque les rainures horizontales qui marquent la figurine en font exactement le tour et ne l'épargnent que sur de petites surfaces, celle du visage et celle des pieds.

La notion de matière apparaît ici sous deux aspects indépendants qui s'ajoutent en 1+1 : il y a la représentation de l'apparence matérielle d'un humain et il y a les rainures matérielles profondément creusées à sa surface qui lui donnent son allure d'ensemble.

L'esprit de l'artiste est ce qui met en relation ces deux aspects de la matière et relève donc, pour cette raison, du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément qu'il s'agit d'une représentation humaine et que cette représentation est rayée sur toute sa surface.

À la quatrième étape de la 4e filière l'effet prépondérant est le rassemblé/séparé : les bandes horizontales laissées entre les rainures sont séparées les unes des autres, mais elles sont collées les unes aux autres et sont donc également rassemblées. On peut aussi dire de ces rainures séparées qu'elles forment un thème plastique qui rassemble l'ensemble de la figurine et qui lui donne une très forte unité. Enfin, on peut noter que les rainures qui séparent les bras du tronc n'empêchent pas que les bras restent rassemblés avec le tronc grâce à la présence des rayures horizontales qui se poursuivent en continu, ce qui vaut aussi pour les rayures horizontales des jambes et la rayure verticale qui les sépare.

Les anneaux horizontaux séparés par les rainures sont indépendants les uns des autres tout en étant liés entre eux puisqu'ils se collent les uns aux autres : c'est un effet de lié/indépendant. L'effet de même/différent se lit dans la répétition de différentes fois la même forme d'entaille horizontale. Il se lit aussi dans le fait que la même forme d'entaille prend des allures différentes d'un endroit à l'autre de la statuette : très courte sur les jambes, en sections de longueurs variées sur la face avant du torse, continue mais ondulante sur le dos du personnage et sur l'arrière de sa capuche. L'effet d'intérieur/extérieur correspond au creux des entailles qui amène l'extérieur à l'intérieur même du volume de la statuette, et il correspond aussi au fait que l'extérieur de chaque bande horizontale se discerne bien à l'intérieur de la surface de la statuette. Enfin, l'effet d'un/multiple va de soi : la statuette est à la fois une et divisée en multiples tranches.

 

 


 

Ci-dessus, Gagarino, Russie : double statuette (tête-bêche)

 

À droite, Avdeevo, Russie : double Vénus (dos à dos)

 

Sources des images : https://www.donsmaps.com/gagarino.html et https://www.donsmaps.com/avdeevo.html


 

 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 4e filière, en Russie, sur le site de Gagarino une statuette de deux personnages alignés tête-bêche, et sur le site d'Avdeevo deux Vénus dos à dos mais en sens inversés. La disposition des deux personnages tête-bêche de Gagarino est identique à la disposition de deux corps qui ont trouvés dans une tombe sur le site de Sungir, à 500 km environ de Gagarino. Cette double statuette ne semble pas terminée, elle a probablement été abandonnée en cours de fabrication après qu'une fracture eut commencé à se manifester dans l'ivoire. Concernant la double Vénus d'Avdeevo, on notera que l'une d'entre elles a le visage masqué comme celles analysées pour l'expression analytique de la 1re filière à la même étape, et que l'autre a le visage dégagé, comme il en allait pour les figurines analysées pour son expression synthétique.

Ces deux sculptures s'inscrivent bien dans le thème de l'expression synthétique de la 4e filière, un thème qui utilise la sculpture pour manipuler des représentations humaines ou animales, puisque ces assemblages insolites et artificiels correspondent effectivement à une manipulation de la représentation de figures humaines : dans un cas, la manipulation consiste à les mettre tête-bêche, dans l'autre à les mettre dos à dos, la tête de l'une derrière les mollets de l'autre. Ces manipulations engagent la matérialité du corps des personnages et elles utilisent la matière de l'ivoire pour les réaliser. Ces deux aspects de la matière n'ayant rien à voir, ils s'ajoutant en 1+1. L'esprit de l'artiste, parce qu'il combine ces deux aspects dans son œuvre, relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer les personnages sculptés indépendamment de leurs insolites positions relatives.

L'effet prépondérant de rassemblé/séparé est spécialement bien exprimé par ces assemblages qui accolent des figurines visuellement bien séparées l'une de l'autre.

L'effet de lié/indépendant va de soi pour la même raison : les deux figurines sont chaque fois liées l'une à l'autre et bien indépendantes l'une de l'autre puisqu'elles ne sont pas dans le même sens. L'effet de même/différent a deux aspects : d'une part, on peut dire qu'une même statuette est obtenue par l'assemblage de deux figurines différentes, d'autre part on peut remarquer que dans chacune les figurines sont de même type mais différentes, puisqu'elles sont de longueurs très différentes dans le cas des figurines tête-bêche, et puisque leurs visages sont traités de façons très différentes dans le cas des Vénus dos à dos. L'effet d'intérieur/extérieur s'appuie sur l'autonomie des figurines à l'intérieur de leur couple, une autonomie qui permet de considérer chacune séparément et donc à l'extérieur de l'autre, cela tout en ressentant qu'elles sont toutes les deux à l'intérieur d'un couple de figurines. L'effet d'un/multiple va de soi puisqu'il s'agit chaque fois d'un couple qui comporte deux figurines bien distinctes l'une de l'autre.

 

 

Pour finir, on rappelle l'état de l'évolution de cette 4e filière à sa dernière étape.

Après la figurine de Malta entaillée de sillons horizontaux, l'expression analytique aboutit dans une forme qui affirme cette fois complètement une différence entre la surface spécialement aménagée pour y graver une représentation ou des graphismes (ici, une surface ronde encadrée par un cercle cranté) et l'expression proprement dite de cette représentation ou de ces graphismes (ici, la gravure d'un avant-train de bouquetin et des rayons partant du trou central).

De la même façon, après les statuettes doubles de Russie, l'expression synthétique aboutit à la franche manipulation d'une représentation animale au moyen d'une sculpture qui permet, comme dans cet exemple, de découper la tête d'un animal pour en faire une image complète et autonome.

Spécialement dans cette filière, et pour ses deux expressions, on peut relever un véritable saut de maturité de son thème à la dernière étape.

 



Bouquetin sur rondelle de Bruniquel, Tarn et Garonne, et tête de cheval en contour découpé de la Grotte du Mas-d’Azil, Ariège

 

Sources des images : https://www.donsmaps.com/enlene.html et  https://musee-archeologienationale.fr/phototheque/oeuvres/tete-de-cheval-en-contour-decoupe_grave_perforation

 

 

> Suite du Chapitre 14


[1]Alain Testart, Art et Religion de Chauvet à Lascaux (Postume), Editions Gallimard 2016, page 155

[2]On peut trouver une analyse plus complète des effets plastiques de cette représentation de bison sur le site Quatuor à l'adresse : http://www.quatuor.org/art_histoire_b12_0005.htm