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17.3.  La filière égyptienne, mésopotamienne et perse pendant la phase animique :

 

Chronologie approximative de la filière égyptienne, mésopotamienne et perse de l'animisme :

         en Égypte, la première étape de cette phase correspond approximativement à la 3e période intermédiaire, laquelle va de 1070 à 525 avant notre ère. En Mésopotamie, elle va du 9e au 7e siècle avant notre ère ;

         la deuxième étape n'a pas donné lieu à des œuvres significatives en Égypte où l'on peut l'estimer vers le 5e siècle. En Mésopotamie, elle couvre les 6e et 5e siècles avant notre ère ;

         la troisième étape correspond approximativement au 4e siècle en Égypte ;

         la quatrième étape va du 3e siècle avant notre ère au 1er siècle après en Égypte, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'Égypte indépendante, et même un peu au-delà ;

         la cinquième et dernière étape n'a pas donné lieu à des œuvres spécifiques en Égypte. Elle correspond à la première moitié du site de Pétra du Royaume nabatéen, c'est-à-dire pendant le 1er siècle avant notre ère, peut-être aussi au début du 1er siècle après ([1]).

 

 

17.3.1.  Les cinq étapes de l'évolution de la sculpture dans l'ontologie animique couplée de l'Égypte pharaonique, de la Mésopotamie et de la Perse :

 

Comme en Chine, cette filière que l'on pourrait appeler « du croissant fertile » est du type couplé, c'est-à-dire que les notions de matière et d'esprit y sont d'emblée posées en couple. Toutefois, c'est la notion de matière qui y a acquis le type 1/x à l'issue de la phase totémique et la notion d'esprit y est toujours du type 1+1, donc seulement pensée au cas par cas, ce qui correspond à une ontologie animiste.

Dans le schéma suivant, dans lequel la notion de matière est en noire et celle d'esprit en blanc, on peut repérer le caractère unitaire seulement acquis par la notion de matière au début de cette phase animiste et ce caractère acquis par chacune des deux notions à la fin de cette phase. On figure un demi-rond complet pour la notion d'esprit car, mettant à profit son élan d'unification pendant cette phase, elle en profitera pour maintenir son caractère unitaire pendant la phase suivante au détriment de la notion de matière, ce qui n'a toutefois pas d'incidence pendant la phase animiste. Même si les deux notions sont couplées, il est rappelé qu'elles sont toujours bien distinctes, car ce n'est qu'avec la phase suivante qu'elles commenceront à entrer en relation mutuelle.

 

 




 

 

Pendant la phase animiste, pour les arts plastiques on ne traitera que de la sculpture, qu'elle soit en bas-relief ou en ronde-bosse. Avec la sculpture, on est dans le domaine de l'esprit, celui de l'artiste qui décide de la façon dont il va représenter ses scènes, ses personnages ou ses animaux, et comme son esprit fonctionne en 1+1 c'est une organisation plastique en 1+1 que l'on verra pendant toute cette phase, d'autant que la relation couplée entre les deux notions implique qu'elles vont se démarquer en s'en tenant chacune strictement au type qui la différencie. Comme en Chine, cette obligation de se démarquer l'une de l'autre implique que ce n'est qu'à la dernière étape que la notion qui fonctionne en 1+1 pendant cette phase pourra montrer qu'elle a également acquis le fonctionnement en 1/x, sa maturité progressive au fil des étapes ne se laissant jamais voir, sauf à travers la maturité progressive des effets plastiques qui seront de plus en plus énergiques.

 

 

La première étape de l'animisme couplé en Égypte et en Mésopotamie :

 

 


Statue-cube d'Ouahibrê, gouverneur de Haute-Égypte (vers 550 à 525 avant notre ère – fin de la XXVIe dynastie)

 

Source de l'image : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010018089  

 

 

L'Égypte pharaonique a la particularité de reprendre sans fin les mêmes thèmes avec de légères modifications à chacune des phases de son évolution. Aux deux premières étapes de la phase totémique nous avions déjà évoqué ses statues-cubes. Alors, l'aspect cube et l'aspect humain de ces statues étaient bien distincts et ils s'affrontaient directement. Avec la Statue-cube d'Ouahibrê, gouverneur de la Haute-Égypte vers 550 à 525 avant notre ère, cette fois ces deux aspects sont complètement imbriqués. La matière à prendre en compte est celle de la masse en diorite dans laquelle elle est sculptée, une masse qui bénéficie très normalement du caractère 1/x lié à sa compacité globale et à sa division en multiples surfaces miroitantes. Pour sa part, la notion d'esprit y est représentée par l'évocation d'un être doté d'un esprit, lequel est morcelé en parties autonomes qui ne s'ajoutent qu'en 1+1 du fait des plans qui les relient anormalement et qui empêchent ainsi de percevoir globalement un personnage et ses différentes parties librement articulées entre elles.

Comme on l'a vu en Chine, le caractère couplé des notions de matière et d'esprit implique qu'elles s'appuieront toutes les deux sur les mêmes contrastes plastiques, ce qui vaudra pour toutes les étapes de la phase animiste.

À la première étape, la notion de matière est portée par un effet de ça se suit/sans se suivre : toutes les surfaces de la statue se suivent dans la continuité matérielle de la diorite, mais les parties qui correspondent à la représentation matérielle de membres humains sont raccordées entre elles par des plans qui ne les suivent pas dans la réalité d'un être humain. Pour sa part, captivé par les subtiles évolutions des surfaces de la statue, notre esprit fait l'expérience de l'homogénéité de l'aspect de ces surfaces, toujours très lisses et très tendues, même lorsque cela est tout à fait anormal d'un point de vue réaliste, tel qu'il en va pour l'absence de la séparation normalement attendue entre la surface des genoux et celle des coudes. Nécessairement, notre esprit fait simultanément l'expérience des hétérogénéités qui, de place en place, donnent sa forme à la sculpture : ici, c'est un large creux qui dessine le contour des cuisses, des bras et du dos, là c'est une excroissance locale pour marquer les coudes, ailleurs, un dénivelé soudain pour montrer l'émergence des mains au-dessus des bras, ailleurs encore, c'est la brutale irruption de la tête, etc. Comme le veut la relation couplée entre les deux notions, l'effet de ça se suit/sans se suivre qui porte la notion de matière et l'effet homogène/hétérogène qui porte celle d'esprit utilisent toutes les deux les mêmes dispositions : ce sont les plans anormaux entre les membres du personnage ou les continuités anormales entre eux qui génèrent l'effet d'homogénéité lisse de la surface et qui font simultanément que toutes les parties de la surface se suivent, et ce sont les suggestions naturalistes du corps du personnage qui permettent de repérer que toute la surface de la statue ne suit pas la surface qui serait celle de ce corps dans la réalité, et qui sont aussi à l'origine des hétérogénéités qui déforment l'homogénéité de la surface.

L'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise nécessairement les mêmes dispositions : les plans anormaux qui relient matériellement les différents membres du personnage, tel celui qui relie ses deux tibias, celui qui relie ses deux pieds, celui qui relie ses deux bras et celui qui relie ses cuisses à ses bras, cachent inévitablement une partie du corps du personnage que reconstitue imaginairement notre esprit, son extérieur étant parfois visible mais aussi parfois caché, enfoui à l'intérieur du volume de la statue.

On envisage maintenant les effets plastiques qui ne portent pas l'évolution ontologique propre à l'étape. Celui qui apparaît d'emblée est le fait/défait : il est clairement visible qu'un personnage est bien là, qu'il est donc fait, mais son volume est défait par les plans qui relient très anormalement ses membres. La forme se répand par un effet de relié/détaché qui utilise aussi ces plans anormaux qui relient les membres du personnage, lesquels membres se détachent visuellement grâce aux indications de forme qui nous sont données. La forme s'organise par un effet de centre à la périphérie qui utilise ici sa capacité à nous désarçonner, à nous déstabiliser, car nous ne savons pas comment parvenir à projeter imaginairement notre corps sur le corps de ce personnage tellement celui-ci est affecté d'anomalies qui s'y opposent. L'effet qui résume les trois précédents est celui d'entraîné/retenu : quand nous nous laissons entraîner à percevoir la présence d'un personnage nous en sommes retenus par les plans anormaux et les liaisons anormales qui entachent son apparence.

 

 

 


Palais de Khorsabad : Sargon II recevant un dignitaire (fin du 8e siècle AEC)

Source de l'image : https://www.archeobiblion.fr/sargon-ii.html

 

 

Nous quittons l'Égypte pour l'Empire assyrien de Mésopotamie et un bas-relief en albâtre gypseux du palais de Dur-Sharrukin, près de Khorsabad dans l'actuel Irak. Il représente Sargon II recevant un dignitaire et date de la fin du 8e siècle avant notre ère.

L'Assyrie n'utilise pas les mêmes déformations corporelles que l'Égypte pharaonique, mais elles rendent tout aussi impossible la projection en une seule fois de notre corps entier sur de telles silhouettes.

L'impossibilité de percevoir ces corps en un seul tenant, nous obligeant à les considérer comme la somme de 1+1 parties indépendantes, provient notamment de l'incompa-tibilité entre le bassin vu de profil et les deux pieds strictement l'un devant l'autre, suggérant que les deux jambes sont aussi et en entier l'une devant l'autre. Dans le cas de Sargon II, le torse pratiquement vu de face, entre le bassin de profil et la tête de profil, ajoute encore à l'impossibilité de percevoir globalement son corps en une seule fois. Dans le cas du dignitaire, le bras beaucoup trop raide qui ne s'accorde pas avec le reste de l'attitude doit être lu de façon séparée du corps. Avec la sculpture on est dans le domaine de l'esprit, et comme l'esprit du sculpteur à cette époque et dans cette société fonctionnait en 1+1, il n'est pas surprenant qu'il impose ici la lecture des personnages en 1+1. De même qu'il n'était pas surprenant que l'artiste chinois, dont l'esprit fonctionnait en 1/x, ait imposé que les vases en bronze correspondant à la même étape soient munis de fortes nervures verticales afin que leur volume soit clairement lu comme un et divisé en multiples parties.

