Christian RICORDEAU

Essai sur l'art

 

tome 5

Vers la Renaissance

 

Chapitre 17 (suite)

NATURALISME

et

ANIMISME

 

 

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17.2.  La filière chinoise pendant la phase naturaliste :

 

Chronologie approximative de la filière chinoise du naturalisme :

         la première étape de cette phase correspond à la dynastie des Shang à Anyang (une ville aussi dénommée Yinxu), approximativement de 1300 à 1200 avant notre ère ;

         la deuxième étape correspond à la fin des Shang, vers 1200 à 1045 avant notre ère, et au début des Zhou Occidentaux, vers 1040 à 950 ;

         la troisième étape correspond à la période intermédiaire des Zhou Occidentaux, soit approximativement de 950 à 850 avant notre ère ;

         la quatrième étape correspond à la fin des Zhou Occidentaux, vers 850 à 770 avant notre ère, puis aux Zhou Orientaux (époque des Printemps et des Automnes, de 770 à 481, et période des Royaumes Combattants, de 481 à 221) ;

         la cinquième et dernière étape correspond aux Qin (-221 à -207), aux Han de l'Ouest/ou Antérieurs (-206 à +9, soit aux IIe et Ier siècles avant notre ère), aux Han de l'Est/ou Postérieurs (+25 à +220) et au début de l'époque des Six Dynasties, soit au Royaume de Wei (+220 à +265) et aux Jin Occidentaux/ou T'sin de l'Ouest (+281 à +361). Au total, cela correspond à une période qui va approximativement de 221 avant notre ère à 316 après le début de notre ère ([1]).

 

 

17.2.1.  Les deux dernières étapes de l'évolution de l'architecture dans l'ontologie naturaliste couplée chinoise :

 

Comme pour la filière gréco-latine, nous commençons par l'architecture puisqu'on y est spécialement du côté de la matière qui se transforme. Toutefois, l'architecture chinoise étant essentiellement construite en bois elle s'est très mal conservée, nous ne pouvons vraiment envisager que la dernière étape de sa phase naturaliste car il en existe des modèles réduits en terre cuite. Pour les étapes plus anciennes, il existe des dessins et des maquettes qui reconstituent leur apparence, mais ces reconstructions se font sur la base d'hypothèses dont il est difficile d'évaluer la pertinence et, sauf accessoirement, on s'abstiendra de s'y référer.

 

 

 


 

 

 

Ci-dessus, l'état schématique de la situation à la première et à la dernière étape de la phase naturaliste. Puisqu'on est dans la filière naturaliste, la notion d'esprit (en blanc) a déjà acquis son caractère global à l'étape précédente et la notion de matière (en noir) relève toujours du cas par cas.

En Chine ces deux notions sont en situation couplée, c'est-à-dire qu'elles sont d'emblée saisies comme les deux aspects différents d'un couple de notions, et elles le resteront pendant toute la durée de cette phase. Dans la phase suivante, les deux notions désormais toutes les deux globales resteront autonomes l'une de l'autre, mais, pour les raisons qui ont été expliquées au chapitre 17.0, leur situation couplée implique que la notion de matière aura acquis une cohésion plus forte que celle de la notion d'esprit et deviendra hégémonique, ce qui fera alors basculer la Chine dans l'animisme.

 

On n'a jamais signalé la conséquence de la situation additive dans laquelle se trouvaient les deux notions dans les chapitres consacrés à l'architecture de la filière gréco-latine, car il était difficile de bien faire comprendre cette conséquence sans comparer avec la situation couplée de la filière chinoise. Après avoir analysé l'architecture chinoise, on reviendra donc sur l'architecture gréco-latine pour montrer la différence de ces deux situations malgré leur inscription similaire dans une filière naturaliste.

 

 

L'architecture de la dernière étape du naturalisme chinois :

 

Pour l'essentiel, l'architecture de la dernière étape du naturalisme chinois est celle des dynasties Han, laquelle nous est parvenue par les modèles réduits de constructions qui ont été retrouvés dans des tombes de la région du Henan et qui concernent surtout à la période des Han que l'on qualifiera ici de Postérieurs, mais qui sont aussi souvent qualifiés de Han de l'Est ou de Han Orientaux (25 à 220 après le début de notre ère).

On donne quelques exemples de modèles d'architecture correspondant à des situations variées : une ferme, une résidence, une tour que l'on peut dire d'agrément, et une tour d'observation à visée plutôt militaire. Permise par la technique du bois, la construction en hauteur peut paraître surreprésentée à cette époque, mais elle s'explique par des raisons de protection contre les raids des nomades des steppes et des bandes de brigands ou de paysans ruinés. Pour cette raison, même les fermes étaient dotées d'une tour de garde.

 





 

Maquettes en terre cuite de bâtiments des Han Antérieurs (extrémité gauche) et des Han Postérieurs (les trois autres).

De gauche à droite : une ferme du Ier siècle avant notre ère, avec porche, tour de garde, bâtiment d'habitation, entrepôt et porcherie - une résidence du IIe siècle avec portail flanqué de deux « que », une cour, deux étages d'entrepôt et deux étages d'habitation surmontés d'une tour de ventilation - pavillon datant approximativement de l'an 200, avec portique et chambre en rez-de-chaussée et deux étages largement ouverts - une tour d'observation avec portail et cour d'entrée.

Sources des images : La Chine sous toit, catalogue d'exposition, Nicole de Bisscop et https://sq.wikipedia.org/wiki/Skeda:Nswag,_dinastia_han_occidentale,_modellino
_funebre_di_una_torre_d%27avvistamento_02.JPG

 

Si l'on considère d'abord les deux tours, on voit qu'elles sont chaque fois obtenues par l'addition, l'une sur l'autre, de constructions que l'on peut lire isolément, chacun munie d'un soubassement, d'un balcon, de son étage proprement dit puis d'une toiture sur cet étage, et l'on repart avec le soubassement d'un nouvel étage. On a donc clairement affaire à un étage + un autre étage + etc., sans que cette addition ne fasse émerger autre chose qu'un effet de répétition, et cette répétition matérielle produit nécessairement un effet de continu/coupé qui est l'effet qui porte à cette étape la notion de matière. Si l'on prend du recul par rapport à la succession matérielle des étages et que l'on envisage l'effet d'ensemble qui en résulte, notre esprit peut lire que ces étages sont certes indépendants les uns des autres, mais qu'ils sont aussi liés les uns aux autres, attachés les uns aux autres pour former ensemble un bâtiment unique en forme de tour, ce qui correspond à l'effet de lié/indépendant qui porte à cette étape la notion d'esprit. Si cette tour est le résultat de l'addition de 1+1 étages, rien n'empêche donc de la lire aussi comme une tour divisée en multiples étages, et donc en 1/x, ce qui est exactement à ce que l'on devait attendre pour la dernière étape de la phase naturaliste : la matérialité fonctionne toujours en 1+1, mais comme ses 1+1 aspects ont réussi à se regrouper en unité globale, on peut également les lire en 1/x.

Dans les chapitres consacrés à la peinture et à la sculpture de la filière gréco-latine, on a toujours montré que les effets portant la notion de matière et ceux portant la notion d'esprit utilisaient des aspects différents des formes, cela résultant du caractère additif des deux notions, et donc de leur relative autonomie. Dans la civilisation chinoise, puisque les notions sont couplées on constate dès ce premier exemple que ce sont les mêmes aspects des formes qui sont utilisés par les deux notions : c'est le même principe d'étages indépendants mis bout-à-bout qui produit la répétition continue à l'origine de l'effet de continu/coupé et à l'origine de l'adhérence mutuelle des étages successifs qui produit l'effet de lié/indépendant. Ce sont les mêmes aspects, mais ils sont conçus de telle sorte qu'ils peuvent se lire de deux façons différentes, et même de trois façons puisqu'ils sont aussi utilisés par l'effet d'intérieur/extérieur qui, à cette étape, rend compte de la relation entre les deux notions : puisque chaque étage dispose matériellement d'un début et d'une fin bien individualisés, c'est-à-dire d'un soubassement et d'une toiture qui lui sont propres, l'extérieur de chacun des étages est parfaitement repérable par notre esprit à l'intérieur de la tour qui les rassemble.

Après avoir examiné les trois effets caractéristiques de l'évolution ontologique, on envisage les autres. Celui qui s'impose d'emblée est de nouveau l'intérieur/extérieur. La forme se répand par un effet d'un/multiple qui va de soi puisqu'il s'agit d'une tour qui est faite de multiples étages. Elle s'organise par un effet de regroupement réussi/raté : le regroupement réussi est celui de l'enfilade des étages collés l'un sur l'autre, mais ce regroupement est raté puisque chaque étage ne se fond pas dans une continuité lisse qui ferait disparaître son autonomie, il reste distinctement repérable en tant qu'étage indépendant. Enfin, l'effet qui résume les trois précédents est celui de fait/défait : la continuité verticale de chaque tour est faite, elle est défaite par les coupures des étages qui dégradent cette continuité dans leur section habitable et qui la cassent par les avancées de leurs balcons et de leurs toitures.

 

Après l'analyse des tours, celle de la ferme et de la résidence dont on a également donné des modèles réduits.

On y trouve les mêmes dispositions, même si elles sont utilisées avec moins de régularité : des encorbellements par lesquels des étages avancent leurs façades au-delà de l'alignement de l'étage précédent, des toitures partielles qui couvrent un étage et affirment fortement que celui-ci se termine avant que ne commence l'étage du dessus, et des balcons qui accusent la coupure entre un étage et le suivant. Dans le cas de la résidence, on observera notamment le jeu sophistiqué de consoles par lequel s'avance un étage ou sa toiture, une disposition de charpenterie qui aura une longue descendance dans l'architecture chinoise. On peut également y observer les « que » qui forment des excroissances de chaque côté du portail d'entrée de la cour et dont la fonction, liée à une volonté de prestige des propriétaires, semble uniquement destinée à générer des volumes qui seront continus/coupés avec le mur qui les soutient et simultanément liés à ce mur mais indépendants de lui et, finalement, extérieurs à lui tout en étant à l'intérieur de son dispositif.

 

 

Recul à l'avant-dernière étape de l'architecture du naturalisme chinois :

 

 

Sans prétendre à une analyse approfondie de l'avant-dernière étape du naturalisme chinois, seulement pour donner un autre exemple de la façon dont les effets plastiques représentatifs d'une étape utilisent les mêmes aspects d'une architecture dans le cadre d'une relation couplée, on examine la façon dont se superposent deux toitures successives dans l'architecture du palais n° 1 de Xianyang, capitale des Qin, probablement construit vers 350 avant notre ère, c'est-à-dire à l'époque dite des Royaumes combattants des dynasties des Zhou orientaux.

Sous réserve que les reconstitutions qui en ont été faites par maquette et par graphique correspondent bien aux dispositions réelles de ce bâtiment, on voit que la façon dont deux toitures se succèdent est très différente de la façon caractéristique de l'époque des Han. Il n'y est pas question d'affirmer le volume autonome d'un étage entre deux niveaux de toiture, les toitures semblent au contraire se succéder directement, seulement séparées l'une de l'autre par un vide, par une coupure, une disposition qui aura une longue descendance dans l'architecture chinoise.

 


 

Détail d'une maquette du palais n° 1 de Xianyang, capitale des Qin, datant peut-être de 350 environ avant notre ère

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Dynastie_Qin


 

Reconstitution graphique du palais 1 de Xianyang

Source de l'image : L'Architecture Chinoise, sous la direction de Nancy S. Steinhardt – éditions Philippe Picquier (2005)

 

 

À l'avant-dernière étape du naturalisme, l'effet qui rend compte de la matérialité est le synchronisé/incommensurable. Ici, il correspond au fait que deux toitures successives se synchronisent pour tomber exactement pile l'une au-dessus de l'autre et de tous côtés en situation parfaitement symétrique, cela alors qu'elles ne s'attachent nulle part l'une à l'autre, qu'elles ne disposent d'aucun ancrage leur permettant de se caler ainsi à la perfection, de telle sorte que cette synchronisation peut sembler surprenante. De son côté, prenant du recul par rapport à cet effet de superposition miraculeuse, notre esprit peut lire dans cette disposition une suite continue de toitures franchement coupées l'une de l'autre, un effet de continu/coupé qui est celui qui porte la notion d'esprit à cette étape. Au passage, on remarquera que ces deux toitures ne font pas ensemble un volume global, seulement l'addition de 1+1 plans de toiture indépendants, et d'ailleurs très différents puisque l'un a une forme de coiffe tandis que l'autre a une forme de couronne périphérique.