Matériellement, toutes les parties du corps d'un même personnage se suivent sur la sculpture, mais comme nous ne parvenons pas à les lire toutes en même temps à cause des déformations excessives que nous ne pouvons pas ressentir dans notre corps, dans la lecture que nous en faisons elles ne se suivent pas. Pour notre esprit, ces représentations de personnages sont homogènes à l'apparence de personnages réels, mais leurs déformations excessives et leur bizarre rabattement sur une surface plane sont autant d'hétérogénéités qui affectent leur apparence. L'effet de ça se suit/sans se suivre et celui homogène/hétérogène utilisent donc les mêmes dispositions, qui sont également utilisées par l'effet d'intérieur/extérieur qui porte la relation entre les deux notions : les différents membres d'un même personnage sont nécessairement à l'intérieur de son corps, mais comme ils ne peuvent se percevoir que séparément les uns des autres, ils semblent comme extérieurs les uns pour les autres.

Si l'on envisage la scène plus globalement, chaque personnage apparaît matériellement sculpté en un plan continu en léger relief sur le fond du panneau de telle sorte que la surface de la partie courante du corps d'un personnage se poursuit en continu dans ce plan de fond. Toutefois, certaines parties forment un relief supplémentaire qui ne semble pas suivre ainsi la surface courante des personnages ni le plan du fond du panneau, mais saillir en reliefs autonomes. Principalement, cela concerne les bras des personnages, leur tête et leur chevelure. Le dénivelé supplémentaire occasionné par ces parties de corps en surépaisseur est rendu sensible à notre esprit par de brutales hétérogénéités qui rompent l'homogénéité plane de la surface principale des personnages. Les épaules et les bras se démarquent notamment par de telles hétérogénéités, au point que, dans le cas de Sargon II, son épaule gauche semble indépendante de son corps, comme collée sur son torse, et sans donc le suivre. Encore une fois, l'effet ça se suit/sans se suivre est couplé avec l'effet d'homogène/hétérogène sur les mêmes dispositions, lesquelles sont également utilisées par l'effet d'intérieur/extérieur : pour rester sur cet exemple de l'épaule et du bras gauche de Sargon II, on peut avoir l'impression que tout ce membre est matériellement extérieur à son corps puisque seulement collé sur lui, mais notre esprit nous dit qu'il en fait nécessairement partie, qu'il est à son intérieur.

 

 

 


Ninive, palais d'Assurbanipal, détail d'une chasse aux lions (vers 645 à 635 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://www.invaluable.com/blog/mesopotamian-art/

 

 

Quelque temps après la mort de Sargon II et l’abandon de Khorsabad, le roi Assurbanipal fait construire un palais à Ninive, en face de l’actuelle ville de Mossoul en Irak. Des bas-reliefs qui en décoraient les appartements privés on analyse maintenant ce lion blessé lors d'une chasse.

Comme dans l'exemple précédent, l'essentiel du volume de la représentation se tient dans un plan parallèle au fond de la scène et seulement en légère surépaisseur par rapport à celui-ci. De la représentation du lion on peut donc dire qu'elle suit matériellement la direction du plan du fond de la scène, mais qu'elle ne la suit pas puisqu'elle en est légèrement décalée. Pour notre esprit que captive l'hétérogénéité de surface qu'impliquent les reliefs très énergiques des détails du lion, ce changement de plan intervient aussi comme une hétérogénéité faisant contraste avec l'homogénéité plate du fond de la scène. Ces deux utilisations de la relation entre les deux plans parallèles se combinent avec celle qu'en fait l'effet d'intérieur/extérieur : on peut aussi bien dire que la surface occupée par la représentation du lion est matériellement à l'intérieur de l'ensemble de la surface en gypse qu'à son extérieur, puisque la lecture qu'en fait notre esprit implique qu'elle soit légèrement à l'avant du fond de la scène.

Après la relation entre la représentation du lion et le fond de la scène, on examine maintenant le détail de cette représentation. On y trouve trois types de surface très différents qui ne fusionnent pas et s'ajoutent distinctement côte à côte, et donc en 1+1 : la surface courante de son corps, assez plane et seulement marquée de légères ondulations, les surfaces occupées par ses pattes et par son museau qui sont marquées par des reliefs très brutaux et très irréguliers, et enfin la surface de sa crinière dont le relief est également marqué de façon violente mais cette fois de façon très régulière. Matériellement, ces trois surfaces se suivent, bien évidemment, mais les types de relief utilisés varient de l'une à l'autre et ne se suivent donc pas. Ne les considérant pas pour leur simple succession mais plus globalement, notre esprit constate que ces trois types de surface font des effets d'homogène/hétérogène : le premier correspond à une surface globalement homogène et seulement marquée de très légères hétérogénéités, le second correspond à des surfaces que de violents reliefs rendent très hétérogènes mais qui sont homogènes entre elles, le troisième type enfin, celui de la crinière, correspond à la répétition homogène d'un détail très hétérogène.

Du fait de la grande minceur de la surépaisseur correspondant au volume du lion, les reliefs matériels qui rendent compte des détails de ce volume ont une extrême importance pour la lecture qu'en fait notre esprit captivé par leur expressionnisme et par leurs nuances. Les légers reliefs du corps du lion ont de légers creux qui rendent compte de l'extérieur de son volume. Sur les pattes, deux situations se présentent : soit des creux intérieurs, très brutalement creusés, qui font sortir par contraste les volumes extérieurs très nerveux des muscles de l'animal, ce qui est notamment le cas pour sa patte et de sa cuisse arrière gauche, soit l'extérieur du volume de chaque muscle ou de chaque doigt de sa patte se repère très visiblement à l'intérieur de l'ensemble du membre concerné, ce qui est notamment le cas pour sa patte arrière droite. Sur la crinière, ces deux modalités de l'effet d'intérieur/extérieur agissent de concert puisque ce sont les creux sculptés entre les différents épis qui lui donnent son apparence extérieure, et puisque l'extérieur de chacun de ces épis est bien repérable à l'intérieur de l'ensemble de la crinière. Remarquons que tous ces effets n'existeraient pas si, par exemple, la technique de la gravure avait été utilisée à la place de la technique du bas-relief, ou bien encore si la technique de la ronde-bosse avait été utilisée, parce qu'alors de tels creux intérieurs n'auraient fait que rendre compte de détails naturalistes du volume à représenter sans disposer d'une énergie plastique propre et sans générer des effets plastiques spécifiques.

 

 

La deuxième étape de l'animisme couplé en Mésopotamie et en Perse :

 



 

La porte d'Ishtar de Babylone à l'époque de Nabuchodonosor II (vers 575 avant notre ère) : à gauche, reconstitution partielle – ci-dessus, détail d'une représentation du Dieu Marduk en dragon

Sources des images : https://www.gettyimages.fi/detail/news-photo/la-porte-dishtar-du-palais-de-nabuchodonosor-la-porte-news-photo/945847232 et http://www.antikforever.com/Mesopotamie/Amorrites/babylone.htm

 

 

Pour la deuxième étape, la porte d'Ishtar de la Babylone de Nabuchodonosor II. Sur sa surface en briques glaçurées sont représentés en alternance le Dieu Marduk sous la forme d'un dragon cornu et le Dieu Adad sous la forme d'un taureau.

À cette étape, c'est la notion de matière qui s'appuie sur un effet d'homogène/hétérogène : du moins si l'on oublie les brisures et les dégradations de la couleur des glaçures, la surface matérielle des façades de cette porte est d'une planéité et d'une couleur bleue homogène sur laquelle, de place en place, se détachent les hétérogénéités des reliefs colorés des dragons cornus et des taureaux. Ces représentations ne génèrent ensemble aucune forme de grande échelle, elles s'ajoutent en 1+1 les unes à côté des autres et les unes au-dessus des autres.

L'effet de rassemblé/séparé porte la notion d'esprit : prenant du recul par rapport à ce contraste d'aspect purement matériel, notre esprit repère la similitude de toutes ces formes animales et les regroupe visuellement malgré leur séparation. Cette fois encore, l'effet de rassemblé/séparé utilise la même disposition que l'effet d'homogène/hétérogène, une disposition qui correspond au saupoudrage de formes écartées les unes des autres qui tranchent visuellement du fond uniforme sur lequel elles se répartissent.

 

 


Version initiale en briques crues de la représentation du Dieu Marduk sur l'un des murs de la porte d’Ishtar

 

Source de l'image : http://bredechas2018.blogspot.com/2018/11/181118-h-geo-1811-irak-le-patrimoine-en.html

 

 

Cette même disposition est utilisée par l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : matériellement, les représentations des Dieux sous formes animales sont coupées les unes des autres, mais notre esprit repère qu'il s'agit de formes et de Dieux similaires qui font donc collectivement une suite continue. Par ailleurs, l'état initial sans glaçure de ces animaux fabuleux montre combien leur corps dispose d'un véritable volume qui semble coupé comme au scalpel par la surface courante du mur, ce qui est très différent des très bas reliefs relativement plans auxquels on a eu affaire à Khorsabad et à Ninive pour la première étape. Cet effet de coupure du volume matériel du corps par la surface continue du mur que notre esprit imagine traverser l'animal est aussi un effet de continu/coupé, et il utilise aussi le contraste entre la surface courante du mur et le corps des animaux fabuleux.

Celui qui apparaît d'emblée est l'effet d'ensemble/autonomie : tous ces animaux fabuleux sont autonomes puisqu'ils sont très écartés les unes des autres, mais ils forment ensemble un effet de groupe et de répétition régulière. La forme se répand par un effet d'ouvert/fermé qui s'appuie sur le caractère aveugle, et donc fermé des murailles, lesquelles s'ouvrent pourtant pour laisser sortir à l'air libre la moitié du volume des animaux fabuleux qui semblent y être partiellement enfermés. La forme s'organise par un effet de ça se suit/sans se suivre : comme les animaux fabuleux se suivent à la fois dans des alignements horizontaux et dans des alignements verticaux, on ne peut jamais dire qu'ils se suivent selon des alignements horizontaux puisqu'ils sont alignés verticalement, ni qu'ils se suivent selon des alignements verticaux puisqu'ils se suivent horizontalement. Ces trois effets sont résumés par un effet d'homogène/hétérogène déjà envisagé.

 

 

 


Empire perse achéménide : détail de la frise des Archers du Palais de Darius Ie à Suse (vers 510 avant notre ère)

Source de l'image : http://www.lankaart.org/article-33252975.html

 

 

Quelques dizaines d'années plus tard, mais cette fois en Perse, on retrouve le même principe de disposition et le même principe d'utilisation de briques glaçurées dans la frise des archers du palais de Darius Ie à Suse qui s'ajoutent en 1+1 les uns derrière les autres.

On envisage cette fois leur disposition interne. Chaque archer regroupe en lui des surfaces d'aspects très différents, et donc bien distinctes et visuellement bien séparées pour notre esprit : c'est un effet de rassemblé/séparé. Matériellement, chacune de ces surfaces utilise un motif et des couleurs qui sont homogènes sur toute son étendue, ces surfaces ayant des aspects très contrastés et donc hétérogènes les uns pour les autres. La division de chaque personnage en morceaux de surfaces bien tranchés les uns des autres est ainsi l'occasion d'associer sur une même disposition l'effet de rassemblé/séparé et celui d'homogène/hétérogène, et cette disposition est aussi utilisée par l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : matériellement, ces surfaces ont des coloris et des graphismes bien tranchés les uns des autres, mais notre esprit sait rétablir leur continuité pour les rassembler dans un même personnage.

Au passage, on note que le corps des personnages, du moins dans leur moitié haute, n'est pas réalisé au moyen d'une surface plane comme celle des personnages que l'on a vus à Khorsabad, mais qu'il dispose d'un véritable volume. On note aussi que, cette fois comme dans les personnages de Khorsabad, les pieds sont strictement l'un devant l'autre et dans un même plan, ce qui rend impossible pour nous de percevoir d'un coup la globalité de leur corps, celui-ci étant nécessairement perçu comme disposant de 1+1 pieds s'ajoutant en +1 au reste du corps, mais la globalité de leur corps est toutefois mieux présente, ce qui implique que l'esprit de l'artiste a progressé vers son acquisition du type 1/x.

 

 

 


Empire perse achéménide : Lion terrassant un taureau sauvage sur le mur d'un escalier du Palais de Darius Ie à Persépolis (vers 515 AEC)

Source de l'image : Grèce, dans la collection Taschen – Architecture mondiale (1997)

 

 

Pour un dernier exemple de la deuxième étape, une sculpture en moyen relief du palais de Darius Ie à Persépolis représentant un lion attaquant un taureau. Elle permettra de souligner l'évolution intervenue depuis la représentation du lion de Ninive de la première étape.

En premier lieu, on remarque qu'il est fait usage de volumes bien en relief sur la surface du mur, non plus de simples plans parallèles à cette surface comme à Ninive, même si ces reliefs sont un peu moins prononcés que dans le cas des dragons cornus de Babylone.

Matériellement, on a affaire à la répétition des billes strictement alignées sur plusieurs rangées accolées qui forment le pelage de certaines parties du taureau, à la répétition de bossages bien alignés sur deux rangs successifs sculptant les pattes de lion, et à la répétition de bosses bien alignées mais de formes un peu irrégulières pour les reliefs de la tête du lion, que ce soit les alignements latéraux qui vont de son mufle jusqu'au-dessus de sa tête en passant par ses yeux, ou que ce soit l'alignement central qui monte le long de son nez. Tous ces bossages alignés correspondent à des hétérogénéités matérielles qui, dans chacune de leurs files, sont homogènes entre elles. Prenant du recul sur l'effet local produit par ces reliefs, notre esprit repère qu'ils sont visuellement bien séparés les uns des autres et qu'ils se rassemblent en alignements réguliers de même type. Les effets d'homogène/hétérogène et de rassemblé/séparé s'appuient donc à nouveau sur les mêmes dispositions, tout comme il en va pour l'effet de continu/coupé : notre esprit repère que chaque alignement de billes ou de bossages forme une suite continue de billes ou de bossages matériels qui sont matériellement coupés les uns des autres.

 

 

La troisième étape de l'animisme couplé au royaume de Napata :

 

 



Royaume de Napata (Soudan actuel) : manche de miroir du Roi Nastasen (335 à 315 avant notre ère)

Source de l'image : catalogue de l'exposition SOUDAN, Royaumes sur le Nil – Flammarion (1997)

 

 

Pour la troisième étape, un manche de miroir provenant de Napata, une région maintenant située au Soudan mais qui était alors fortement liée à la civilisation de l'Égypte pharaonique. Le royaume de Napata sera remplacé à partir de 275 avant notre ère par le royaume de Méroé dont nous envisagerons une œuvre à l'étape suivante. Ce manche de miroir en argent représente quatre divinités adossées à une colonne papyriforme : Amon, Khonsou, Mout et Hathor. Il a été trouvé dans la tombe du Roi Nastasen qui régna environ de 335 à 315 avant notre ère.

Matériellement, ces quatre divinités bien séparées les unes des autres sont rassemblées à une même colonne sur laquelle elles sont toutes accolées. Prenant du recul, notre esprit constate que le rythme de leurs accolements est régulier, et donc synchronisé, alors que l'érection verticale de la colonne sur laquelle s'appuient ces divinités se fait dans une direction qui est incommensurable avec les directions vers lesquelles elles regardent. L'effet de rassemblé/séparé qui porte la dimension matérielle et l'effet de synchronisé/incommensurable qui porte la notion d'esprit utilisent donc la même disposition formelle, celle de l'adossement de représentations d'allure humaine à une haute colonne centrale qui les réunit. L'effet de lié/indépendant qui rend compte de la relation entre les deux notions l'utilise aussi puisque ces représentations que notre esprit considère indépendantes les unes des autres sont matériellement liées ensemble par leur adossement commun à la colonne.

À la troisième étape, l'effet qui apparaît d'emblée est celui de rassemblé/séparé, celui par lequel la forme se répand est le synchronisé/incommensurable, et celui qui résume les trois autres est le lié/indépendant. Tous ces effets ont déjà été envisagés.

Il reste à envisager l'effet par lequel la forme s'organise et qui est, à cette étape, le continu/coupé : les représentations des divinités forment autour de la colonne une suite continue de figurines coupées les unes des autres, et leur accolement à cette colonne permet également de dire que leur forme est continue avec celle de la colonne tout en étant visuellement bien détachée, et donc coupée. Dans la partie haute du manche, on peut également repérer de nombreuses fois cet effet : dans les ligatures horizontales coupées les unes des autres qui forment verticalement une frise continue, dans les feuilles de papyrus coupées les unes des autres qui forment horizontalement une frise continue, dans la brusque coupure de la continuité du manche occasionnée par la surface en biais qui suit le haut du chapiteau. Dans cette partie haute du manche, on peut aussi repérer aisément les trois autres effets que l'on a envisagés pour la partie contenant des figurines.

 

 

La quatrième étape de l'animisme couplé en Égypte :

 

Détail du mur extérieur du temple d'Hathor à Dandéra (autour de l'an 0)

source de l'image :
http://commons.wikimedia.org
/wiki/File:Altes_Agypten.jpg


 

Environ 25 siècles après son invention des personnages représentés en reliefs incisés creusés dans une surface plane (voir chapitre 15.6.5), l'Égypte pharaonique utilise toujours cette formule dont on peut dire qu'elle l'aura usé jusqu'à la corde, la modifiant toutefois de façon parfois très discrète pour l'adapter aux exigences de chacune des étapes traversées pendant toute cette durée. La permanence de cette solution autour de l'an 0 illustre comment, à cette époque-là, l'esprit des artistes égyptiens fonctionne toujours en 1+1 : les personnages s'ajoutent les uns aux autres dans 1+1 niches individuelles qui ne forment pas un espace commun dans lequel vivraient ces personnages, et des distorsions de leurs membres empêchent toujours de ressentir leur corps d'un seul coup, nous obligeant à les lire comme une addition de 1+1 parties.

Dans la frise du mur extérieur du temple d'Hathor à Dandéra, si le contour des personnages est en ronde-bosse, leur corps est toutefois ramené à une surface plane dans leurs parties les plus larges, ce qui vaut notamment pour les hanches et les cuisses, ce qui implique que les bras des personnages lorsqu'ils recouvrent leur torse sont pratiquement sans épaisseur. Cet usage du relief incisé se différencie donc significativement de son usage à la dernière étape totémique, on renvoie notamment aux représentations d’Akhenaton et Néfertiti en dernière étape du chapitre 16.3.2, des représentations dans lesquelles le volume de leur corps n'était nullement aplati et dans lesquelles les bras qui passaient devant leur torse ne l'étaient pas non plus.

Ce recul dans l'utilisation de la ronde-bosse, ici limité au contour des corps, a nécessairement une explication. Cet aplatissement des corps pour les aligner partiellement avec le plan général de la façade implique en effet que, matériellement, ces représentations de Dandéra combinent de façon synchronisée des silhouettes découpées dans un plan 2D avec les volumes de leur contour, lesquels sont réalisés en reliefs 3D et sont donc incommensurables avec le caractère 2D de ces silhouettes. De son côté, notre esprit est sensible au fait que la surface du corps des personnages est rabattue sur le plan principal du mur et que, pour dégager leur volume, il a fallu couper la continuité de ce plan par les incisions qui génèrent les rondes-bosses de leurs contours. L'effet de synchronisé/incommensurable qui porte la notion de matière utilise donc les mêmes dispositions que celui de continu/coupé qui porte celle d'esprit, et les mêmes bien sûr l'effet de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions : un même personnage est obtenu par la combinaison matérielle d'éléments dont notre esprit repère les différences, une découpe linéaire de sa silhouette, un relief en ronde-bosse pour sa périphérie, et une surface plane ou quasi plane dans la partie la plus large de son corps.

 

 

 


Colonnes du pronaos du temple d'Hathor à Dandéra (autour de l'an 0)

 

Source de l'image : https://www.thenotsoinnocentsabroad.com/blog/dendera-temple-of-hathor-one-of-the-best-temples-in-egypt

 

 

On reste dans le temple de la déesse Hathor à Dandéra, construit pendant la période romaine de la civilisation égyptienne, pour examiner les chapiteaux qui portent les poutres intérieures de son pronaos. À chaque chapiteau le visage de la déesse est reproduit quatre fois puisque sur chacune de ses quatre faces, et cette répétition est elle-même répétée sur chacune des colonnes. Cela revient à admettre que la tête de la déesse ne peut être pensée globalement, seulement comme l'addition de 1+1 fois la partie antérieure de sa tête, et cette représentation de 1+1 visages répétée 1+1 fois rappelle que l'esprit du sculpteur et celui de l'architecte fonctionnent toujours en 1+1.