Cette fois encore, ce sont donc les mêmes aspects de la forme qui provoquent l'effet de synchronisé/incommensurable et celui de continu/coupé puisqu'ils s'appuient tous les deux sur une succession de toitures complètement coupées l'une de l'autre, une coupure qui explique la surprise due à leur parfaite synchronisation multi-symétrique et qui oblige à les lire en étapes successives. Puisqu'il rend compte de la relation entre les deux notions à cette étape, l'effet de même/différent utilise nécessairement les mêmes dispositions : la couverture du bâtiment combine matériellement deux toitures successives, et donc deux différentes toitures, et notre esprit constate que ces deux toitures sont différentes puisque l'une a la forme d'une coiffe pyramidale tandis que l'autre a la forme d'un ruban périphérique au développement principalement linéaire.

 

De l'avant-dernière étape, on donne aussi l'exemple des mausolées royaux de Zhongshan qui datent de la fin de la période des Royaumes combattants. Ils auraient été construits approximativement à la même date que le palais n° 1 de Xianyang, peut-être quelques dizaines d'années plus tard.

Comme le montre la coupe, chaque bâtiment cérémoniel était construit en charpente de bois installée sur le pourtour et sur le dessus d'un imposant tertre en terre battue appelé « tai ». Cette technique de construction en bois portée par un tai n'était pas réservée aux mausolées et, en principe, des chambres étaient creusées dans le tertre qui donnaient sur la ou les galeries couvertes qui en faisaient le tour. Les plus anciens dispositifs retrouvés de ce type datent du VIIIe siècle avant notre ère ([2]), à la fin des Zhou occidentaux, ce qui permet de conclure qu'ils correspondent à un type d'architecture caractéristique de l'avant-dernière étape de la phase naturaliste. Vue depuis l'extérieur, qu'est-ce donc qu'une telle disposition sinon une suite continue de toitures coupées les unes des autres, parfaitement synchronisées entre elles pour se superposer sur un même axe vertical sans proposer aucun repère permettant de comprendre cette synchronisation, et intégrant de plus dans un même volume des toitures d'ampleur et de formes différentes ? Cette disposition implique par conséquent les mêmes effets que le palais n° 1 de Xianyang, et les développements faits à son propos valent aussi pour cette construction.

 



 

Reconstitution en perspective et en coupe des mausolées royaux de Zhongshan réalisés vers 310 avant notre ère, vers la fin de la période des Royaumes combattants

 

Source des images : La Chine, éditions Citadelles & Mazenod (1997)

 

 

 

 

Différence entre architecture couplée et architecture additive pendant la phase naturaliste :

 

On en vient à la comparaison entre une architecture d'ontologie « couplée » et une architecture d'ontologie « additive », et pour cela on revient sur l'architecture gréco-latine analysée dans un chapitre antérieur. D'abord avec la dernière étape de la phase naturaliste romaine dont on va analyser plus complètement l'Ara Pacis, le forum d'Auguste, et la Maison Carrée de Nîmes.

 

 


Vue écorchée de l'Ara Pacis de Rome (13 à 9 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://diariodibordomarcovignaroli.com/ara-pacisdomenicalmuseo/

 

 

De l'Ara Pacis nous avions seulement considéré l'effet d'intérieur/extérieur, sans envisager les effets de continu/coupé et de lié/indépendant qui portent séparément chacune des deux notions. L'effet matériel de continu/coupé correspond à l'escalier qui se continue depuis l'extérieur jusqu'au cœur de l'autel, cette continuité étant coupée par la traversée de la paroi extérieure du monument et par le large palier que forme la plateforme de sa périphérie intérieure. L'effet de lié/indépendant qui capte spécialement l'intérêt de notre esprit correspond à l'impression que l'autel et les marches qui le cernent semblent former une entité autonome rajoutée, rapportée puis collée au centre de la plateforme du monument, et cette entité est aussi visuellement liée aux parois qui cernent le monument du fait qu'elle se trouve exactement dans son centre et sur l'axe du cheminement matérialisé par la position de l'escalier et par les positions des ouvertures pratiquées dans les parois.

Même s'ils utilisent nécessairement les mêmes formes, l'effet de continu/coupé et l'effet de lié/indépendant en exploitent des aspects différents : la rupture de continuité de l'escalier et le franchissement d'une ouverture pour le premier, l'autonomie apparente de l'autel pour l'autre. Par différence, dans l'architecture Han on avait constaté que c'étaient les mêmes aspects qui, selon la lecture qu'on en faisait, pouvaient aussi bien suggérer l'un de ces deux effets que l'autre. Dans l'architecture chinoise, c'est la disposition en couple des notions de matière et d'esprit qui est à l'origine du couplage de leurs effets, tout comme dans l'architecture romaine aux alentours de l'an 0 c'est le découplage des deux notions qui ne s'ajoutent qu'en 1+1 qui est à l'origine de l'indépendance de leurs expressions : l'organisation matérielle des lieux est seule à l'origine de l'effet de continu/coupé, et c'est seulement parce que notre esprit peut décomposer visuellement le bâtiment en un enclos fait de hauts murs et en un autel posé en son centre que peut surgir l'effet de lié/indépendant.

 

 


 

Reconstitution graphique et par maquette du Forum d'Auguste à Rome, Italie (2 AEC)

Sources des images : https://julioclaudiens.wordpress.com/forum-auguste/ et https://www.wikiwand.com/fr/Ara_Pacis


 

Du Forum d'Auguste nous avions envisagé l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions, mais sans examiner les effets correspondant spécifiquement à chacune de ces notions. L'effet de continu/coupé qui porte la notion de matière correspond au fait que la même paroi matérielle qui fait le tour extérieur du temple se transforme brutalement en paroi intérieure de sa cour, ces deux surfaces qui se continuent l'une à la suite de l'autre étant donc coupées l'une de l'autre par les sens inverses de leur courbure. Pour sa part, en prenant du recul par rapport à cette continuité matérielle, notre esprit est capable de lire que l'ensemble du bâtiment est formé de deux formes indépendantes, le temple convexe d'une part, sa cour concave d'autre part, et capable de lire qu'elles sont liées l'une à l'autre par un accolement local, mais aussi par l'analogie de leurs formes rectangulaires et par leurs situations sur un même axe de symétrie. Bref, notre esprit est capable de faire surgir un effet de lié/indépendant d'une disposition matérielle qui n'était que continue/coupée. De même que dans l'Ara Pacis, les deux effets plastiques s'appuient donc sur des propriétés différentes des volumes, continuité matérielle mais courbures inverses dans un cas, analogie de forme, position sur un même axe et accolement local pour l'autre.

 

 

 


Maison Carrée de Nîmes, France (temple romain construit probablement de10 avant notre ère à 4 après)

 

Source de l'image : https://www.nimes.fr/decouvrir/histoire-et-patrimoine/la-maison-carree.html

 

 

Dernier exemple de la dernière étape du naturalisme romain, la Maison Carrée de Nîmes.

Les murs de la cella forment une surface matérielle continue régulièrement coupée par la présence matérielle des colonnes, et ces colonnes forment elles-mêmes une suite continue de cylindres coupés par ces murs sur toute leur hauteur : la matière des murs et celle des colonnes font ici du continu/coupé. Prenant du recul par rapport à cette situation conflictuelle liée à l'imbrication matérielle des colonnes et des murs, notre esprit recompose mentalement l'unité du volume généré par les murs et l'unité que formerait la colonnade si elle n'était pas ainsi perturbée par la présence des murs. Mentalement, notre esprit peut donc envisager qu'il y a là l'encastrement d'un volume plein aveugle et d'une colonnade ouverte, deux constructions autonomes l'une de l'autre mais emboitées l'une dans l'autre et donc liées l'une à l'autre. D'une disposition matérielle continue/coupée, notre esprit fait ainsi surgir un effet qui lui est propre, celui de lié/indépendant. Et là encore, les deux effets en cause s'appuient sur des aspects différents des mêmes formes.

Si l'on considère maintenant la continuité matérielle horizontale de l'ensemble du bâtiment, on voit qu'elle est coupée en deux parties, celle du portique largement ouvert sur l'extérieur et celle de la cella complètement aveugle. Bien qu'elles soient indépendantes, notre esprit peut toutefois repérer que ces deux parties sont liées l'une à l'autre par un entablement unique surmonté d'une toiture et par l'unicité du soubassement qui les porte. Outre que ces effets de continu/coupé et de lié/indépendant ne s'appuient pas sur les mêmes aspects du bâtiment, la lecture horizontale de l'un et verticale de l'autre sont nécessairement indépendantes puisqu'elles se font dans des directions croisées.

 

 

 


Proposition de reconstitution du monument des Néréides à Xanthos, Turquie (vers 390 à 380 avant notre ère)

 

Source de l'image : http://ancientrome.ru/art/artworken/img.htm?id=3339

 

 

On pourrait revenir de la même façon sur toutes les autres étapes du naturalisme gréco-latin. Pour ne pas être trop long, on se contentera de son avant-dernière étape avec l'exemple du monument des Néréides à Xanthos.

L'aspect comme improbable de la superposition exacte des deux toitures du bâtiment chinois est ici remplacé par la superposition exacte, finalement tout aussi improbable, d'un massif cubique complètement opaque et d'un portique largement ouvert sur l'extérieur, sans qu'aucun repère ne permette de comprendre pourquoi ses colonnes périphériques tombent pile sur l'alignement des façades extérieures du bloc cubique et pourquoi les colonnes d'extrémité tombent pile au-dessus des angles de ce même bloc. De la même façon, on peut être surpris que le volume du toit à section triangulaire s'accorde parfaitement avec le périmètre des entablements portés par les colonnes alors que ces deux formes ne sont pas du tout générées de la même façon. Comme pour les toitures du palais de Xianyang, c'est là un effet de synchronisé/incommensurable qui a trait à la matérialité du bâtiment.

L'effet de continu/coupé est lui porté par une lecture différente : il néglige le fait qu'un volume cubique fermé aux parois continues n'a rien à voir avec un volume largement ouvert seulement créé par des colonnes très éloignées les unes des autres, il se contente de faire valoir que le plan de chacune des parois du massif cubique se prolonge dans le plan des façades virtuelles suggérées par la présence des colonnes, et qu'il se prolonge ensuite dans le plan des entablements qui surmontent ses colonnes. C'est notre esprit qui construit virtuellement cette continuité et qui y repère des coupures à plusieurs reprises : elle est d'abord produite par la surface continue d'un mur aveugle qui s'interrompt brutalement et se prolonge par les lignes verticales des colonnes, lesquelles s'interrompent à leur tour pour se continuer par des bandes pleines d'entablements horizontaux, le volume global ainsi généré se poursuivant ensuite par une toiture dont le fronton et les deux pans sont coupés du volume du dessous par de légers débords qui le transforment en un volume légèrement autonome.

Encore une fois, et comme le veut le caractère additif des deux notions, on voit que l'effet qui porte la notion de matière et celui que déchiffre spécialement notre esprit utilisent des aspects complètement différents des formes.

 

 

 

Puisqu'on en est à comparer dans l'art et dans l'architecture la différence entre la tradition grecque et la tradition chinoise concernant le rapport à la matière et à l'esprit, il peut être opportun de faire le point de cette différence dans le domaine des conceptions théoriques de l'époque. Pour ce qui concerne la Grèce, on peut parler de philosophie, pour la Chine, il paraît plus approprié de parler de cosmologie.

 

On peut d'abord constater que les conceptions théoriques caractéristiques de ces deux civilisations sont nées dans les deux cas pendant les dernières étapes de l'ontologie naturaliste.

Ainsi, la notion de Yin-Yang (complémentarité des contraires et possibilité pour eux de se transformer progressivement l'un en l'autre) a commencé à apparaître de façon assez structurée vers le VIIIe siècle avant notre ère, à l'époque des Zhou, c'est-à-dire pendant ce que nous avons défini comme l'avant-dernière étape du naturalisme chinois. C'est principalement vers le début de la dynastie Han, et donc à l'occasion de la dernière étape du naturalisme chinois, que cette notion a été synthétisée en une théorie cohérente du cosmos par sa combinaison avec la théorie des Cinq Éléments apparus à l'époque des Royaumes Combattants (l'eau, le feu, le bois, le fer et la terre) et avec la notion de Qi (force cosmique, énergie vitale). On peut aussi rappeler que Lao-Tseu (ou Lao-Zi) a vécu à l'articulation entre le VIIe et le VIe siècle avant notre ère, que l'on peut donc dater le début du taoïsme de cette époque tandis que Confucius a vécu environ un siècle plus tard, ce qui place ces deux personnages dans le cadre de l'avant-dernière étape du naturalisme chinois.