Matériellement, chaque chapiteau correspond à la synchronisation parfaite de quatre visages qui s'orientent vers des directions perpendiculaires et donc incommensurables entre elles, et pour sa part notre esprit lit qu'il y a là une suite horizontale continue de visages semblables bien coupés les uns des autres puisque orientés vers des directions différentes. L'effet de synchronisé/incommensurable et celui de continu/coupé s'appuient sur les mêmes dispositions formelles, des dispositions qu'utilise aussi l'effet de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions : un même chapiteau est obtenu par le rassemblement que fait notre esprit de différents visages matériels de la même déesse.

 

 


 

Un chapiteau du kiosque dit de Trajan à Philae (peut-être autour de l'an 0)

Source de l'image : http://thery-fr.net/INTERNET/EGYPTE%202010/08%20PHILAE%20(65)/slides/Philae%20Kiosque%20Trajan%200761.html


 

Dos de miroir en bronze de la période des Printemps et des Automnes (8e à 6e siècle avant notre ère)

Source de l'image : Les Arts de l'Asie orientale, Tome 1, aux éditions Könemann (1999)

 

 

Nous envisageons un autre chapiteau couramment employé à la même époque. On le trouve notamment à la Chapelle de la Naissance du temple d'Hathor à Dandéra, mais les chapiteaux de ce bâtiment sont assez dégradés et l'exemple que l'on va examiner provient du kiosque dit de Trajan sur l'île de Philae, un kiosque qui est peut-être en fait très antérieur à Trajan et pourrait avoir été construit sous Auguste, quelques dizaines d'années seulement après le début de la domination romaine en 30 avant notre ère. Ce chapiteau utilise le thème des faisceaux de papyrus groupés en corolles, et il y ajoute, entre les ombrelles ouvertes, des boutons floraux qui forment de petites excroissances qui pendent sous le centre de chaque corolle ou qui décorent leurs deux extrémités. Cette forme de corolle accompagnée de boutons se répète tout autour du chapiteau, mais aussi de haut en bas selon une taille chaque fois décroissante.

Matériellement on a ici des formes dont les échelles sont différentes, dont les dimensions sont donc incommensurables entre elles, et elles se synchronisent pourtant parfaitement pour que l'extrémité de chaque corolle tombe exactement à l'aplomb de l'extrémité ou du milieu des corolles de dessus ou de dessous. Prenant du recul, notre esprit remarque que ces corolles et les boutons qui les ornent forment une suite continue de formes semblables coupées horizontalement les unes des autres et coupées verticalement par la différence de leurs échelles. L'effet de synchronisé/incommensurable et l'effet de continu/coupé s'appuient donc tous deux sur la répétition horizontale de la même forme et sur sa répétition verticale à des échelles chaque fois différente, et l'effet de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise les mêmes dispositions : horizontalement, notre esprit repère que les différentes formes matérielles sont toujours les mêmes, verticalement, il repère qu'il s'agit toujours de la même forme malgré son échelle chaque fois différente.

Ce principe de récurrence d'une même forme sur plusieurs échelles fait inévitablement penser au dos de miroir datant de la période des Printemps et des Automnes analysé dans le cadre de la filière chinoise pour la même quatrième étape. Il existe toutefois une différence entre ces deux motifs. Dans le cas du dos de miroir chinois, il s'agit véritablement d'une forme autosimilaire, c'est-à-dire que la même forme, mais à plus petite échelle, se retrouve à l'intérieur d'une forme de plus grande échelle. Dans le cas du chapiteau égyptien, les différentes échelles de la même forme ne sont pas les unes à l'intérieur des autres mais les unes au-dessus des autres. C'est là une différence qui est très significative de la différence entre naturalisme et animisme. Dans le cas du naturalisme chinois, l'esprit de l'artiste fonctionne à cette étape en 1/x, ce qui implique qu'il peut aisément concevoir comment une même forme peut être à la fois à une certaine échelle et répétée de multiples fois à l'échelle du dessous, tandis que dans le cas de l'animisme égyptien, puisqu'à la quatrième étape l'esprit de l'artiste fonctionne encore en 1+1, les répétitions de la forme ne peuvent que s'additionner 1+1 fois les unes à côté des autres ou les unes au-dessus des autres, qui plus est si elles sont d'échelles différentes.

 

 



 

Royaume de Méroé : deux lampes en bronze (1er siècle de notre ère)

Source des images : catalogue de l'exposition SOUDAN, Royaumes sur le Nil – Flammarion (1997)

 

 

Pour un dernier exemple, nous remontons le Nil pour nous retrouver à nouveau au Soudan dans ce qui correspondait à l'époque au royaume de Méroé. Ces lampes en bronze datent du premier siècle de notre ère. Par différence avec le style très égyptien du manche de miroir de Napata, c'est certainement une influence hellénistique qu'il faut ici envisager. Dans les deux cas, la poignée de la lampe se retourne vers le haut et en émerge, après la coupure d'une feuille ou d'une fleur, soit l'avant-train d'un centaure bondissant, soit l'avant-train d'un cheval bondissant.

Matériellement, dans chaque lampe on a affaire à une suite bien coordonnée, et donc bien synchronisée, de réalités qui n'ont rien à voir les unes avec les autres et qui sont donc incommensurables entre elles : en partie basse la coupelle fonctionnelle d'une lampe, ensuite une tige d'allure végétale qui se termine par une feuille ou par une fleur, puis une représentation de centaure ou de cheval en émerge qui prolonge parfaitement la dynamique et la continuité de la tige végétale. Prenant du recul, notre esprit repère cette continuité de forme et de dynamique, mais aussi qu'elle est systématiquement coupée par un changement de nature entre chacun des morceaux qui se succèdent. L'effet de synchronisé/incommensurable et l'effet de continu/coupé s'appuient donc sur les mêmes dispositions comme il convient pour rendre compte du couplage entre les notions de matière et d'esprit. Ce couplage est spécialement fort lorsqu'on considère l'émergence des formes chevalines qui sortent de la feuille ou de la fleur, deux réalités dont les matérialités sont spécialement incommensurables, et lorsqu'on considère simultanément que les corps chevalins sont très précisément et très brutalement coupés à l'endroit de la transformation du végétal en animal. L'effet de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions utilise les mêmes dispositions : un même objet combine matériellement différentes parties qui se succèdent et dont notre esprit repère qu'elles sont de natures différentes, une coupelle contenant du liquide, un élément végétal, et un élément animal ou mi-animal et mi-humain. Si d'un point de vue matériel il s'agit donc d'un seul objet fait de plusieurs parties, et donc d'un objet du type 1/x, pour notre esprit qui repère qu'il s'agit de parties qui n'ont rien à faire ensemble, elles s'ajoutent en 1+1.

À l'occasion de ce dernier exemple nous examinons les autres effets plastiques propres à cette étape. Celui qui apparaît d'emblée est le même/différent, déjà envisagé. La forme se répand par un effet d'intérieur/extérieur : l'extérieur de chacune des parties très autonomes qui constituent chaque objet est bien visible à l'intérieur de celui-ci. La forme s'organise par un effet d'un/multiple qui s'appuie sur les mêmes particularités que l'effet de même/différent : la forme est une et simultanément faite de multiples parties très différentes. L'effet de regroupement réussi/raté résume les trois précédents : les différentes parties qui constituent chaque objet se regroupent dans une continuité dynamique bien visible, mais leurs différences de nature empêchent de ressentir qu'elles forment un ensemble cohérent, ce qui fait rater leur regroupement.

 

 

La cinquième et dernière étape de l'animisme couplé à Pétra :

 


 

Civilisation nabatéenne : la partie haute de la Khazneh à Pétra, état actuel et reconstitution graphique (probablement 1er siècle avant notre ère)

Sources des images : https://www.wikiwand.com/fr/P%C3%A9tra et Pétra dans la collection Archéologie de National Geographic


 

Pour la dernière étape, alors que la civilisation de l'Égypte pharaonique est à bout de course, nous nous déportons légèrement à l'est du Nil pour envisager la civilisation nabatéenne, spécialement la tombe rupestre de Pétra dénommée la Khazneh qui date probablement 1er siècle avant notre ère. On reviendra sur son architecture au prochain chapitre, pour le moment on n'envisage que l'utilisation qui y est faite des sculptures de personnages. Comme elles sont très dégradées, on en considérera aussi une reconstitution graphique.

Chaque pan de façade de l'étage et de son urne ronde centrale reçoit une statue de personnage, montée sur un socle et accolée au mur. À chaque angle est installée une colonne, périodiquement pour ce qui concerne l'urne ronde, leurs chapiteaux étant collés au mur ce qui implique que leurs fûts en sont décollés et qu'ils se retrouvent légèrement en avant des personnages.

Il est bien sûr éclairant de comparer la disposition de ces sculptures de personnages à celle des personnages sculptés sur le mur extérieur du temple d'Hathor à Dandéra de l'étape précédente. À Dandéra, chaque personnage était complètement prisonnier à l'intérieur d'une niche qui lui était propre, et en conséquence leur groupe ne pouvait se lire que comme une suite de 1+1 personnages isolés les uns des autres. Ici, on a toujours des colonnes qui séparent clairement chaque personnage de son voisin, ce qui implique aussi une lecture en 1+1, mais la présence de ces colonnes n'empêche pas de lire que ces personnages font partie d'un groupe assez clairement repérable de personnages situés à l'avant du mur et vivant dans un même espace extérieur au bâtiment, un groupe qui peut donc également se lire en 1/x. On en déduit nécessairement que l'esprit de l'artiste ou de l'architecte qui a conçu cette disposition, même s'il fonctionnait toujours en 1+1, ressentait simultanément le besoin d'une lecture en 1/x, ce qui correspond exactement à ce que l'on devait attendre pour la dernière étape de la phase animiste.

 

Matériellement les personnages forment une suite continue qui épouse le développé de la façade tandis que des colonnes les coupent les uns des autres. Prenant du recul, notre esprit lit que toutes ces statues forment un groupe, que les colonnes forment un autre groupe bien distinct du précédent, et donc visuellement bien indépendant du précédent, et il lit aussi que ces deux groupes sont liés l'un à l'autre par le fait qu'ils alternent régulièrement. Comme il convenait pour tenir compte du caractère couplé des notions de matière et d'esprit dans cette filière de civilisation, l'effet de continu/coupé qui rend compte de la notion de matière et celui de lié/indépendant qui rend compte de la notion d'esprit utilisent donc les mêmes dispositions, des dispositions qu'utilise aussi l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions à la dernière étape : l'alternance des colonnes et des statues fait que l'extérieur matériel des personnages est perçu par notre esprit à l'intérieur du groupe des colonnes, et inversement.

Matériellement on peut aussi constater que chaque statue est complètement accolée au mur contre lequel elle s'appuie, ce que montre bien la photographie de l'état actuel avec les restes des personnages encore adhérents aux murs sur de grandes surfaces. Dans ces conditions, le matériau des statues était continu avec celui du mur, mais les statues en étaient néanmoins coupées puisqu'elles semblaient se dresser devant lui. Pour sa part, s'il néglige cet aspect matériel, notre esprit peut considérer que ces statues étaient des représentations de personnages, qu'elles étaient donc indépendantes de la réalité du mur qui n'était qu'un mur de bâtiment, mais quelles étaient aussi liées à lui puisqu'elles y étaient collées. Encore une fois, l'effet de continu/coupé et l'effet de lié/indépendant utilisent les mêmes dispositions, et encore une fois c'est aussi le cas de l'effet d'intérieur/extérieur : étant complètement collées contre le mur sur une grande partie de leur surface, celle de leur corps mais aussi celle de leur socle, on ne sait dire si les statues ne sont que des reliefs du mur, qu'elles font donc matériellement partie intégrante de lui et doivent être considérées comme à son intérieur, ou si l'on doit s'appuyer sur la lecture qu'en fait notre esprit qui considère qu'elles sont seulement collées contre le mur et qu'elles lui sont donc extérieures.

 

On envisage maintenant les effets plastiques qui ne sont pas directement liés à l'évolution ontologique prope à l'étape en cours. Celui qui doit apparaître d'emblée est l'intérieur/extérieur. On l'a déjà évoqué à deux reprises, mais on peut y ajouter une autre expression : les statues sont à l'air libre, c'est-à-dire en situation extérieure, mais elles sont aussi situées à l'intérieur d'une sorte de niche formées par les colonnes qui les encadrent et leur entablement.

Les formes se répandent par un effet d'un/multiple : les statues forment un groupe unitaire divisé en multiples statues bien distinctes les unes des autres. Elles s'organisent par un effet de regroupement réussi/raté : le regroupement des statues en groupe unitaire est contrarié par le fait que les statues sont séparées les unes des autres par des colonnes, et surtout par le fait qu'elles sont dans des positions différentes dans la profondeur et regardent vers des directions différentes du fait des brutales ondulations du mur qui les porte. L'effet qui résume les trois précédents est celui de fait/défait qui reprend, pour l'essentiel, les caractéristiques de l'effet de regroupement réussi/raté que l'on vient de décrire. On peut y ajouter que la planéité bien faite des murs et la régularité bien faite du rythme des colonnes sont défaites par la grande complexité et l'irrégularité formelle des statues qui sont chaque fois différente. Ce qui vaut également pour la variété de leurs couleurs qui défait l'uniformité colorée des murs qui les portent, du moins tel qu'on peut l'imaginer par reconstitution.

 

 

 

17.3.2.  Les cinq étapes de l'évolution de l'architecture dans l'ontologie animique couplée de l'Égypte pharaonique et de la Mésopotamie :

 

La première étape de l'animisme couplé en Nubie :

 



 

Reconstitution de deux temples du site de Djébel Barkal au royaume de Napata, Soudan actuel. À gauche, le temple B 300, à droite, le temple B 700

Source des images : http://www.vizin.org/projects/gebelbarkal/images/

 

En Nubie, qui correspond à l'actuel Soudan, les rois koushites du royaume de Napata ont régné sur l'Égypte en tant que pharaons de la XXVe dynastie. Sur le site de la Montagne Sacrée de Djébel Barkal, ils ont fait édifier plusieurs temples directement adossés à cette montagne et y pénétrant partiellement. De ces temples nous allons considérer celui de Mout, numéroté B 300, construit par le pharaon Taharqa vers 680 avant notre ère (reconstitution de gauche) et le temple numéroté B 700 construit vers 650 à 640 avant notre ère par les rois qui lui ont succédé.

Ce qui diffère fondamentalement des temples égyptiens de la phase précédente est la présence d'un vaste porche adossé au pylône d'entrée. Matériellement, puisqu'ils prolongent les murs de la cour, ces porches suivent la partie principale des temples, mais ils ne la suivent pas puisqu'ils en sont coupés par les pylônes contre lesquels ils s'adossent. Pour sa part, notre esprit est sensible au fait que les murs qui cernent la partie principale du temple ont des surfaces planes homogènes tandis que ces porches ont comme parois des colonnes, lesquelles sont autant d'hétérogénéités, et par ailleurs, puisque l'esprit est doté de mémoire, celui des contemporains pouvait repérer que la partie principale du temple, pylône d'entrée compris, était homogène à l'aspect traditionnel des temples égyptiens, tandis que ces porches constituaient des sortes de verrues hétérogènes plaquées à leur devant.

Comme le veut le caractère couplé des relations entre les notions de matière et d'esprit, la présence de ces porches à l'entrée des temples permet donc de cumuler sur les mêmes dispositions architecturales l'effet de ça se suit/sans se suivre, propre à la notion de matière, et l'effet d'homogène/hétérogène propre à la notion d'esprit. Évidemment, cette disposition est aussi utilisée par l'effet d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions : bien que notre esprit considère que le porche d'entrée fait partie du temple et qu'il est donc à son intérieur, matériellement il est devant son pylône d'entrée et donc à l'extérieur de son enceinte. Par ailleurs, notre esprit repère que ce porche est un espace apte à abriter des humains dotés d'un esprit, et qu'il possède ainsi les qualités d'un espace intérieur, ce qui n'empêche pas qu'il est matériellement ouvert à tous vents, et donc en situation extérieure.

L'effet qui apparaît d'emblée est celui de fait/défait : la verrue du porche casse la perception du volume de la partie principale du temple, un volume que l'on perçoit pourtant bien fait à l'arrière du porche. La forme se répand par un effet de relié/détaché : le porche est relié au volume principal du temple puisqu'il est attaché à lui au niveau de sa toiture, et aussi au niveau de son socle pour ce qui concerne le temple B 700, mais il en est détaché par le haut pylône qui l'en sépare. La forme s'organise par un effet de centre/à la périphérie qui fait valoir ici son caractère déstabilisateur : on ne sait dire où commence le temple puisqu'on ne sait dire si le porche en fait partie ou non. Ces trois effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu qui joue sur le même principe : on est entraîné à percevoir que le porche n'est qu'une verrue rajoutée à l'avant du temple, mais on en est retenu dès que l'on considère que le porche en est une partie intégrante, et inversement.

 

Comme on le verra à toutes les étapes de cette filière animiste, on repère bien que la matérialité compacte de ces temples divisée en multiples parties bien distinctes relève du type 1/x tandis que notre esprit les décompose en formes qui ont ici des aspects très hétérogènes et qui s'ajoutent en 1+1 sans générer ensemble une grande forme unitaire bien lisible.

 

 

La deuxième étape de l'animisme couplé en Mésopotamie :

 

Deux exemples de reconstitution de la ziggourat Etemenanki du dieu Marduk à Babylone à l'époque de Nabuchodonosor II. Celle de droite, plus horizontale, est plus réaliste compte tenu du mode de construction en brique d'argile crue ou cuite mélangée à de la paille (terminée vers 590 avant notre ère)

Source des images : https://archeologie.culture.fr/orient-cuneiforme/fr/architecture-ziggurat



 

Comme pour la sculpture, à la deuxième étape nous retrouvons Babylone à l'époque de Nabuchodonosor II qui régna de 605 à 562 avant notre ère. La ziggourat Etemenanki du dieu Marduk fut reconstruite à cette époque et terminée vers 590. Une stèle, dite d'Oslo, probablement gravée pour son inauguration, en donne un dessin approximatif qui permet de reconstituer plus ou moins son apparence. Comme le strict respect de ce dessin correspond toutefois à une tour trop haute pour tenir sans s'effondrer du fait de sa technique en pisé, il faut envisager une allure correspondant plutôt à la reconstitution que l'on donne à droite, la disposition exacte des escaliers restant incertaine.

Quelle que soit la reconstitution, on peut être sûr que la ziggourat était matériellement constituée d'étages homogènes successifs décalés les uns des autres par de brutaux retraits qui formaient autant d'hétérogénéité dans une masse homogène vaguement pyramidale. En prenant du recul sur ce principe de retraits matériels, notre esprit remarque que ces niveaux décalés, et donc séparés, sont rassemblés dans une forme pyramidale en gradins. L'effet matériel d'homogène/hétérogène et l'effet de rassemblé/séparé lu par notre esprit sont donc portés par la même disposition en gradins de la ziggourat, une disposition qu'utilise aussi l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : matériellement chaque gradin est coupé du précédent et du suivant, mais en prenant du recul par rapport à ces décalages locaux notre esprit constate qu'ils forment une suite continue.

Celui qui apparaît d'emblée est l'effet d'ensemble/autonomie : les étages repérables de façon autonome les uns des autres font ensemble un effet de gradins. La forme de l'architecture se répand par un effet d'ouvert fermé : chaque retrait de gradin génère un étage creux ouvert à l'air libre à l'intérieur de la masse compacte fermée de la pyramide. Elle s'organise par un effet de ça se suit/sans se suivre : les gradins se suivent selon la pente de la pyramide, mais ils ne se suivent pas puisque leurs plans sont décalés par des retraits et puisque leur allure est horizontale et qu'ils sont donc parallèles entre eux. Quelle que soit la disposition que l'on choisit de retenir pour les escaliers, on peut aussi constater qu'ils forment une suite continue puisqu'ils permettent d'aller du sol jusqu'au sommet de la ziggourat, mais que les directions de leurs différents tronçons ne se suivent pas. Ces trois effets sont résumés par celui d'homogène/hétérogène, déjà envisagé. On peut y ajouter l'absence de régularité dans la hauteur des étages, de telle sorte que la forme en étages successifs est utilisée de façon homogène dans tout le bâtiment mais que ces étages sont hétérogènes entre eux pour ce qui concerne leur hauteur. Du dernier niveau, qui correspond au sanctuaire dédié au dieu Marduk, on peut également dire que sa forme est obtenue par un dernier retrait dont l'allure est homogène à celle de tous les autres étages mais que son revêtement, probablement en tuiles vernissées, donnait à ses façades un aspect hétérogène à celui des gradins courants de la ziggourat.