Pour leur part, Aristote a vécu dans la Grèce du IVe siècle avant notre ère et Platon à cheval entre le Ve et le IVe siècle, ce qui les place tous les deux à l'époque de l'avant-dernière étape du naturalisme grec. Quant à Empédocle, l'auteur de la théorie des Quatre Éléments constituant l'ensemble des corps (la terre, l'air, l'eau et le feu), il a vécu un peu plus tôt, au Ve, ce qui le place à l'étape précédente.

Dans ces deux filières, toutes les deux naturalistes, l'esprit fonctionnait donc en 1/x tandis que la matière, bien que toujours conçue comme une suite de 1+1 aspects autonomes, était sur le point d'être conçue à son tour au moyen d'une notion du type 1/x. Dans les deux civilisations l'esprit des penseurs concevait par conséquent le monde, notamment le monde matériel, avec une pensée fonctionnant en 1/x, et il en est résulté une ressemblance inévitable dans leur façon de décrire le monde. Ainsi, en Grèce, Empédocle pensait que chaque corps physique était composé en plus ou moins grande quantité d'un ou plusieurs des Quatre Éléments qu'il avait définis, ce qui expliquait les différences observées entre les différents corps, et cette conception a été complétée par Aristote par la décomposition de ces quatre éléments en Quatre Qualités élémentaires regroupées selon deux pôles opposés, le sec et humide pour l'un, le chaud et le froid pour l'autre. Cette conception a prévalu en Occident pendant toute la période médiévale lors de laquelle l'esprit fonctionnait toujours en 1/x, et elle s'est même poursuivi un peu au-delà du fait de l'inertie prope au mode de pensée. Elle peut être résumée par ce schéma :

 


Les Quatre Éléments et les Quatre Qualités, selon la théorie d'Aristote

source de l'image : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:El%C3%A9ments_Transition1.jpg

 

Il est aisé d'y repérer une pensée du type 1/x puisqu'elle pense la matérialité comme une globalité compacte divisée en multiples parties distinctes, et puisqu'elle pense les différences à l'intérieur d'une totalité close de substances qui sont supposées regrouper par paires opposées toutes les substances et toutes les qualités existant dans l'univers. On peut également repérer aisément que ce fonctionnement de la pensée est équivalent à celui des Cinq Éléments chinois qui sont résumés par ce schéma :

 


Les Cinq Éléments ou Cinq Phases, les saisons et les directions, selon la pensée chinoise antique

source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Wuxing_(cosmologie)

 

La différence entre les quatre éléments de la pensée grecque et les cinq éléments de la pensée chinoise résultent du fait que, en Chine, un élément est ajouté au centre des quatre autres, l'axe central vertical s'y ajoutant aux quatre directions de l'espace.

 

Si les développements de cet ouvrage sont corrects, les ressemblances entre la pensée grecque et la pensée chinoise vers la fin de l'ontologie naturaliste résultent du caractère 1/x déjà acquis depuis longtemps par la notion d'esprit dans ces deux civilisations, avec la notion de matière sur le point d'être suffisamment mûre pour acquérir à son tour ce caractère. Il reste à envisager leurs différences et, toujours si les développements de cet ouvrage sont corrects, elles doivent résulter du fait que la Grèce concevait la matière et l'esprit comme deux notions autonomes s'ajoutant en 1+1 tandis qu'en Chine elles étaient d'emblée posées comme étant les deux aspects d'un couple fonctionnant en 1/x.

Pour la Grèce, on peut évoquer la démarche d'Aristote qui, dans son Organon, a formalisé des fonctionnements propres à la pensée, notamment celui du raisonnement logique appelé « syllogisme ». Celui-ci met en relation univoque plusieurs propositions, deux ou davantage étant appelées des « prémisses », lesquelles conduisent à une « conclusion ». C'est un tel raisonnement qui permet par exemple de dire : tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel.

Ce type de raisonnement est une induction purement logique, c'est-à-dire qu'il relève d'un fonctionnement propre à l'esprit qui ne doit rien au fonctionnement de la matière. Certes, les raisonnements d'Aristote n'étaient pas encore abstraits, c'est-à-dire qu'il n'utilisait pas des notions exemptes de toute matérialité, telles que A + B    C, il s'appuyait toujours sur des réalités matérielles ou régissant le fonctionnement des réalités matérielles, telles que « les hommes », « la mortalité » et « Socrate », mais dès lors que pour lui la matière et l'esprit étaient d'emblée séparés, nul n'était besoin d'affirmer la nature radicalement spéciale de l'esprit sur la matière, et ce n'est que lorsque ces deux notions devront entrer directement en relation, quelques siècles plus tard, que la nécessité se fera alors jour de s'assurer que l'esprit est bien radicalement différent de la matière. Socrate pouvait donc se contenter de perfectionner des fonctionnements propres à l'esprit sans se soucier de s'assurer de la différence de nature entre la matière et l'esprit, et pour la même raison c'est de façon complètement séparée qu'il envisageait le fonctionnement spécifique de la matière : pour lui, le fonctionnement de la matière résultait du fait qu'elle possède en elle-même un principe de mouvement. Logique pour l'esprit, mouvement interne pour la matière, ce sont là deux modes de fonctionnements différents et bien distincts, comme il convient normalement pour des réalités différentes et séparées.

Aristote a été formé à l'école de Platon. De celui-ci, on connaît notamment sa doctrine des « idées platoniciennes », une doctrine selon laquelle les concepts, les notions et les idées abstraites existent réellement et forment les modèles des choses et des formes que nous percevons avec nos organes sensoriels. De façon parfaitement explicite, il posait donc que le monde matériel existait et que, tout à fait séparément de lui, les idées (ou les formes) avaient une fonction propre qui était d'être les prototypes de la réalité matérielle que nous percevons avec nos sens. On peut aussi ajouter qu'il fut un promoteur important de la méthode de raisonnement dite dialectique qui aurait été inventée par le philosophe Zénon d'Élée (Ve siècle avant notre ère), une méthode nécessairement spécifique au fonctionnement de l'esprit puisqu'elle cherche à établir la vérité en défendant successivement des thèses opposées, et donc des idées opposées, pas en observant la réalité matérielle.

Dans la Grèce antique, pendant toute cette période les penseurs ont donc fait valoir des fonctionnements propres à l'esprit (la logique, la dialectique) ou des fonctions propres à l'esprit (saisir les idées ou les formes fondamentales qui sont les prototypes du monde matériel sensible), des fonctionnements et des fonctions qui étaient indépendants des conceptions qu'ils avaient du fonctionnement et de la fonction du monde matériel.

 

En Chine à la même époque, on ne pensait pas le fonctionnement des idées indépendamment du fonctionnement du monde matériel. Pour le justifier, on donne quelques citations tirées du chapitre d'introduction de « l'Histoire de la pensée chinoise » d'Anne Cheng. De son sous-chapitre intitulé « Pensée ou philosophie », ce passage où elle montre que la pensée chinoise antique ne procédait pas différemment de la façon dont elle concevait le fonctionnement de la matière, notamment que le Yin-Yang valait tout autant pour le fonctionnement de l'esprit qu'il valait pour la matière (complémentarité des matérialités contraires, et possibilité qu'elles se transforment l'une en l'autre), et que les dosages progressifs entre les idées valaient tout comme valaient les dosages progressifs des divers constituants fondamentaux de la matière pour générer toute la diversité du monde matériel :

L'absence de théorisation à la façon grecque ou scolastique explique sans doute la tendance chinoise aux syncrétismes. Il n'y a pas de vérité absolue et éternelle, mais des dosages. Il en résulte, en particulier, que les contradictions ne sont pas perçues comme irréductibles, mais plutôt comme des alternatives. Au lieu de termes qui s'excluent, on voit prédominer les oppositions complémentaires qui admettent le plus ou le moins : on passe du Yin au Yang, de l'indifférencié au différencié, par transition insensible.

En somme, la pensée chinoise ne procède pas tant de manière linéaire ou dialectique qu'en spirale. Elle cerne son propos, non pas une fois pour toutes par un ensemble de définitions, mais en écrivant autour de lui des cercles de plus en plus serrés. Il n'y a pas là le signe d'une pensée indécise ou imprécise, mais bien plutôt d'une volonté d'approfondir un sens plutôt que de clarifier un concept ou un objet de pensée.

Dans un autre passage, « Connaissance et action : Dao », elle traite de la finalité de la recherche intellectuelle, laquelle ne fonctionne pas pour elle-même et ne poursuit donc pas ses propres buts :

Plutôt qu'un « savoir quoi » (c'est-à-dire une connaissance propositionnelle qui aurait pour contenu idéal la vérité), la connaissance – conçue comme ce qui, sans en être encore, tend vers l'action – est avant tout un « savoir comment » : comment faire des distinctions afin de diriger sa vie et aménager l'espace social et cosmique à bon escient … Le discours des penseurs chinois, du moins avant le changement radical apporté par le bouddhisme, est d'ordre instrumental en ce qu'il est toujours et d'abord directement branché sur l'action.

Enfin, on cite un passage du sous-chapitre intitulé « Unité et continuité : souffle » qui montre l'unité de l'esprit et de la matière, et donc de leur fonctionnement dans la Chine antique :

À la fois esprit et matière, le souffle assure la cohérence organique de l'ordre des vivants à tous les niveaux. En tant qu'influx vital, il est en constante circulation entre sa source indéterminée et la multiplicité infinie de ses formes manifestées … Source de l'énergie morale, le qi, loin de représenter une notion abstraite, est ressenti jusqu'au plus profond d'un être et de sa chair. Tout en étant éminemment concret, il n'est cependant pas toujours visible ou tangible : ce peut être le tempérament d'une personne ou l'atmosphère d'un lieu, la puissance expressive d'un poème ou la charge émotionnelle d'une œuvre d'art.

 

On a donc évoqué la similitude de la façon dont l'esprit pense la matière dans la Grèce antique et dans la Chine antique, puis la différence du fonctionnement propre à l'esprit dans ces deux filières, spécifique en Grèce, similaire au fonctionnement de la matière en Chine où il est constamment branché sur elle. On suppose que cette différence est liée au fait que, comme constaté dans l'architecture, la matière et l'esprit sont conçus en Grèce comme deux réalités d'emblée séparées tandis qu'en Chine elles sont d'emblée posées en couple. Ce que l'on va maintenant vérifier dans d'autres expressions artistiques.

 

 

 

17.2.2.  Les cinq étapes de l'évolution des arts plastiques dans l'ontologie naturaliste couplée chinoise :

 

La première étape du naturalisme couplé chinois :

 

Après les bronzes rituels de la culture d'Erligang des deux dernières étapes totémiques, nous retrouvons ce type de bronzes, essentiellement fabriqués cette fois sur le site de Yinxu, dans la province du Henan, qui correspond aujourd'hui à la ville d'Anyang. Les dates des bronzes retrouvés dans les fouilles sont généralement très mal connues, raison pour laquelle tous les exemples que l'on va envisager sont souvent présentés comme étant de la « fin de la dynastie des Shang », ce qui recouvre une période allant approximativement du 14e au 11e siècle avant notre ère.

Comme tous les bronzes de la période d'Anyang ne semblent pas relever de la même étape il faut répartir cette période sur deux étapes successives, et l'on attribuera la première au 13e siècle, avec un débordement possible vers le 12e. Il doit être bien compris que la décision de classer les bronzes dans la première ou dans la deuxième étape d'Anyang résulte seulement de la logique propre de l'analyse des formes que nous allons faire, sans que les datations archéologiques ne viennent spécialement appuyer ou infirmer ce classement.

 

 


Vase rituel pour boisson alcoolisée du type fangzun d'époque Shang, exhumé dans la région du Shandong (mon estimation : vers 13e/12e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : catalogue de l'exposition Trésors du Musée national du Palais, Taipei (1998)

 

 

Une modification technique vient utilement séparer les bronzes de la période d'Erligang de la période d'Anyang : l'introduction de fortes nervures verticales saillantes aux angles des vases, et souvent aussi en partie médiane de leurs faces. Nous commençons précisément par un vase du type fangzun, c'est-à-dire du type zun à section carrée (fang), sur lequel ces nervures sont très saillantes.

On l'a déjà dit : la peinture et la sculpture nous placent d'emblée du côté de l'esprit et de son fonctionnement. Pour la Chine, cela implique qu'après sa phase totémique l'esprit fonctionne en 1/x, ce qui doit normalement apparaître dans les bronzes qui sont une forme de sculpture. Ainsi cloisonné par des nervures verticales bien visibles tout en ayant une allure d'ensemble compacte et unitaire, ce type de vase nous apparaît effectivement d'emblée à la fois un et multiple, et par conséquent ces nervures en relief confirment que nous ne sommes plus dans la phase totémique et que l'esprit du créateur impose désormais que son ouvrage soit clairement perçu comme une forme du type 1/x.