 

 


 

Ci-dessus, vue reconstituée de la voie processionnelle menant à la porte d'Ishtar de Babylone

Source de l'image : https://www.akg-images.fr/archive/La-Porte-d'Ishtar-et-la-voie-processionnelle--Babylone--6e-siecle-avant-J.-C.---Illustration-2UMEBMIHRSXT.html

 

À droite, maquette du Musée de Pergame à Berlin reconstituant la voie processionnelle menant à la porte d'Ishtar de Babylone telle qu'elle était à l'époque de Nabuchodonosor II (605 à 562 avant notre ère)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/es/Akitu


 

On reste à Babylone, mais cette fois pour les bâtiments qui bordent la voie processionnelle qui menait à la porte d'Ishtar dont on a examiné la décoration au chapitre précédent. Ces bâtiments, qui avaient notamment une fonction de rempart militaire, avaient l'aspect d'une suite régulière de tours crénelées en léger relief sur la façade continue qui bordait chaque côté de la voie processionnelle. Une frise continue de lions en briques glaçurées décorait le bas de chacune des deux parois.

Ces parois latérales formaient une continuité matérielle homogène de chaque côté de la rue, une homogénéité qui était renforcée par la répétition toujours identique d'une frise de lions, bordée en haut et en bas par des dessins d'une monotonie également répétitive. Dans cette homogénéité, les tours constituaient autant d'hétérogénéités du fait du léger relief de leur façade, mais aussi parce qu'elles étaient plus hautes que les murs dans lesquels elles s'incorporaient. Prenant du recul par rapport à ces effets locaux d'hétérogénéité, notre esprit constate que les tours, bien que séparées les unes des autres, sont rassemblées par la continuité des murs dans lesquels elles sont encastrées. L'effet d'homogène/hétérogène et l'effet de rassemblé/séparé sont encore ici rassemblés sur les mêmes dispositions, également utilisées par l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : matériellement, les tours forment une maçonnerie qui continue celle des murs, mais notre esprit ne cesse de constater qu'elles coupent sans arrêt la continuité des murs, et si à l'inverse on prend en compte le fait que les tours sont matériellement coupées les unes des autres, notre esprit ne manque pas de voir qu'elles forment une suite continue de chaque côté de la voie processionnelle.

 

 



 

Reconstructions informatiques du palais de Darius Ie à Persépolis - à gauche, le palais de l'Apadana - à droite, le grand escalier et la Porte de toutes les nations (vers 520 à 510 avant notre ère)          Source des images : http://www.persepolis3d.com/frameset.html

 

Comme pour la sculpture, après Babylone on va à Persépolis dans le palais que Darius Ie y construisit vers 520 à 510 avant notre ère.

L'apadana du palais, contenant notamment sa salle d'audience, est matériellement constituée de quatre blocs pleins situés aux quatre coins d'un carré et reliés par une toiture soutenue par de hautes colonnes. L'aspect massif et presque aveugle de ces blocs d'angle leur donne un aspect homogène, tandis que les grandes salles hypostyles qui les séparent interviennent comme des hétérogénéités ouvertes à l'intérieur de leur groupe. Pour sa part, considérant la disposition d'ensemble, notre esprit peut estimer que le trait de la toiture soutenu par les hautes colonnes rassemble en continuité ces massifs d'angle séparés les uns des autres. Cette disposition est donc conjointement utilisée par l'effet d'homogène/hétérogène et celui de rassemblé/séparé, mais aussi par l'effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : pour notre esprit, chaque la façade du bâtiment se développe dans un plan de murs et de colonnes continu, mais les massifs maçonnés sont matériellement coupés les uns des autres et les colonnes matériellement coupées les unes des autres.

Dans la Porte de toutes les nations perchée en haut du grand escalier qui sert d'entrée au palais, la muraille forme une continuité construite affectée par des retours latéraux et par le relief de deux tours qui forment autant d'hétérogénéités de surface ou de hauteur dans la continuité matérielle homogène de la muraille, et pour sa part notre esprit est sensible à l'effet de symétrie qui rassemble dans une même figure ces dispositions séparées. Là encore, les effets d'homogène/hétérogène et de rassemblé/séparé sont portés par les mêmes dispositions qui sont également utilisées par l'effet de continu/coupé qui porte la relation entre les deux notions : les coupures sont repérées par notre esprit (les équerres successives de la façade, les reliefs successifs qui l'animent et les changements de hauteur qui impliquent des passages successifs d'une lecture de l'horizontalité du mur à la lecture de ses élans verticaux) tandis que la continuité est celle de la matérialité du mur.

 

Dans tous les exemples que l'on a donnés pour cette étape c'est la compacité d'ensemble des dispositions matérielles divisée en multiples parties clairement distinctes qui relève du type 1/x, tandis que les lectures très autonomes qu'en fait notre esprit impliquent que les formes de ces parties ne s'ajoutent qu'en 1+1.

 

 

La troisième étape de l'animisme couplé en Égypte :

 

 


Reconstitution informatique de la chapelle-reposoir d'Achôris à Louxor (vers 393 à 380 avant notre ère)

Source de l'image : http://dlib.etc.ucla.edu/projects/Karnak/feature/ChapelOfHakoris

 

 

Pour la troisième étape, la chapelle-reposoir construite à Louxor vers 393 à 380 avant notre ère pour abriter la barque d'Amon-Ré à l'époque du roi Achôris.

Ici, plusieurs familles de formes matériellement bien séparées les unes des autres : des murs bahut, des colonnes aux chapiteaux très évasés, à l'avant-plan de larges et hauts poteaux, à l'arrière-plan un haut mur continu en forme de U, et au-dessus une longue architrave en gorge égyptienne, elle aussi en forme de U mais orientée en sens inverse. Bien séparées les unes des autres, ces différentes familles de formes sont pourtant matériellement rassemblées dans une unité d'ensemble bien perceptible à l'intérieur de laquelle elles se complètent réciproquement.

Pour sa part, notre esprit remarque que si ces différentes familles de formes savent ainsi se synchroniser pour se compléter, chacune est pourtant générée de façon totalement spécifique, ce qui les rend incommensurables entre elles, d'autant que leurs différentes directions sont contradictoires. Ainsi, la lecture d'une fine colonne arrondie verticale est incompatible avec la lecture d'un épais mur bahut horizontal ou avec celle d'une corniche horizontale en forme de U.

Les effets de rassemblé/séparé et de synchronisé/incommensurable s'associent donc sur les mêmes dispositions architecturales, sur lesquelles on retrouve naturellement l'effet de lié/indépendant qui rend compte de la relation entre les deux notions : les différentes familles de formes que l'on a décrites sont chacune matériellement repérable de façon indépendante, mais pour notre esprit elles sont toutes liées les unes aux autres par leur participation commune à une forme d'ensemble parallélépipédique.

L'effet qui nous apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé, celui qui permet à la forme de se répandre est le synchronisé/incommensurable et celui qui résume tous les autres est le lié/indépendant, tous effets qui ont déjà été envisagés. Il ne reste à évoquer que l'effet de continu/coupé par lequel la forme s'organise : l'ensemble de ses parties forme un dispositif continu d'éléments visuellement bien coupés les uns des autres.

 

Les multiples formes matérielles de ce bâtiment s'assemblent en une continuité compacte globalement parallélépipédique, ce qui vaut à sa matérialité le type 1/x, tandis que c'est à nouveau l'indépendance de la lecture par l'esprit de ces mêmes formes qui décompose le bâtiment en 1+1 formes autonomes les unes des autres.

 

 

La quatrième étape de l'animisme couplé en Égypte :

 


La façade sur cour de la salle hypostyle du temple d'Edfou (237 à 57 avant notre ère)

 

Source de l'image :
http://commons.wikimedia.org
/wiki/File:Edfu_Tempel_31.jpg

 

 

Pour la quatrième étape, la façade sur cour de la salle hypostyle du temple d'Edfou. Ce bâtiment se présente comme une unité fermée complète, propre à se lire en 1/x, ce qui est notamment permis par l'interruption des colonnades de la cour avant sa façade et par l'encadrement continu en U inversé de sa périphérie. Avec ce bâtiment clos sur lui-même, on est bien loin des successions de 1+1 terrasses puis de 1+1 pylônes qui avaient caractérisé la phase totémique de l'Égypte pharaonique.

La prise en compte des différentes dispositions matérielles de cette façade, assez complexe malgré son caractère compact, oblige à les énumérer de façons bien distinctes :

 1- les retombées du linteau haut de la façade se synchronisent pour retomber exactement sur le dessus de l'explosion en corolle des colonnes, lesquelles montent depuis le sol et donc depuis une direction incommensurable avec celle des retombées du linteau ;

 2- les épanouissements en corolle des chapiteaux se synchronisent pour se produire au même rythme, bien qu'ils ne s'épanouissent pas tous de la même façon, certains en forme de cône et d'autres en forme tardivement arrondie, et bien que ces deux façons de s'épanouir correspondent à des formes générées de façons incommensurables entre elles et également incommensurables avec la stricte évolution verticale des colonnes et des retombées du linteau ;

 3- les murs bahut séparés les uns des autres par les colonnes se synchronisent pour arrêter leur ascension exactement à la même hauteur, c'est-à-dire selon une ligne horizontale qui est incommensurable avec la direction verticale de leur ascension :

 4- les deux massifs séparés qui forment ensemble une sorte de portail dans l'axe de la façade se synchronisent pour effectuer en parfaite symétrie le coude qui les rapproche l'un de l'autre en partie haute, cela bien que leurs montées parallèles rendent incommensurable le moment de leur inflexion, et bien que les sens croisés de leurs parcours de rapprochement horizontaux soient également incommensurables entre eux :

 5- enfin, le large arrondi creux de la gorge égyptienne qui borde le haut de la façade se synchronise pour longuement accompagner le petit boudin en relief arrondi dont la génération de sa forme est nécessairement incommensurable avec la sienne, et ce petit boudin à son tour, en redescendant verticalement, se synchronise exactement avec les deux arêtes verticales latérales de la façade, bien que la génération linéaire de sa forme soit incommensurable avec celle de ces arêtes qui, pour leur part, résultent de l'intersection de deux plans de façade.