Toutefois, ce vase est aussi une réalisation matérielle. Sous cet aspect, en plus de diviser le vase en sections verticales nettement séparées, l'allure « rajoutées » de ces nervures sur les parois implique qu'elles leur restent extérieures, qu'elles ne s'y fondent pas, qu'elles rajoutent leur matière en +1 à la matière des parois du vase. De ce point de vue matériel ces nervures rajoutées suivent les surfaces du vase, épousant toutes leurs déformations, mais en même temps elles ne les suivent pas puisqu'elles en sont clairement distinctes et qu'elles suivent des trajets autonomes qui ne respectent pas la continuité des surfaces qu'elles accompagnent : elles démarrent après le bas du vase, s'interrompent à deux reprises, puis se continuent longuement après l'arrêt des surfaces du vase dans sa partie haute. En résumé, pour ce qui concerne leur matérialité, les nervures s'ajoutent en +1 aux surfaces en bronze et elles produisent un effet de ça se suit/sans se suivre.

Pour sa part, notre esprit est spécialement sensible à une autre lecture du rapport entre les surfaces en bronze et ces nervures en bronze : l'ensemble fait un effet homogène de bronze tandis que les nervures font des effets d'hétérogénéité en tranchant si brutalement sur les surfaces du vase, des surfaces qui sont d'ailleurs traitées de façon assez homogène.

Comme on l'avait vu avec l'architecture chinoise, on voit dans ce vase que la relation couplée entre les deux notions se traduit par le fait que l'effet de ça se suit/sans se suivre qui porte la notion de matière et celui d'homogène/hétérogène qui porte la notion d'esprit s'appuient tous les deux sur la façon dont les nervures font saillie à la surface du vase. Nécessairement, ces nervures sont aussi à l'origine de l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions : il ne fait pas de doute pour notre esprit que les nervures font partie du vase, qu'elles sont donc à son intérieur, mais elles ne sont pas intégrées matériellement dans ses surfaces et restent à leur extérieur.

 

On vient de faire une lecture horizontale du vase, mais on peut aussi l'envisager dans son déroulement vertical : du bas vers le haut il se creuse d'abord en arrondi, puis il se bombe, à nouveau en arrondi, puis il connaît un brutal retrait sur lequel des têtes animales sont installées, puis il redémarre verticalement avant qu'une brutale courbe concave le fasse repartir horizontalement. Matériellement, toutes ces surfaces se suivent puisqu'il n'y a pas de trou dans la matière du vase, mais elles ne se suivent pas puisqu'elles ne suivent jamais la même direction et qu'il y a même deux franches cassures entre elles : à l'endroit du premier changement de sens de courbure et au niveau de l'épaule qui porte les têtes animales. Dans le sens vertical aussi les aspects matériels sont donc liés à un effet de ça se suit/sans se suivre, et dans ce sens aussi notre esprit est sensible à l'homogénéité de la matière de ce vase en bronze comme aux hétérogénéités générées par les sens de courbure différents des surfaces et par leurs brutales cassures.

Là encore, l'effet de ça se suit/sans se suivre s'appuie sur les mêmes dispositions que l'effet d'homogène/hétérogène : à plusieurs reprises des changements de sens dans la courbure des surfaces et les brutaux décrochements entre ces diverses surfaces. Nécessairement, ces dispositions sont aussi utilisées par l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions : la première courbure fait un creux intérieur, puis la surface se bombe de façon convexe pour se donner à voir comme volume extérieur, puis elle se courbe à nouveau en un creux concave à l'intérieur duquel l'extérieur de têtes animales semble comme abritées sous une sorte d'auvent.

 

 

 


Fangzun d'époque Shang, exhumé dans la province du Hunan  (mon estimation : vers 13e/12e siècle AEC)

 

Source de l'image : http://www.china.org.cn/top10/2012-08/24/content_26326351_8.htm

 

 

Au passage, on évoque un autre fangzun de la même époque dans lequel chaque angle est occupé par l'avant-train d'un bélier, pattes avant comprises. L'impression que ces béliers sont à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du vase y est spécialement forte.

 

On revient à la lecture verticale du fangzun précédent pour constater que, d'un point de vue matériel, ses tronçons de surface sont tellement différents et contradictoires quant à leur sens de courbure qu'ils s'ajoutent en 1+1 à la suite les uns des autres, tandis que pour sa part notre esprit repère que, même si cette addition 1+1 ne génère pas une forme globale clairement lisible, on peut tout de même lire que ce vase forme une unité globale divisée de bas en haut en trois sections bien distinctes, ce qui relève du type 1/x.

On examine maintenant les autres effets portés par ce vase. Celui qui apparaît d'emblée est le fait/défait : les deux grandes cassures horizontales défont sa continuité verticale, et dans le sens horizontal ce sont les nervures en fort relief qui défont la continuité des surfaces. La forme se répand par des effets de relié/détaché qui concernent spécialement les nervures : dans le sens vertical elles relient le bas et le haut de chaque surface tout en étant visuellement détachées d'elles, et les trois tronçons de chaque nervure qui se relient sur un même alignement sont détachés les uns des autres par de brusques coupures dans leur continuité. La forme s'organise par des effets du centre/à la périphérie : notre lecture bascule entre celle de la masse compacte centrale et celle des lignes réparties sur toute sa périphérie ; chaque angle de la périphérie du vase est occupé par une nervure qui constitue un centre d'intérêt visuel très affirmé, et lorsque nous regardons chacune de ses quatre faces nous sommes sollicités par la concurrence entre sa nervure centrale et les nervures de ses deux extrémités latérales. Le décalage entre les surfaces du vase et le départ des nervures en partie basse comme de leur arrivée en partie haute implique une autre expression encore de cet effet : nous sommes déstabilisés par ces décalages qui nous empêchent de savoir où le vase commence et où il se termine. Enfin, ces trois effets sont résumés par un effet d'entraîné/retenu : chaque fois que nous nous laissons entraîner à lire que les différents côtés de chaque section du vase forment une continuité horizontale, nous en sommes retenus par la présence des nervures qui contrarient cette lecture, et lorsque nous nous laissons entraîner à lire la continuité du trajet vertical de ces nervures, nous en sommes retenus par les fortes coupures qui rompent sa continuité.

 

 

 


Vase rituel pour boisson fermentée du type fangu, d'époque Shang (mon estimation : vers 13e/12e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)

 

 

Un vase d'un autre type, un fangu, beaucoup plus élancé dans son allure et dont les nervures comme les surfaces se prolongent cette fois parfaitement, du moins si l'on excepte les deux fortes saignées horizontales qui les interrompent. On ne revient pas sur l'effet de ces nervures en relief qui a été analysé avec le fangzun précédent.

Il n'y a plus de volume médian convexe pour faire contraste aux deux volumes concaves des extrémités, celles-ci forment maintenant un grand creux matériel à l'intérieur duquel notre esprit lit que se trouve tout le volume du vase, un vase qui a donc tout son extérieur à l'intérieur d'un grand creux. Deux saignées horizontales coupent à la fois les surfaces du vase et ses nervures. Ces saignées font matériellement pénétrer l'extérieur jusque sous l'épiderme décoré du vase, et donc à l'intérieur de son volume tel que le considère notre esprit.  Par deux fois donc,  l'effet d'inté-rieur/extérieur rend compte de la relation entre les deux notions.

Comme celui d'intérieur/extérieur, les effets de ça se suit/sans se suivre et d'homogène/hétérogène utilisent tous les deux la présence de ces saignées : matériellement les différentes parties des surfaces décorées et des nervures se prolongent verticalement et se suivent donc en 1+1 tronçons, mais elles ne se suivent pas puisqu'elles sont coupées les unes des autres par les saignées ; de son côté, notre esprit perçoit bien l'unité globale de ce vase et sa division du type 1/x en multiples tronçons verticaux, et cette division s'appuie sur l'homogénéité de la continuité entre ces différents tronçons et les hétérogénéités qu'y génère la présence des saignées horizontales. Même utilisation aussi du grand creux formé par la concavité des deux extrémités : matériellement toutes les surfaces se suivent de bas en haut mais ne suivent pas la même courbure, et notre esprit perçoit comment la surface homogènement sans courbure de la partie médiane acquiert progressivement les hétérogénéités convexes de ses extrémités.

 

 

 


Vase rituel pour la cuisson et la conservation des aliments, du type ding, d'époque Shang (mon estimation : vers 12e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : La Chine, éditions Citadelles & Mazenod (1997)

 

 

Pour terminer la première étape, un vase du type ding, très haut perché sur ses trois pieds qui forment trois larges plans convergeant vers l'axe de la cuve au volume très arrondi, ces pieds correspondant à une sorte d'énorme excroissance pour la moitié des nervures verticales de la cuve.

Nécessairement, la surface de la cuve suit matériellement la surface de ces pieds puisque ce sont eux qui la portent, mais leurs surfaces sont perpendiculaires à celle de la cuve qui ne les suit donc pas, et du fait de la non-complémentarité de leurs formes, les pieds et la cuve s'ajoutent en 1+1 sans générer ensemble une forme globale facilement lisible.

Pour sa part, notre esprit remarque que le matériau des pieds est homogène à celui de la cuve mais que leur géométrie plane est hétérogène à celle en 3D de la cuve et que l'on a donc affaire à un vase unique en deux parties, la cuve et les pieds, ce qui relève du type 1/x.

Cette fois encore l'effet de ça se suit/sans se suivre utilise comme celui d'homogène/hétérogène la continuité des surfaces et la discontinuité des formes, tout comme l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions : notre esprit repère que les pieds et la cuve sont à l'intérieur d'une même continuité de bronze bien que les pieds soient matériellement à l'extérieur de la cuve, et si notre esprit considère que l'extérieur qui pénètre largement sous la cuve est à l'intérieur de son volume, matériellement ce volume sous la cuve est certainement extérieur au vase.

 

Le dessin des pieds mérite d'être analysé pour lui-même. Il semble que chaque pied représente un oiseau fabuleux, ou phénix, dont on peut notamment repérer l'œil en relief à proximité de la cuve, sa huppe enroulée vers l'extérieur, une aile descendant en arrondi sous la tête, et une queue enroulée dont les deux extrémités, très différentes l'une de l'autre, touchent le sol.

Nécessairement, toutes les parties du plan qui dessinent un même oiseau sont matériellement jointives, elles se suivent donc. Pourtant, la courbe de l'aile et la courbe de la queue se tournent le dos, et puisqu'elles se déroulent matériellement en opposition l'une par rapport à l'autre elles ne se suivent pas. Pour notre esprit, la moitié haute et la moitié basse d'un oiseau font partie, de façon homogène, d'une même représentation d'oiseau, mais il considère aussi que les sens de courbure opposés de ces deux moitiés créent une hétérogénéité à l'intérieur de chacune de ces représentations. Ainsi, les deux effets utilisent la contradiction entre la continuité de la surface et le sens contraire des courbes qui y sont dessinées, et l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise les mêmes dispositions : si ces deux moitiés de surface sont matériellement à l'intérieur d'une même forme globale, en décomposant leurs dessins notre esprit considère qu'elles correspondent à des parties de l'oiseau qui sont à l'extérieur l'une de l'autre.

On peut aussi considérer le contour de chaque oiseau qui forme de nombreuses boucles s'enroulant de façons très variées. Matériellement les parties terminales de ces boucles suivent les autres surfaces de l'oiseau, mais on peut aussi bien dire qu'elles ne les suivent pas puisqu'elles en sont séparées par un vide. De son côté, notre esprit est sensible au fait que ces vides générés par l'enroulement des boucles constituent des hétérogénéités qui s'incrustent à l'intérieur de la surface homogène que forme chaque figure d'oiseau. L'effet de ça se suit/sans se suivre et celui d'homogène/hétérogène utilisent donc tous les deux la présence du vide des boucles, comme il en va bien sûr pour celui d'intérieur/extérieur : les boucles qui s'écartent de l'oiseau pour s'en rapprocher dans leurs parties terminales laissent un jour matériel continu entre elles et le reste de l'oiseau, ce qui revient à faire pénétrer l'extérieur à l'intérieur de ce que notre esprit considère comme la forme de l'oiseau, et même y pénétrer très profondément pour ce qui concerne les volutes de la queue.

Que l'on considère la forme d'ensemble du vase, le dessin interne aux oiseaux ou le contour de leur surface, toujours on voit donc que l'effet de ça se suit/sans se suivre qui porte les effets matériels et l'effet homogène/hétérogène auquel est spécialement sensible notre esprit s'affirment en utilisant les mêmes dispositions plastiques, ce qui correspond à la relation couplée des notions de matière et d'esprit dans l'ontologie chinoise de cette époque. Nécessairement, puisqu'il rend compte de la relation entre les deux notions, l'effet d'intérieur/extérieur s'appuie sur les mêmes dispositions.

 

 

La deuxième étape du naturalisme couplé chinois :

 

 


 

Vase rituel à libation du type gu, d'époque Shang (mon estimation : vers 12e/11e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : L'Art Chinois, de Christine Kontler, CNRS Éditions (2016)

 

 

La deuxième étape correspond à la fin de la dynastie Shang, sur une période que l'on peut évaluer approximativement entre 1200 et 1045 avant notre ère. Elle correspond aussi au début des Zhou occidentaux sur une période que l'on peut estimer de 1040 à 950 avant notre ère, date à laquelle apparaîtront les motifs d'oiseaux par paires opposées qui seront caractéristiques de l'étape suivante.

On commence avec un vase du type gu qui ressemble beaucoup au fanggu de la première étape. Sa section est cette fois ronde, raison pour laquelle sa dénomination n'utilise pas le préfixe fang. Les nervures verticales y sont très discrètes, et surtout elles s'arrêtent avant la saignée horizontale supérieure et ne concernent donc pas l'éclosion finale de la forme. Du fait de leur faible profondeur et de la discrétion des rainures verticales, plutôt que « saignées » on désignera « bagues » ces coupures horizontales.

Même plus discrètes, les nervures verticales permettent toujours de percevoir l'objet comme à la fois un et multiple, ce qui vaut aussi pour l'effet des divisions produites par les bagues lisses. Comme il en irait pour une sculpture, avec cet objet nous sommes bien dans le domaine de l'esprit et dans une lecture en 1/x.

À la deuxième étape, ce sont les aspects matériels qui sont désormais liés à l'effet d'homogène/hétérogène : horizontalement, et dans la moitié basse, la surface tournante a un aspect qui est toujours homogène, mais de place en place elle connaît des interruptions dues à la présence hétérogène des légères nervures verticales en surépaisseur ; toujours horizontalement, mais cette fois dans la moitié haute, alternent des surfaces d'un lisse homogène et des surfaces en forme de longue lancette décorées de motifs hétérogènes. De même que les nervures de la partie basse s'ajoutent en 1+1 à la surface courante du vase, les surfaces décorées de la partie haute et les surfaces lisses qui les séparent se suivent en 1+1 dès lors que leur alternance ne génère aucune forme globale, sauf celle d'une suite alternée de 1+1 surfaces.

La notion d'esprit est cette fois portée par un effet de rassemblé/séparé : en partie basse, notre esprit considère que la surface du vase est rassemblée dans une même continuité que les nervures séparent en plusieurs tronçons ; en partie haute, il lit de la même façon que les surfaces lisses et les surfaces décorées, bien que visuellement séparées sont rassemblées dans une même continuité, et il repère aussi que ces lancettes décorées sont rassemblées en continuité dans leur partie basse tandis qu'elles sont franchement séparées dans leur partie haute.

Dans les deux moitiés du vase, les deux effets sont donc encore une fois portés par les mêmes dispositions, tout comme il en va de l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : dans la moitié basse les surfaces que notre esprit considère continues sont matériellement coupées périodiquement par des nervures verticales, tandis que dans la moitié haute les surfaces décorées et les surfaces lisses forment une suite matériellement continue de surfaces coupées les unes des autres par l'importante différence d'aspect qu'y repère notre esprit.

Si l'on considère maintenant le vase sur la totalité de sa hauteur, on constate qu'il est réalisé en un matériau homogène mais qu'il connaît toutefois des séquences hétérogènes entre elles : un pied qui se rétrécit en montant, une partie médiane de section constante, puis pour finir une coupe qui s'évase vers le haut. Ces différentes séquences sont d'ailleurs matériellement séparées par des bagues horizontales qui tranchent visuellement du fait que leur surface d'un lisse homogène interrompt des surfaces décorées pour lesquelles ce brutal effet de lisse a un caractère d'hétérogénéité. Pour sa part, notre esprit lit que ces différentes séquences séparées par la différence de leurs formes et par des coupures horizontales sont rassemblées dans la continuité verticale d'un même vase. L'effet de continu/coupé s'associe à celui de rassemblé/séparé et à celui d'homogène/hétérogène sur les mêmes dispositions : le vase est matériellement continu de bas en haut mais notre esprit le décompose en séquences très différentes les unes des autres, les coupures entre elles étant matériellement soulignées par les bagues horizontales lisses qui interrompent à deux reprises la surface décorée dont les détails captivent notre esprit.

 

 

 


Vase rituel à nourriture du type gui d'époque Shang (mon estimation : vers 12e/11e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : catalogue de l'exposition Trésors du Musée national du Palais, Taipei (1998)

 

 

Très rapidement on envisage cet autre gui de l'époque des Shang en s'en tenant à sa décoration qui se retrouve sur bien des vases de cette étape. Elle consiste en un quadrillage diagonal léger de la surface, chaque carré recevant dans son centre une protubérance ponctuelle au sommet arrondi.

Ces protubérances forment matériellement une série d'hétérogénéités qui sont homogènes entre elles et qui s'ajoutent les unes aux autres en 1+1 sur la surface homogène du vase. Quant à lui, en prenant du recul par rapport à cette addition pas à pas de 1+1 protubérances, notre esprit repère qu'elles sont bien séparées les unes des autres mais globalement rassemblées dans une trame régulière du type 1/x, et il repère aussi que cette trame est continue bien que coupée en multiples étapes, chacune correspondant à la présence matérielle d'une protubérance.

 

 

 


Vase rituel du type fangyi à couvercle d'époque Shang (estimation du Harvard Art Museums : 12e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : https://www.harvardartmuseums.org/art/203988

 

 

Ce fangyi à couvercle d'époque Shang a curieusement la forme d'une petite maison dont le couvercle serait le toit. À son tour, la poignée de ce couvercle a l'aspect d'une plus petite maison se détachant au centre de la nervure qui sert de faîtage. Matériellement cette poignée continue le volume du vase, mais pour notre esprit, du fait de son détachement et de la coupure des nervures impliquée par sa présence, elle est clairement coupée de lui, un effet de continu/coupé qui rend compte à cette étape de la relation entre les deux notions. Par différence avec les vases de la première étape, les fortes nervures en relief de celui-ci ne sont pas réalisées dans un matériau continu, elles sont divisées verticalement en multiples petits tronçons. Bien entendu, il s'agit aussi d'un effet de continu/coupé, mais cette fois c'est notre esprit qui lit une continuité dans ces alignements de tronçons qui sont matériellement coupés les uns des autres, parfois par un petit écart et parfois par un large vide.

La forme en « petite maison » de ce vase permet à notre esprit de ressentir aisément son unité globale tandis que les nervures verticales en relief, tout comme les saignées horizontales et le passage des façades presque verticales aux surfaces du couvercle très en pente, permettent de ressentir simultanément que cette unité globale est divisée en de multiples parties. Il s'ensuit une lecture du vase en 1/x, et simultanément un effet de rassemblé/séparé qui est celui qui porte la notion d'esprit.

Sur la surface médiane, se détachant d'un fond uniformément rempli de petits dessins à faible relief, un masque de taotie dont l'unité ne se perçoit qu'en rassemblant ses deux moitiés séparées par une nervure verticale ainsi que ses cornes flottant isolément au-dessus de sa tête. Cette lecture du masque de taotie par notre esprit relève donc encore une fois du type 1/x et d'un effet de rassemblé/séparé. Au-dessus et au-dessous de lui, deux couples d'animaux fabuleux, chacun de ces couples correspondant également à une lecture 1/x et à un effet de rassemblé/séparé.

Du fait de leurs changements continuels de pente et de proportions, et du fait de leur séparation bien affirmée par des nervures ou des saignées, toutes les parties de la surface matérielle du vase s'ajoutent en 1+1. Quant aux dessins en relief sur ces surfaces, puisqu'ils ne forment pas tous ensemble une image que l'on pourrait saisir globalement, ils s'ajoutent également en 1+1 les uns aux autres.

Comme dans le vase gu donné en premier exemple de cette étape, les nervures en relief constituent des hétérogénéités matérielles à la surface du vase qui est matériellement traitée de façon homogène puisque partout similaire. Ce traitement des surfaces comporte deux niveaux de dessins, l'un qui constitue un fond homogène réalisé en fines gravures, l'autre des masques de taotie et des corps d'animaux fabuleux qui se détachent visuellement comme autant d'hétérogénéités à la surface de ce fond homogène. Le traitement des surfaces implique donc des effets d'homogène/hétérogène, et cet effet s'appuie à nouveau sur les mêmes dispositions que celles utilisées par l'effet de rassemblé/séparé comme on les a envisagées précédemment.

L'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise évidemment les mêmes dispositions : considérant le vase dans son ensemble, notre esprit constate que toutes ses surfaces sont continues bien qu'elles soient matériellement coupées les unes des autres par des nervures verticales et par des saignées horizontales, et notre esprit constate aussi qu'une même trame de fins dessins gravés recouvre en continuité toutes les surfaces du vase malgré les coupures matérielles qu'y provoquent les animaux fabuleux en fort relief. Concernant spécialement le masque de taotie, c'est notre esprit qui lit la continuité de sa figure malgré la présence matérielle de la nervure qui la coupe fortement en deux parties.

 

On envisage maintenant les autres effets plastiques. Celui qui apparaît d'emblée est l'effet d'ensemble/autonomie qui se manifeste de plusieurs façons : les nervures très autonomes les unes des autres font ensemble le même effet de saillie par rapport à la surface courante ; les différentes parties autonomes du masque de taotie font ensemble la forme de ce masque ; chacun des animaux de chacun des couples d'animaux fabuleux fait avec son voisin un effet de couple ; les différentes sections du vase qui se succèdent verticalement, bien isolées les unes des autres par la coupure d'une saignée, avec des dimensions et des pentes très autonomes les unes des autres, font ensemble la forme en petite maison de ce vase. Sa forme se répand par un effet d'ouvert/fermé qui se lit dans la forme très compacte, et donc close, de ce vase, lequel peut également se lire éclaté visuellement en étages superposés séparés par des saignées horizontales, un éclatement qui est une façon d'ouvrir la forme compacte du vase en la divisant en de multiples parties indépendantes les unes des autres. La forme s'organise par des effets de ça se suit/sans se suivre : toutes les surfaces se suivent en continu, mais elles ne se suivent pas puisqu'elles sont séparées par de fortes nervures en relief et par les creux bien visibles des saignées horizontales. Les trois effets précédents sont résumés dans des effets d'homogène/hétérogène déjà envisagés.

 

 

 


Vase rituel pour conserver l'eau et les boissons fermentées du type fanglei, d'époque Shang (mon estimation : 11e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)

 

 

Ce vase du type fanglei d'époque Shang n'est pas sans rappeler le fangyi précédent. L'effet d'homogène/hétérogène y est plus facilement perceptible car les reliefs des nervures y sont moins importants, ce qui permet de mieux les intégrer visuellement à la surface courante du vase et donc de ressentir les hétérogénéités qu'elles constituent pour celle-ci. Comme dans le fangyi, cette surface courante contient un fond homogène et des reliefs bien marqués qui forment autant d'hétérogénéités. Dans la moitié basse du récipient, alternent des surfaces triangulaires pointes en haut uniformes, donc homogènes, et des surfaces triangulaires pointes en bas d'aspect très hétérogène. De bas en haut, la courbe de la surface modifie doucement sa courbure, et la même chose vaut pour la partie haute qui correspond au col et au couvercle, mais cette homogénéité de forme entre ces deux parties va se paire avec l'hétérogénéité de leurs dimensions et l'hétérogénéité de l'évolution inverse de leurs courbures : s'élargissant vers le haut dans la partie basse, se rétrécissant vers le haut dans la partie haute.

 

 

 


Vase rituel à nourriture du type gui de la phase initiale des Zhou occidentaux (11e/10e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : catalogue de l'exposition Trésors du Musée national du Palais, Taipei (1998)

 

 

Dernier exemple pour cette étape, un vase qui date du début de la période des Zhou occidentaux et dont la forme est très différente de celle des précédents.