 

De son côté, notre esprit est sensible au fait que les dispositions matérielles synchronisées/incom-mensurables que l'on vient de décrire correspondent également à des effets de continu/coupé :

 1- les colonnes se continuent dans les retombées du linteau supérieur de la façade, mais les sens respectifs de ces évolutions croisées sont nécessairement coupés les uns des autres ;

 2- l'épanouissement en corolle des chapiteaux forme une coupure bien visible dans la continuité des colonnes et des retombées du linteau haut de la façade ;

 3- la frise qui souligne la continuité horizontale de l'arrêt de la montée des différents murs bahut en leur partie haute forme une ligne continue interrompue, et donc coupée, à l'endroit de chacune des colonnes ;

 4- les reliefs de chacune des deux moitiés du portail central forment un motif vertical qui se continue horizontalement après la coupure d'un coude à angle droit, et les deux étages successifs de ces reliefs, dans leur partie horizontale, forment des lignes continues franchement coupées par un grand vide dans leur partie centrale ;

 5- enfin, la gorge égyptienne creuse et le petit boudin qui l'accompagne à son dessous sont clairement coupés l'une de l'autre mais forment ensemble un motif continu, puis ce petit boudin se continue en redescendant de chaque côté de la façade après la coupure de son trajet par un angle droit.

 

Ces dispositions sont également utilisées par l'effet de même/différent qui rend compte de la relation entre les deux notions :

 1- la continuité de la façade est obtenue par la combinaison dans une même forme matérielle de deux dispositifs que notre esprit repère différents, d'une part les colonnes qui s'épanouissent en chapiteaux papyriformes, d'autre part un grand linteau portant une gorge égyptienne qui retombe à intervalles réguliers sur le dessus de ces colonnes et qui retombe jusqu'au sol à chacune des deux extrémités de la façade ;

 2- chaque colonne inclut dans une même forme globale matérielle deux parties que notre esprit repère très différentes entre elles, son fût et son chapiteau ;

 3- une même continuité matérielle ferme la partie basse de la façade grâce à la répétition de différentes fois une même forme de mur bahut et grâce à la présence complémentaire du fût des colonnes que notre esprit repère comme constituant des entités différentes de celles des murs bahut ;

 4- notre esprit lit que forment un même portail central deux différentes parties matériellement séparées, et d'ailleurs matériellement différentes puisqu'elles sont orientées vers des directions inverses ;

 5- enfin, le motif qui couronne la façade inclut dans une même forme matérielle deux parties dont notre esprit repère que leurs aspects sont très différents, la gorge égyptienne et le petit boudin arrondi qui souligne le bas de cette gorge.

 

L'effet de même/différent est aussi celui qui apparaît d'emblée. À ce que l'on vient d'en dire, on peut ajouter l'alternance des chapiteaux qui fait que l'on a sur chaque colonne un même dispositif de chapiteaux papyriformes mais que deux chapiteaux voisins sont toujours différents. Au passage, on signale que l'un de ces types de chapiteaux est similaire à celui du kiosque dit de Trajan analysé au chapitre concernant la sculpture.

La forme se répand par un effet d'intérieur/extérieur qui est en partie lié au caractère très ouvert, et donc très branché sur l'extérieur, de cette forme globalement fermée, mais surtout à l'imbrication l'une dans l'autre de la série des colonnes et de la série des tronçons de mur bahut, de telle sorte que de chacune de ces deux séries on peut dire qu'elle est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'autre. La forme s'organise par un effet d'un/multiple qu'il n'est pas besoin d'expliciter tellement il se confond ici à celui de même/différent. Ces trois effets sont résumés par celui de regroupement réussi/raté : on réussit le regroupement visuel de la série des colonnes mais la différence de leurs chapiteaux fait échouer ce regroupement ; on réussit à lire le regroupement en continuité visuelle des colonnes et des retombées verticales du linteau de la façade mais la coupure produite par l'épanouissement des chapiteaux fait rater ce regroupement ; on réussit le regroupement visuel dans un même plan de tous les tronçons de mur bahut mais ce regroupement échoue du fait des colonnes qui les séparent ; on réussit le regroupement visuel en un même portail des deux moitiés de portail séparées de part et d'autre de l'axe central mais la grande fracture vide qui les sépare fait échouer ce regroupement ; enfin, la permanence de leur accompagnement nous fait regrouper visuellement la forme de la gorge creuse égyptienne à celle du petit boudin arrondi qui souligne son dessous, mais leur différence de dimension et de sens d'enroulement fait rater leur regroupement.

 

 

 


La façade du temple d'Hathor à Dendérah (vers 57 avant notre ère à 68 de notre ère)

 

Source de l'image : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dendera_7_977.PNG

 

 

Très semblable à la salle hypostyle du temple d'Edfou, le temple d'Hathor à Dendérah. Leur différence concerne seulement les chapiteaux et la façon dont le linteau de la façade redescend sur ces chapiteaux. Au chapitre consacré à la sculpture, on a déjà envisagé ces chapiteaux dont les quatre faces reprennent à l'identique le même visage de la déesse Hathor.

Comme aux étapes précédentes, dans ces deux exemples la matérialité du temple est à la fois très compacte et divisée en multiples parties bien distinctes, relevant ainsi du type 1/x, tandis que c'est notre esprit qui la décompose en 1+1 formes aux lectures très différentes comme le veut le caractère animiste de cette filière.

 

 

La cinquième et dernière étape de l'animisme couplé à Pétra :

 

 


Civilisation nabatéenne : façade de la Khazneh à Pétra (probablement 1er siècle avant notre ère)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/P%C3%A9tra

 

 

Pour la dernière étape de la phase animiste, on se rend à nouveau un peu à l'est du Nil pour envisager cette fois l'ensemble de la façade de la tombe intitulée la Khazneh à Pétra qui date probablement du premier siècle avant notre ère.

Verticalement et horizontalement, cette façade se présente matériellement comme une suite de coupures intervenant à l'intérieur d'une continuité bien marquée : coupure d'un haut entablement entre le rez-de-chaussée et l'étage, dans cet entablement coupure de l'avancée d'un fronton, au rez-de-chaussée suite continue de colonnes coupées les unes des autres, à l'étage plis successifs de la façade occasionnent autant de coupures successives dans sa continuité et dans celle de son fronton.

Prenant du recul par rapport à ces effets locaux de continu/coupé, dans ces mêmes formes notre esprit y repère pour sa part des effets de lié/indépendant : les deux niveaux de la façade, bien indépendants l'un de l'autre, sont liés l'un à l'autre par l'entablement qui les sépare ; le fronton central du rez-de-chaussée, bien que lisible de façon indépendante du fait du relief qu'il forme, est complètement lié à l'entablement contre lequel il est collé ; les colonnes du rez-de-chaussée très indépendantes les unes des autres sont liées ensemble par l'entablement qui les réunit, et cela vaut de la même façon pour les colonnes de l'étage ; les trois massifs saillants de l'étage, deux latéraux et l'urne circulaire centrale, bien que repérables indépendamment les uns des autres sont liés les uns aux autres en continu dans une suite de plis générant les creux qui les séparent.

Utilisant lui aussi les mêmes formes, l'effet d'intérieur/extérieur rend compte de la relation entre les deux notions : l'entablement horizontal qui sépare les étages se présente comme une forme matérielle fermée dont on ne voit donc que l'extérieur, tandis que chaque étage dispose de colonnes appliquées devant sa façade dont notre esprit lit les trajets verticaux qui sont l'occasion de générer des creux intérieurs entre colonnes ; du fronton en léger relief, et aussi des motifs en léger relief sur les colonnes des deux extrémités du rez-de-chaussée, on ne sait dire si l'on doit les considérer comme situés à l'intérieur de la masse matérielle de l'entablement ou si l'on doit suivre la lecture de notre esprit qui les considère plutôt extérieurs à lui et plaqués par-dessus lui ; les plis de la façade de l'étage forment évidemment une suite matérielle de volumes qui correspondent successivement à des pleins et à des vides, et donc à des volumes que notre esprit repère par leur extérieur puis des volumes que notre esprit repère par le creux intérieur qu'ils forment.

Si l'on considère maintenant la relation de la façade de ce tombeau à la paroi rocheuse dans laquelle elle s'intègre, on peut aussi en dire qu'elle génère une brutale coupure sculptée par l'homme dans la continuité matérielle de cette paroi, qu'elle apparaît pour notre esprit comme une forme sculptée indépendante complètement liée à la paroi dans laquelle elle a été creusée, et enfin que ce que notre esprit considère comme l'extérieur de la façade est à l'intérieur de la masse matérielle de la paroi rocheuse.

L'effet d'intérieur/extérieur est aussi celui qui doit nous apparaître d'emblée. On peut en souligner d'autres aspects : le large vestibule d'entrée est un lieu intérieur largement ouvert sur l'extérieur tandis que, à l'inverse, les creux qui séparent les trois massifs de l'étage sont des lieux extérieurs dont le confinement procure la qualité d'espaces intérieurs ; ainsi qu'on l'a envisagé dans le chapitre consacré à la sculpture, les personnages sur socle qui étaient sculptés devant les façades avaient leur extérieur situé à l'intérieur des niches que forment les colonnes et l'entablement qui les encadrent. La forme se répand par un effet d'un/multiple : cette façade d'allure unitaire est divisée en deux niveaux, et chaque niveau est divisé en de multiples colonnes pour ce qui concerne le niveau bas et en de multiples massifs verticaux encadrés de colonnes pour ce qui concerne l'étage. La forme s'organise par un effet de regroupement réussi/raté : le regroupement des colonnes du rez-de-chaussée est raté dans sa régularité par l'irrégularité de leurs entrecolonnements, il est aussi raté dans sa continuité par le fait que seules les quatre colonnes centrales sont reliées par un fronton tandis que les deux d'extrémité sont isolément reliées à une saillie locale de l'entablement. À l'étage, le ratage du regroupement dans une suite régulière des différents massifs saillants est dû au fait que seule celui du centre a une forme arrondie et que les deux motifs latéraux ont des pentes de toiture qui sont inverses l'une de l'autre. Enfin, ces trois effets sont résumés par un effet de fait/défait dont on n'évoquera que quelques aspects : la régularité assez homogène du rez-de-chaussée est défaite par les fortes hétérogénéités des formes de l'étage ; l'effet de verticalité produit par les colonnes des deux niveaux est défait par l'horizontalité des divers entablements ; la continuité horizontale des reliefs de l'entablement qui sépare les deux niveaux est défaite par la présence du triangle de son fronton ; la continuité horizontale de la corniche de l'étage parvient à se maintenir, mais elle est défaite par les plis de la façade et par la succession des formes orthogonales et arrondies, et elle est aussi défaite par les triangles à la pente variée de la toiture des massifs d'extrémité.