Elle se divise clairement en deux parties : un vase du type gui pour sa partie supérieure, et un socle en partie inférieure. Matériellement ces parties s'ajoutent en 1+1, mais notre esprit peut également les considérer comme deux parties d'un même ensemble du type 1/x. Une telle disposition se retrouvera à la quatrième étape dans laquelle l'effet de même/différent jouera un rôle important puisqu'elle correspond bien à l'expression d'un même vase formé de deux parties très différentes, mais elle convient tout aussi bien à l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions à la deuxième étape : notre esprit lit que les deux formes qui composent ce vase sont visuellement coupées l'une de l'autre puisqu'elles ne se prolongent pas mutuellement, mais il n'empêche qu'elles sont matériellement assemblées dans un même vase continu. Cette disposition correspond aussi à l'effet de rassemblé/séparé qui porte la notion d'esprit, celui-ci acceptant que ces deux parties séparées par leur aspect soient rassemblées par accolement l'une sur l'autre, et elle correspond aussi à l'effet d'homogène/hétérogène qui porte la notion de matière puisque ces deux formes hétérogènes l'une pour l'autre sont réalisées dans un même matériau homogène. L'effet d'ensemble/autonomie va de soi, celui d'ouvert/fermé correspond au contraste entre la base cubique fermée et le vase supérieur largement ouvert sur son dessus, et l'effet de ça se suit/sans se suivre se lit également aisément : les deux parties du vase se suivent en continu mais la forme de l'une ne se poursuit pas dans l'autre.

 

 

La troisième étape du naturalisme couplé chinois :

 

Deux jarres à boissons fermentées du type you avec anse et couvercle de l'époque des Zhou occidentaux (vers le 10e siècle avant notre ère)

 

Sources des images : catalogue de l'exposition Trésors d'art Chinois au Petit Palais à Paris (1973) et Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)



 

L'époque des Zhou occidentaux se poursuit pendant la troisième étape. C'est vers 950 avant notre ère qu'apparaît le motif des oiseaux inversés par paires, raison pour laquelle on peut estimer que la troisième étape commence à cette date. Sa fin est moins précise, on peut l'estimer vers 850.

Ces deux jarres du type you présentent deux façons différentes d'associer par paires des oiseaux fabuleux, ou Phénix, un thème qui remplacera sur de nombreux vases celui du masque de taotie. Chaque fois ce thème se retrouve à la fois sur la panse du vase et sur son couvercle, et chaque fois les deux oiseaux d'une même paire (lecture du couple en 1/x) ont leurs queues orientées vers des sens différents (disposition matérielle en 1+1 oiseaux). Parfois leurs têtes se tournent l'une vers l'autre, parfois elles sont tournées en sens inverse. Dans le premier exemple, les plumage de leurs têtes s'entrelacent, dans le second ils se rabattent verticalement l'un devant l'autre sans se mélanger.

L'effet qui porte la notion de matière est celui de rassemblé/séparé : les différents panaches de plumage de chaque oiseau se dispersent matériellement en tous sens tout en étant nécessairement rassemblés sur le corps de l'animal puisqu'ils y sont fixés, et par ailleurs les deux oiseaux d'un même couple sont matériellement rassemblés en couple tandis que leur corps sont séparés. L'effet qui porte la notion d'esprit est le synchronisé/incommensurable : notre esprit est captivé par la façon dont les grands panaches de plumages issus de la tête et de la queue de chaque oiseau s'enroulent de diverses façons compliquées vers des directions très variées, des évolutions qui sont incommensurables pour notre esprit puisqu'il ne peut pas réussir à repérer l'évolution des uns par rapport à l'évolution des autres, mais il peut cependant saisir que ces évolutions complexes et variées se synchronisent parfaitement pour occuper la surface du vase de façon homogène, chacun des plumages restant notamment à distance régulière des autres. En prenant davantage de recul notre esprit lit ce même effet lorsqu'il prend en compte les animaux par couple : leurs corps et leurs plumages se dispersent vers des directions opposées, et donc incommensurables, mais ces dispersions compliquées restent pourtant parfaitement symétriques.

Que ce soit pour chaque oiseau individuellement ou par paires, l'effet de rassemblé/séparé et celui de synchronisé/incommensurable s'appuient donc toujours sur les mêmes dispositions, c'est-à-dire sur l'aspect à la fois multiple et dispersé en tous sens des panaches de plumages. Bien sûr, ces dispositions sont aussi utilisées par l'effet de lié/indépendant qui, à la troisième étape, rend compte de la relation entre les deux notions : dans chaque oiseau, les différents plumages qui captivent notre esprit par l'indépendance de leurs formes et de leurs évolutions sont tous matériellement liés au même corps dont ils s'échappent, et les deux oiseaux d'un même couple sont matériellement indépendants l'un de l'autre tandis que notre esprit repère l'effet de symétrie qui les rassemble.

 

À cette étape, la plupart des autres effets plastiques recouvrent ceux qui correspondent à l'évolution ontologique que l'on vient de détailler puisque celui qui apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé et que la forme se répand en synchronisé/incommensurable. Elle s'organise en continu/coupé : chaque paire d'oiseaux forme une frise continue qui occupe toute la surface d'un même panneau du vase mais cette frise est coupée en deux puisque ces oiseaux sont orientés vers des directions opposées ; de bas en haut la surface décorée par des motifs d'oiseaux fabuleux est continue, mais elle se décompose en trois étages nettement coupés les uns des autres, d'autant que les oiseaux du niveau médian ont une forme beaucoup plus aplatie que celle des autres niveaux ; chacun des enroulements individuels de plumage continue longuement son évolution tout en étant bien coupé des autres enroulements du même oiseau ; dans le cas du vase de gauche, la frise continue des panaches comporte en partie centrale des panaches qui se recoupent et s'entrecroisent. Ces trois effets sont résumés dans celui de lié/indépendant déjà envisagé auquel on ajoutera seulement que, dans le cas du vase de gauche, les deux oiseaux indépendants d'une même paire sont liés ensemble par l'imbrication des panaches de plumage qui partent de leurs têtes.

 

 

La quatrième étape du naturalisme couplé chinois :

 

 


Vase rituel à couvercle pour l'eau et les boissons fermentées du type hu avec motif boquwen (vagues et courbes) de la fin des Zhou occidentaux (vers 9e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)

 

 

La quatrième étape correspond approximativement au dernier siècle des Zhou occidentaux, c'est-à-dire de 850 à 770 avant notre ère, puis elle se continue jusqu'en 481 avec la période des Zhou orientaux, dite aussi époque des Printemps et des Automnes, et jusqu'en 221 avant notre ère elle embrasse l'époque dite des Royaumes Combattants.

De la même façon que le motif des paires d'oiseaux fabuleux avait permis de repérer le début de la troisième étape, le motif boquwen, dont le nom signifie « vagues et courbes », permet de caractériser le début de la quatrième. Ce motif est formé d'une suite d'ondulations régulières qui connaissent toutes une petite déformation à mi-hauteur. Ces vagues génèrent des cloisonnements de sens alternés, leur partie la plus large étant remplie par des motifs ouverts de sens opposés et leur sommet étant rempli par des motifs plutôt fermés. L'ensemble forme des bandes horizontales continues qui occupent de façon très homogène toute la surface du vase.

On commence par un vase du type hu de la fin des Zhou occidentaux dont le couvercle est surmonté par une sorte de couronne ouverte, elle aussi découpée en motif boquwen.

Matériellement, les vagues du motif boquwen forment des courbes partant vers le haut ou vers le bas, des directions opposées qui rendent leurs évolutions incommensurables. Les motifs ponctuels s'incrustant entre ces vagues, parce qu'ils sont ponctuels, sont générés d'une façon qui est aussi incommensurable avec celle des ondulations continues formées par ces vagues, ce qui n'empêche pas tous les motifs ponctuels et en vagues de se synchroniser pour s'emboîter parfaitement les uns dans les autres et occuper la surface de façon parfaitement uniforme. Les aspects matériels sont donc portés par un effet de synchronisé/incommensurable et l'aspect incommensurable de ces diverses formes et de ces diverses évolutions implique qu'elles s'ajoutent les unes aux autres en 1+1.

Pour sa part, prenant du recul notre esprit lit que ces ondulations forment un tracé continu régulièrement coupé par des changements de direction ou, en partie médiane, par de petites inflexions de leur partie ascendante ou descendante (lecture 1/x). Il repère aussi que les courbes continues des vagues (effet d'unité) font contraste avec les motifs isolés et coupés les uns des autres qui occupent les surfaces situées entre ces vagues (effet de multiple, et donc autre lecture du type 1/x).

L'évolution alternée des vagues et leur contraste avec l'aspect isolé des motifs installés entre elles servent donc à la fois à l'expression de l'effet de synchronisé/incommensurable lié à la disposition matérielle des motifs et à celle de l'effet de continu/coupé que repère notre esprit à leur examen. À la quatrième étape, l'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est celui de même/différent qui utilise ces mêmes dispositions : notre esprit décompose une même surface de vase en différentes bandes horizontales, et une même bande contient des motifs matériellement très différents, celui d'une bande ondulante et celui de différents motifs isolés différents les uns des autres. Par ailleurs, une bande est matériellement toujours la même bande, que notre esprit la considère depuis le bas ou depuis le haut, et donc selon des directions différentes.

L'effet de même/différent est aussi celui qui nous apparaît d'emblée. On ajoutera à cet effet que le même motif de boquwen est utilisé différentes fois sur ce même vase, et cela chaque fois de façon différente : plus ample sur la bande du bas, plus étriqué sur la bande au-dessus, en très faible relief sur la bande située sous le couvercle, largement ajouré dans la couronne qui surmonte le couvercle. La forme se répand par des effets d'intérieur/extérieur : du fait de l'évolution en méandres du motif de boquwen, la paroi de ce motif se trouvant à l'intérieur d'un méandre se trouve simultanément à l'extérieur du méandre précédent et du méandre suivant ; l'extérieur de chacun des motifs ponctuels situés entre les méandres est à l'intérieur d'un méandre ; les limites extérieures de chaque bande de motifs ondulants se repèrent facilement à l'intérieur de la forme d'ensemble du vase ; l'air extérieur pénètre largement à l'intérieur de la couronne en créneaux du couvercle ; sur les côtés du vase, les têtes d'animaux fantastiques et les anneaux qu'elles soutiennent sont à l'intérieur de la forme du vase mais à l'extérieur de son volume principal. La forme s'organise par des effets d'un/multiple : chaque bande de motif boquwen a un caractère unitaire tout en contenant de multiples méandres et de multiples motifs isolés, et ce motif donne son unité à la décoration du vase puisqu'il est utilisé à de multiples reprises. Enfin, un effet de regroupement réussi/raté résume les trois précédents : l'ensemble de la décoration est regroupé dans le motif de boquwen mais son regroupement unitaire est raté du fait que ses différentes bandes n'ont pas le même aspect et que, de plus, des bandes horizontales n'utilisent pas ce motif, à la base du vase et à deux reprises dans ses parties hautes.

 

 

 


Vase rituel pour la cuisson à la vapeur du type fangyan de la fin des Zhou occidentaux ou du début des Printemps et des Automnes (vers 800 avant notre ère)

 

Source de l'image : Initiation aux Bronzes Archaïques Chinois de Christian Deydier (2016)

 

 

Ce vase du type fangyan est destiné à la cuisson à la vapeur, sa partie basse est un récipient contenant l'eau de cuisson et sa partie haute reçoit les céréales à cuire. Sur cette partie haute une bande horizontale reprend le motif boquwen de l'exemple précédent, mais ce qui nous intéresse ici est la superposition de deux parties dont les formes sont complètement étrangères l'une pour l'autre.

Cela rappelle évidemment le vase du type gui donné en dernier exemple de la deuxième étape, et comme on l'avait dit alors, cette superposition de deux formes très étrangères, en l'occurrence incommensurables l'une pour l'autre, est une façon commode de faire valoir l'effet de même/différent qui joue un rôle important à cette quatrième étape : pour faire un même vase on a là deux parties très différentes l'une de l'autre. On peut aussi faire valoir que le récipient du bas contient quatre sections qui sont à la fois les mêmes et différentes par leurs orientations, et qu'un même principe de bande répétitive horizontale sur la partie haute du vase utilise trois motifs décoratifs différents.

 

 

 


Dos de miroir en bronze de la période des Printemps et des Automnes (8e à 6e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)

 

 

On ne peut laisser passer cette étape sans évoquer ce dos de miroir en bronze de l'époque des Printemps et des Automnes déjà donné au chapitre 3 pour faire valoir que les Chinois n'avaient pas attendu Benoît Mandelbrot pour utiliser en toute conscience des motifs autosimilaires, c'est-à-dire dont la forme d'ensemble se retrouve identique à elle-même dans chacun de ses détails. Ici, dans la forme d'ensemble d'un léopard enroulé sur lui-même les taches de son pelage ont elles-mêmes la forme de plus petits léopards enroulés, et la même forme en enroulement se retrouve à plus petite échelle encore pour dessiner les taches du pelage de ces plus petits léopards.

Matériellement, on a donc affaire à la synchronisation d'une même forme sur trois échelles de grandeur incommensurables entre elles, tandis qu'en prenant du recul afin de surmonter cette incommensurabilité notre esprit peut les considérer comme une suite continue reprenant chaque fois la même forme sur des échelles qui sont coupées les unes des autres. Encore une fois les effets de synchronisé/incommensurable et de continu/coupé s'appuient sur les mêmes dispositions, et elles s'y associent à l'effet de même/différent qui prend en charge la relation entre les deux notions puisque la même forme matérielle est considérée par notre esprit comme relevant de différentes échelles.

L'effet de même/différent est aussi celui qui apparaît d'emblée, on le trouve aussi dans le fait que, à chaque échelle, la même forme d'ensemble répète à plusieurs reprises, et donc différentes fois, une même forme. Les autres effets plastiques sont également faciles à déceler : à l'intérieur de chacune des formes on retrouve sa forme extérieure à plus petite échelle ; la forme du léopard enroulé est une forme que l'on retrouve à multiples reprises à chaque échelle et que l'on retrouve aussi sur de multiples échelles ; le dessin en relief sur ce dos de miroir réussit à regrouper sa décoration dans un même motif de forme en léopard enroulé mais ce regroupement unifié est raté puisque ce motif n'est pas toujours de la même taille. De plus, sur l'échelle la plus grande, on distingue vers l'arrière de l'animal une représentation de léopard qui ne partage pas la forme enroulée des autres.

 

 

 


Vase rituel à couvercle pour l'eau et les boissons fermentées du type fanghu de l'époque des Printemps et des Automnes  (8e à 6e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : catalogue de l'exposition Trésors d'art chinois au Petit Palais à Paris (1973)

 

 

Autre exemple de l'époque des Printemps et des Automnes, ce vase en bronze dont les arêtes sont escaladées par de petits dragons à l'apparence de chenilles. Son allure ressemble à celle du premier vase de cette étape, avec une forme très pansue dans le bas et le dessus de son couvercle très ajouré, bien que de façon très différente. On se contentera de discuter de ces petits dragons.

Matériellement, ils se synchronisent pour s'adapter parfaitement aux arêtes du vase bien que leur forme linéaire 1D soit incommensurable avec la forme 3D de celui-ci : ils s'y ajoutent en 1+1. Puisqu'ils sont agrippés au vase, notre esprit peut lire qu'ils sont continus avec lui tout en étant coupés de son volume. Les effets de synchronisé/incommensurable et de continu/coupé liés à la présence des petits dragons se superposent donc sur les mêmes contrastes de formes, lesquels sont aussi utilisés par l'effet de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions : le même vase comporte deux parties différentes, d'une part son volume principal, d'autre part les êtres fabuleux qui s'accrochent à ses arêtes.

On peut aussi envisager isolément chaque file de petits dragons. Autant que l'on puisse en juger, ils vont tous dans le même sens, comme s'ils sortaient du vase et descendaient ses arêtes, mais ils n'ont pas la même forme, ceux du haut n'ayant pas de patte arrière et se suspendant par la queue tandis que ceux du bas s'arrondissent davantage que les intermédiaires. L'un qui profite du débord du couvercle pour s'y suspendre, l'autre qui descend verticalement le col du vase, l'autre enfin dont la forme courbe épouse celle de la panse du vase, ce sont là trois attitudes incommensurables les unes pour les autres, et pourtant les trois dragons d'une même arête se synchronisent pour s'adapter matériellement aux diverses particularités géométriques de celle-ci. Notre esprit qui lit la continuité de l'écoulement de ces dragons constate pour sa part que cette continuité est entrecoupée par des vides qui les séparent les uns des autres. Enfin, l'effet de même/différent utilise la même disposition en file des dragons puisqu'une même arête est matériellement occupée par différents dragons que notre esprit reconnaît comme différents entre eux.

Au passage, on lit clairement l'effet d'intérieur/extérieur qui résulte du fait que ces petits dragons sont à l'extérieur de la forme principale du vase tout en faisant partie de ce vase, tout en étant donc à son intérieur.

 

 

 


Pendant en jade en forme de dragon étiré en S de l'époque des Royaumes Combattants (475 à 256 avant notre ère)

 

Source de l'image : catalogue de l'exposition Trésors d'art chinois au Petit Palais à Paris (1973)

 

 

Ce jade de l'époque des Royaumes Combattants a la forme d'un dragon très étiré qui se retourne tandis que la volute de sa queue et celle qui sort de son dos se retournent dans l'autre sens.

Les diverses contorsions du corps du dragon se font matériellement dans tous les sens et de façons compliquées, souvent en se retournant sur elles-mêmes, ce qui implique qu'elles sont incommensurables les unes pour les autres et que toutes ces torsions s'ajoutent donc en 1+1, mais elles se synchronisent collectivement pour que leurs extrémités viennent juste à toucher le corps du dragon et pour qu'elles se retrouvent finalement parallèles entre elles.

Prenant du recul, et malgré ces contorsions matérielles, notre esprit constate que le dragon peut se lire comme une forme globale divisée en de multiples parties bien distinctes les unes des autres et qu'il est donc du type 1/x. Il relève aussi que, malgré la continuité de la forme, ses diverses parties sont visuellement coupées les unes des autres par leurs boucles qui les séparent du corps principal du dragon, ce qui correspond à l'effet de continu/coupé qui porte la notion d'esprit.

Ces contorsions servent donc simultanément d'appui à un effet de synchronisé/incommensurable et à un effet de continu/coupé, et par conséquent à celui de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions : dans le même animal notre esprit distingue différentes parties, et ces différentes parties sont matériellement différentes entre elles.

On remarquera que l'effet d'intérieur/extérieur est particulièrement visible : les enroulements du corps du dragon referment à son intérieur des espaces « vides » qui sont à l'extérieur de son corps.

 

 

 


Manche de poignard ou garde d'épée en or de l'époque des Royaumes Combattants (vers - 5e siècle)

 

Source de l'image : L'Art Chinois, de Christine Kontler, CNRS Éditions (2016)

 

 

Dernier exemple pour cette étape, un manche de poignard ou une garde d'épée réalisée en or datant de l'époque des Royaumes Combattants. On peut y lire la présence très forte de l'effet de même/différent : différentes formes se combinent pour réaliser une même forme d'ensemble, et ces différentes formes sont également différentes les unes des autres lorsqu'elles ne se répètent pas différentes fois de la même façon. Cette combinaison de multiples formes dans une même forme globale correspond aussi à un effet d'un/multiple, et le fait que ces multiples formes restent bien distinctes les unes des autres et qu'elles ne sont pas toutes exactement pareilles relève d'un effet de regroupement réussi/raté.

 

 

La cinquième et dernière étape du naturalisme couplé chinois :

 

 


Disque Bi en jade marqué « Chang Le » de l'époque des Han antérieurs (2e/1er siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : catalogue de l'exposition Trésors du Musée national du Palais, Taipei (1998)

 

 

Les vases en bronze de la période Han n'étant pas très intéressants, nous analyserons d'autres objets de cette période à la charnière de l'an 0, et pour commencer un disque Bi en jade de l'époque des Han antérieurs, soit du 2e ou 1er siècle avant notre ère. En partie centrale, un large anneau est incisé de façon régulière par des motifs ronds gravés en creux. À quelque distance, un cercle est relié à cet anneau central par la silhouette d'animaux fabuleux, principalement celle d'un dragon et celle d'un phénix. En partie haute, ces deux animaux sortent du cercle extérieur et se font face dans une figure globalement symétrique mais dissymétrique dans le détail.

Cette pièce en jade est matériellement continue puisqu'elle est en un seul morceau, mais elle se décompose en étapes successives : une couronne centrale marquée de petits points, puis une couronne largement ajourée, puis un débordement de la forme par des animaux fabuleux dans sa partie supérieure, ce débordement impliquant que ces animaux soient coupés par l'anneau qui dessine la périphérie de la forme. L'effet de continu/coupé porte donc la notion de matière, et l'absence de forme globale facilement lisible pour rassembler toutes ces parties implique qu'elles s'ajoutent en 1+1. Toutefois, la continuité matérielle de ce jade et la compacité de sa forme globale permettent aussi de le lire comme une unité matérielle divisée en plusieurs parties traitées différemment, ce qui relève cette fois d'une lecture en 1/x qui signale qu'on est à la dernière étape.

Cette lecture en 1/x notre esprit peut aussi la faire lorsque, prenant du recul pour échapper à la lecture allant simplement d'un morceau à l'autre du jade, il relève que les différentes composantes de sa forme globale sont liées les unes aux autres tout en étant bien indépendantes les unes des autres, ce qui correspond à l'effet de lié/indépendant qui porte la notion d'esprit à cette étape. Très normalement cet effet utilise les mêmes dispositions que celui de continu/coupé et que l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions : l'extérieur de l'anneau central est matériellement à l'intérieur du cercle que notre esprit considère comme le périmètre de la forme, la bande circulaire qui sépare l'anneau central de ce cercle périmétrique dont notre esprit reconstitue mentalement la continuité laisse en abondance le vide extérieur pénétrer matériellement à son intérieur, et sur une partie de leur forme les animaux fabuleux sont matériellement à l'intérieur du cercle que notre esprit considère comme le périmètre de la forme, et ils sont matériellement à l'extérieur de ce cercle sur leur autre partie.

Cet effet d'intérieur/extérieur correspond à la maturité nécessaire pour une dernière étape dont on a déjà vu qu'elle impliquait, du moins pour la phase naturaliste, que l'œuvre soit à la fois très compacte et affectée par une contradiction interne qui soit la plus violente possible, ce qui est obtenu lorsque ce qu'on lit comme étant à son extérieur se retrouve à l'intérieur de la forme.

À la cinquième étape, l'effet intérieur/extérieur est aussi celui qui doit nous apparaître d'emblée : on y ajoutera que l'anneau central laisse l'extérieur pénétrer dans son intérieur par un large trou. La forme se répand par un effet d'un/multiple, ce que l'on a déjà relevé dans sa lecture en 1/x. Elle s'organise par un effet de regroupement réussi/raté qui correspond au regroupement des deux animaux fabuleux à l'intérieur de la bande circulaire entourant l'anneau central, un regroupement réussi sur une grande partie de la forme mais raté dans la partie supérieure puisqu'ils dépassent du cercle qui sert de contour. Ces trois effets sont résumés par des effets de fait/défait : la forme d'ensemble circulaire de l'objet est bien faite, mais elle est défaite par la sortie partielle des deux animaux fabuleux, et elle est également défaite par le quadrillage des petits ronds qui se répandent de façon rectiligne sur l'anneau central sans épouser une quelconque forme d'onde circulaire ; la continuité matérielle est bien faite dans l'anneau central, mais elle est défaite dans la couronne très ajourée qui l'entoure ; l'ajustement des motifs ajourés aux deux cercles qui les encadrent est bien fait sur la plupart de la forme, mais il est défait dans sa partie haute lorsque les animaux fabuleux débordent au-delà du cercle périmétrique ; la complexité de la forme est bien faite lorsqu'elle concerne les silhouettes animales qui évoluent de façon très complexe, elle est défaite dans la monotone répétition des petits ronds strictement alignés de l'anneau central ; la continuité et la simplicité du tracé est faite sur la totalité du parcours des deux bordures circulaires, elles sont défaites dans le dessin complexe et très tourmenté des animaux fabuleux.

 

 

 


Brûle-parfum en bronze avec incrustations d'or de l'époque des Han antérieurs (avant 113 AEC)

 

Source de l'image : Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)

 

 

Retour au bronze, mais pour un brûle-parfum avec incrustations d'or de l'époque des Han antérieurs. Sa partie haute a la forme d'une montagne hérissée de pics, la fumée de l'encens qui s'échappait par de petites perforations devait ainsi apparaître comme une brune légère enveloppant le sommet de cette petite montagne. Plus qu'une montagne, il s'agit d'ailleurs d'une île-montagne puisque, en sa partie basse, un océan agité lance ses vagues à son assaut. Ces vagues, d'abord amples et vigoureuses, finissent en des jets très élancés que l'on peut confondre avec les pics de la montagne.

Matériellement, ce décor de vagues puis de pics rocheux qui prend naissance vers le bas du vase et se poursuit jusqu'à son sommet apparaît comme un décor continu, mais il est coupé par la bordure bien nette du vase dont la surface se laisse occasionnellement voir en partie médiane du brûle-parfum. Il s'agit là d'un effet de continu/coupé qui vaut pour la forme globale, mais un autre effet de continu/coupé se repère à plus petite échelle dans la façon dont les vagues, puis les pics montagneux, se succèdent les unes et les uns à la suite des autres, l'interruption de chacune ou de chacun correspondant à une coupure locale dans la continuité de l'effet ascendant de ces formes.

Les vagues puis les pics rocheux s'ajoutent en 1+1 les unes et les uns à la suite des autres puisqu'il s'agit de réalités complètement différentes, mais on ne peut manquer de voir que ces formes se combinent aussi matériellement dans une forme d'ensemble bien repérable, ovale à son dessous et pointue à son sommet, ce qui amène à considérer qu'elles sont également autant de parties séparées d'une grande forme globale unitaire relevant du type 1/x. Bien que s'ajoutant en 1+1, les aspects matériels se lisent donc aussi en 1/x.

Prenant du recul par rapport à leurs successions pas à pas, notre esprit considère que ces formes de vagues ou de pics montagneux peuvent aussi bien se lire comme autant de formes indépendantes les unes des autres mais toutes liées à un même volume global dont elles semblent s'échapper, qu'elles produisent donc un effet de lié/indépendant, un effet qui relève évidemment ici d'une lecture du type 1/x. Encore une fois les effets de continu/coupé et de lié/indépendant s'appuient sur les mêmes dispositions, ce qui vaut aussi pour l'effet de lié/indépendant de grande échelle qui est associé à l'effet de continu/coupé de grande échelle provoqué par la présence matérielle du bol inférieur dont le bord et la surface de la partie haute transparaissent derrière les vagues : notre esprit considère que les vagues de la partie basse et l'île montagneuse de sa partie haute sont deux parties bien distinctes et donc indépendantes du brûle-parfum, mais il repère simultanément qu'elles sont toutes les deux bien attachées au récipient que l'on distingue derrière les vagues, les vagues parce qu'elles semblent en lécher la surface, la montagne parce qu'elle est posée dessus.

Très normalement l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise les mêmes dispositions : pour notre esprit, le récipient en forme de bol qui contient l'encens à brûler est à l'intérieur du motif des vagues qui le recouvrent, mais une partie de sa surface supérieure émerge matériellement à l'extérieur de ces vagues. Par ailleurs, du fait de la forme matérielle en flammèches des vagues et des pics montagneux, notre esprit repère bien l'extérieur de chacune et de chacun à l'intérieur de la forme d'ensemble. Enfin, ces formes en flammèches laissent l'air extérieur pénétrer matériellement entre chacune, c'est-à-dire à l'intérieur de ce que notre esprit considère comme la forme d'ensemble du brûle-parfum.

L'effet d'un/multiple va de soi, on l'a déjà évoqué avec la lecture du type 1/x. L'effet de regroupe-ment réussi/raté résulte du regroupement visuel de toutes les formes dans un effet général de flammèches, un regroupement qui rate puisqu'on peut distinguer parmi ces formes celles qui correspondent à des vagues et celles qui correspondent à des pics montagneux, voire à de petits personnages qui circulent parmi ces pics. Il rate aussi parce qu'on peut distinguer le bord supérieur du récipient qui contient l'encens et la surface qui le borde, des formes qui échappent donc à l'effet général de flammèches. L'effet de fait/défait correspond également à cette partie du récipient dont la partie extérieure bien régulière reste visiblement bien faite tandis que la visibilité de tout le reste de sa surface est défaite par la présence des vagues. Il résulte plus généralement de l'agitation désordonnée des formes en flammèches qui semblent défaire dans le détail la compacité et la régularité de la forme qui restent pourtant bien présentes si on la considère dans son ensemble.

 

 

 


Arbre à monnaie de l'époque des Han antérieurs (2e/1e siècle avant notre ère)

 

Source de l'image : https://www.artsy.net/article/asiaweeknewyork-a-bronze-eastern-han-dynasty-money-tree

 

 

Un « arbre à monnaie » est destiné à assurer la prospérité dans l'au-delà à l'occupant de la tombe dans laquelle il était placé. Celui-ci se compose d'un socle en terre cuite représentant des animaux entassés les uns sur les autres et d'un arbre en bronze finement moulé avec une forme de phénix dans le haut.

Un groupe compact de formes animales + un groupe de branches horizontales + trois autres fois un autre groupe de branches horizontales + un phénix : l'aspect matériel de cet objet peut donc se lire comme l'addition de 1+1 formes autonomes. Toutefois, on peut aussi bien considérer qu'il s'agit d'une forme d'ensemble qui se divise en deux parties, son socle en terre cuite et ses branches en bronze, la partie arbre se divisant elle-même en multiples branches superposées, ce qui correspond à une disposition matérielle du type 1/x. Cette double lecture 1+1 et 1/x correspond bien sûr à la situation de cet objet dans la dernière étape. Ses différentes formes sont matériellement coupées les unes des autres tout au long de la tige verticale continue qui les relie, ce qui est spécialement affirmé pour les différents étages de branches séparés les uns des autres par un vide important : c'est un effet de continu/coupé.

Prenant du recul par rapport à cette succession matérielle de formes, notre esprit constate qu'il s'agit de formes indépendantes qui sont toutes liées par le fin tronc vertical de l'arbre : c'est un effet de lié/indépendant. Il repère ainsi qu'elles sont autant de parties indépendantes d'une même forme d'ensemble qui est donc, pour notre esprit aussi, du type 1/x.

L'effet de continu/coupé et celui de lié/indépendant utilisent les mêmes dispositions de la forme, et celles-ci sont également utilisées par l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions : l'extérieur matériel de chacune des parties qui participent à la forme d'ensemble est bien perceptible à l'intérieur de ce que notre esprit considère comme l'ensemble de cette forme, ce qui vaut notamment pour les étages de branches qui laissent largement l'extérieur pénétrer entre elles, et donc à l'intérieur de l'arbre qu'elles forment ensemble.

 

 

 


Cheval en bronze volant en appui sur le dos d'une hirondelle, époque des Han postérieurs (2e siècle après notre ère)

 

Source de l'image : couverture du catalogue de l'exposition Trésors d'art Chinois au Petit Palais à Paris (1973)

 

 

Dernier exemple pour la dernière étape du naturalisme chinois, le célèbre cheval volant prenant appui sur le dos d'une hirondelle qui date de l'époque des Han postérieurs. Cette sculpture en bronze distingue très clairement sa masse centrale compacte bien lisse et la dispersion dans tous les sens des différents membres de l'animal. Chacun de ces membres est d'ailleurs aussi nerveusement fractionné en tronçons bien distincts que le corps de l'animal est compact, et chacun a également son ou ses extrémités distinctement soulignées. Pour la tête, ces accents terminaux sont l'ouverture de la bouche et l'accent de sa crinière sur le haut du crâne, pour la queue, une nerveuse et brutale division de son extrémité, pour les pattes, ce sont les brusques rotations des sabots qui sont l'occasion de souligner visuellement leurs extrémités.

Matériellement, le corps du cheval est bien continu dans sa masse centrale mais coupé en multiples membres sur sa périphérie, et chaque patte est elle-même une succession de tronçons aux orientations différentes visuellement bien coupés les uns des autres. Son cou et sa tête forment aussi une suite continue de deux tronçons bien distincts, et la même chose vaut pour la queue qui, bien que continue, est elle-même coupée en diverses courbures orientées différemment. Des extrémités de chacune de ces formes, on peut également dire qu'elles sont coupées des formes qui les portent : les sabots se séparent visuellement des pattes, la bouche et la crête du haut de sa crinière se détachent visuellement de la tête, et l'espèce de fourche que forme l'extrémité de la queue se détache visuellement de celle-ci. Pour ce qui concerne les dispositions matérielles, on a donc affaire à des effets de continu/coupé.

De son côté, prenant davantage de recul sur le détail de l'évolution des formes, notre esprit considère plus globalement que toutes ces parties de membres qui prennent des directions coupées les unes des autres se repèrent de façon indépendante les unes des autres tout en étant liées entre elles, ce qui vaut aussi pour leurs extrémités qui se repèrent de façon indépendante mais qui sont nécessairement liées aux formes qu'elles prolongent. Pour la lecture de l'esprit, on a donc affaire à des effets de lié/indépendant qui utilisent les mêmes dispositions que les effets de continu/coupé qui portent la notion de matière.

L'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise les mêmes dispositions : à grande échelle, les pattes, la tête et la queue du cheval sont perçues à l'extérieur matériel de la partie principale du corps, mais pour notre esprit elles font partie de l'animal, et donc de son intérieur ; à petite échelle, les accents finaux qui détachent visuellement les extrémités de chaque partie du corps et captivent notre esprit peuvent être perçus par lui de façon indépendante, et donc comme extérieurs au corps du cheval, mais ils n'en restent pas moins des parties qui sont matériellement intégrées à son corps.

 

Cet exemple montre que les effets plastiques spécifiques à une étape peuvent très bien ne correspondre qu'à de très légers accents apportés à une forme qui, hormis ces accents, pourrait paraître une pure représentation réaliste d'un cheval en train de galoper.

 

 

 

La peinture et la sculpture à la dernière étape du naturalisme couplé chinois :

 





 

De gauche à droite : détail de l'armée en terre cuite de l'empereur Qin Shi Huang, danseuse Han, récipient avec statuettes d'équilibristes des Han postérieurs, détail d'une peinture sur brique funéraire Han

Sources des images : http://www.histoiredelantiquite.net/archeologie-chinoise/les-serviteurs-funeraires-en-chine-ou-mingqi/, https://www.wikiwand.com/fr/Soci%C3%A9t%C3%A9_et_culture_sous_la_dynastie_Han et https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Chinesischer_Maler_des_3._Jahrhunderts_v._Chr._001.jpg

 

On donne quelques exemples de sculptures en terre cuite et un exemple de peinture correspondant à la dernière étape. Les précédentes n'ont donné lieu qu'à peu de représentations humaines, préférant les monstres ou les êtres fabuleux. Comme dans la sculpture gréco-latine dans ses dernières étapes naturalistes, on ne trouve pas de raideur spéciale dans les personnages représentés, si l'on exclut, bien sûr, la raideur propre à leur attitude, militaire ou cérémonielle. En Chine, comme en Grèce ou en Italie, l'esprit fonctionne en 1/x pendant toute la phase naturaliste, et avec la sculpture et la peinture on est dans le domaine de l'esprit, c'est-à-dire dans un domaine où l'esprit peut imposer son fonctionnement. On peut donc s'étonner que ce ne soit qu'à la toute fin de la phase naturaliste que les artistes chinois se laissent aller à réaliser en abondance des personnages dont la représentation du corps matériel est libérée de la raideur propre au caractère 1+1 des aspects matériels, lequel caractère s'oppose à la lecture du corps des personnages en tant qu'unité globale divisée en multiples parties libres de se mouvoir les unes par rapport aux autres.

En Grèce, on avait vu que la raideur des corps représentés dans la sculpture avait disparue dès la troisième étape, soit deux étapes plus tôt qu'en Chine. On peut supposer que cette différence résulte de celle qu'il y a entre la relation additive en Grèce des notions de matière et d'esprit et leur relation couplée en Chine. Étant couplées, les deux notions y sont nécessairement liées l'une à l'autre, même si elles sont bien séparées, ce qui implique notamment que les aspects liés à l'esprit ne peuvent s'affirmer librement sans tenir compte de leur incidence sur l'expression des aspects matériels. Pour ce qui concerne la représentation de personnages, en Chine cela implique que leur aspect 1/x souhaité par l'esprit de l'artiste n'a pu pleinement s'épanouir qu'à la dernière étape, celle où la notion de matière avait atteint à son tour la maturité de sa transformation de 1+1 en 1/x, une maturité qui permettait désormais que ce caractère puisse être porté par l'esprit de l'artiste dans ses représentations matérielles.

 

> Suite du Chapitre 17


[1]Il est rappelé que les étapes correspondant à la phase naturaliste/animiste sont repérées sur le site Quatuor de C0-21 à C0-30 et que, pour ce qui concerne la Chine, on peut trouver les œuvres qui y correspondent à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0500.htm

[2]La Chine sous toit, catalogue d'exposition, de Nicole de Bisscop, pages 56 et 57