 

Comme aux étapes précédentes, l'unité massive et continue de cette façade vaut le type 1/x à sa matérialité, tandis que cette unité est décomposée par notre esprit en parties que notre esprit lit de façons différentes, par exemple comme des surfaces pour certaines, des bandes horizontales ou obliques pour d'autres, et des trajets verticaux pour ce qui concerne les colonnes. Cette lecture de 1+1 formes spécifiques n'empêche toutefois pas que, à cette dernière étape de l'animisme, on puisse regrouper visuellement toutes les colonnes des deux étages, regrouper visuellement toutes les surfaces d'arrière-plan, et aussi repérer les échos mutuels que se font tous les bandeaux et tous les frontons, de telle sorte qu'émerge pour notre esprit une lecture cohérente de la globalité de cette façade, une lecture dans laquelle les 1+1 lectures de formes spécifiques peut aussi bien se faire comme une lecture de x formes autonomes s'intégrant dans un ensemble unitaire, c'est-à-dire comme une lecture du type 1/x. Dans cette filière, la notion d'esprit a donc finalement rejoint celle de matière en tant que notion globale. Il reste cependant à mettre ces deux notions globales en relation, ce qui sera l'objet de la phase analogiste suivante.

 

 

 

 

17.4.  La Méso-Amérique pendant la phase animique :

 

Les datations concernant cette civilisation sont souvent très imprécises et l'état de conservation des bâtiments ne permet pas toujours de bien connaître leur état initial. Malgré ces inconvénients, il a semblé utile de proposer un schéma pour son évolution afin de proposer, à côté de la filière couplée égyptienne, une version additive de l'ontologie animiste.

Les deux pôles principaux de cette civilisation correspondent à l'aire mexicaine et à l'aire Maya. Il n'est pas certain qu'elles aient évolué au même rythme, ce qui peut justifier, outre l'imprécision signalée des dates, des recoupements temporels entre étapes successives.

 

Chronologie approximative de la Méso-Amérique animiste :

         au Mexique (pyramide de Cuicuilco), la première étape correspond à une période qui peut être estimée approximativement de 400 à 250 avant notre ère ;

         en territoire maya (pyramide E-VII sub d'Uaxactun), la deuxième étape correspond à une période qui peut être estimée approximativement de 200 avant notre ère à 250 de notre ère ;

         au Mexique (Teotihuacán), la troisième étape correspond à une période qui peut être estimée approximativement de 150 à 500 de notre ère ;

         en territoire maya (Palenque, Pietras Negras, Tikal, Copán), la quatrième étape correspond à une période qui peut être estimée approximativement de 600 à 800 de notre ère ;

         en territoire maya (style Puuc et style Chenes, Chichen Itzá) et au Mexique (Tula), la cinquième et dernière étape correspond à une période qui peut être estimée approximativement de 770 à 1200 de notre ère ([2]).

 

 

17.4.1.  Les cinq étapes de l'évolution de l'architecture dans l'ontologie animique additive de la Méso-Amérique :

 

La première étape de l'animisme additif au Mexique :

 

 


 


Pyramide de Cuicuilco, Mexique (VIe à IIIe siècle avant l'ère commune)

À droite : état actuel

Source de l'image : https://bramanswanderings.com/2013/09/22/cuicuilco/

Ci-dessus et à gauche, reconstitutions graphiques

Sources des images : https://i.pinimg.com/originals/fb/c1
/1a/fbc11a4db392025d02370d1d3fc549fd.jpg
  et
https://3dwarehouse.sketchup.com/model/a7c2ff45-4574-4fa5
-aeb5-0ce3ab48c592/Cuicuilco-Pyramid-Mexico?hl=en


 

Une pyramide à degrés est une forme dont on perçoit immédiatement son unité d'ensemble et sa division en multiples étages, ce qui correspond parfaitement à ce que l'on doit attendre d'une construction matérielle du type 1/x, et qui justifie que la Méso-Amérique aux nombreuses pyramides à degrés relève d'une filière animiste, laquelle implique que la notion de matière a acquis le caractère d'une notion globale du type 1/x à la fin de la phase totémique précédente.

La pyramide de Cuicuilco a été construite en plusieurs phases près de la ville actuelle de Mexico. Ses deux premiers degrés, dans leurs diamètres actuels, ont été édifiés au 6e ou 5e siècle avant notre ère. Les deux degrés supérieurs, dont la présence est essentielle pour lui donner sa forme pyramidale, ont été construits avant l'éruption d'un volcan, au 2e, voire au 3e siècle avant notre ère, ce qui a permis de conserver le monument dans son état d'alors, enseveli sous 5 à 8 m de lave.

Comme toutes les pyramides à degrés qui seront envisagées aux étapes suivantes, celle-ci correspond à une masse de matière compacte divisée en multiples étages, et donc à une matière du type 1/x. La rampe et les escaliers d'accès correspondent à un trajet qui est visiblement tracé par un esprit humain, et ce trajet est spécialement destiné à l'accès des êtres humains dotés d'un esprit vers la plate-forme sommitale sur laquelle est installé le temple qui leur est aussi spécialement destiné. La rampe, les escaliers et le temple correspondent donc à la notion d'esprit, et ensemble ils ne proposent pas de forme globale repérable, seulement l'addition de 1+1 tronçons de cheminement décalés les uns des autres +1 autel à l'air libre +1 ou plusieurs bâtiments dédiés au culte. Type 1/x pour la matière, type 1+1 pour ce qui relève de l'esprit, on est bien dans une filière animiste.

La notion de matière s'affirme par un volume matériel pyramidal centré tandis que la notion d'esprit s'affirme par un trajet linéaire qui ne tient pas compte de la forme pyramidale mais la dégrade quelque peu en l'entamant. Lorsque les deux notions sont couplées elles s'appuient sur les mêmes formes dont elles proposent des lectures différentes. Ici, elles s'appuient d'emblée sur des parties différentes de la forme et sont donc en situation additive l'une par rapport à l'autre. Certes, l'allure parfaitement circulaire de chaque tronçon de la pyramide relève aussi de la notion d'esprit puisqu'il signale que c'est un être doté d'un esprit qui est à l'origine de sa géométrie, mais l'allure de masse matérielle globale divisée en multiples parties n'est pas spécialement renforcée par cette régularité géométrique puisqu'elle aurait très bien pu se satisfaire d'une forme moins régulière.

 

Comme dans toutes les filières, à la première étape la notion de matière est portée par un effet de ça se suit/sans se suivre : les pentes coniques des divers degrés se suivent pour générer ensemble la forme pyramidale, mais elles ne se suivent pas puisqu'elles sont décalées par des terrasses horizontales et puisque de plus chacune se lit comme un enroulement horizontal alors que leur succession se lit dans un sens oblique qui est croisé avec celui de leur enroulement.

La notion d'esprit est portée par un effet d'homogène/hétérogène : de façon homogène la rampe et les différentes volées d'escalier génèrent un chemin d'accès jusqu'à la plate-forme sommitale, mais c'est au prix d'une excroissance initiale puis de saignées successives qui sont autant d'hétérogénéités qui dégradent la forme de la pyramide. Les différentes étapes que constituent la rampe et les volées d'emmarchements sont d'ailleurs hétérogènes entre elles puisqu'elles ont des aspects, des pentes et des longueurs différentes.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est celui d'intérieur/extérieur : la rampe d'accès est à l'extérieur de la masse de la pyramide tandis que les escaliers qui lui font suite se distinguent en se creusant à l'intérieur de cette masse. Par ailleurs, si le caractère géométrique bien circulaire de la pyramide qui relève de la notion d'esprit est rendu bien perceptible du fait de la présence des terrasses décaissées dans celle-ci, ces terrasses correspondent à des plates-formes en situation extérieure creusée à l'intérieur de la masse matérielle de la pyramide, à moins qu'on ne les considère comme des creux intérieurs déformant sur sa surface extérieure.

Afin de ne pas donner trop de longueur à ce chapitre, sauf exception les effets plastiques qui ne sont pas directement liés à l'évolution ontologique de l'étape en cours ne seront pas décrits. On peut se reporter aux chapitres précédents puisqu'ils sont identiques dans toutes les filières.

 

 

La deuxième étape de l'animisme additif en territoire maya :

 

 


 


 

Uaxactun, Guatemala : pyramide E-VII sub (vers – 200 à + 200), état actuel (ci-dessus) et reconstitutions

Sources des images : https://64.media.tumblr.com/8ee2693e71ecee0766206fd4b2f3fad6/tumblr_inline_oq88lpgDww1uns891_500.jpg, Maya dans la collection Architecture Mondiale de Taschen, et https://www.abebooks.com/Album-Maya-Architecture-Proskouriakoff-Tatiana-Norman/22812363037/bd#&gid=1&pid=4

 


 

La pyramide d'Uaxactun, connue sous la référence E-VII sub, a été construite à une date assez imprécise. Pour rester à l'intérieur de la fourchette suggérée par différentes sources, nous l'estimerons ici entre 200 avant notre ère et 200 de notre ère. Elle disposait très probablement d'un sanctuaire sommital à toit de chaume, non représenté sur la photographie et les images ci-jointes.

Sa masse porte évidemment la notion de matière, et la division de sa forme pyramidale en multiples étages et en multiples marches d'escalier correspond de façon très claire au type 1/x. De façon homogène, cette masse est divisée au moyen de retraits horizontaux, mais ces retraits sont hétérogènes entre eux puisque parfois de la largeur et de la hauteur d'une marche, parfois de la hauteur de trois marches, et concernant parfois la largeur d'un palier d'étage entier en étant alors subdivisés horizontalement en une bande en retrait et une bordure en saillie : la notion de matière est portée par l'effet d'homogène/hétérogène.

La géométrie quadri symétrique de cette pyramide relève de la notion d'esprit, mais celle-ci est principalement portée par les gros masques sculptés qui captent l'attention de notre esprit en bordure de l'escalier principal de chaque façade. Les escaliers relèvent aussi de la notion d'esprit puisqu'ils sont les endroits normalement accessibles aux humains dotés d'un esprit. Comme à l'étape précédente les parties qui portent la notion d'esprit sont différentes de celles qui relèvent de la notion de matière ou, comme dans le cas des escaliers, elles se réfèrent à des aspects différents de ceux utilisés par la notion de matière : l'intérêt d'usage pour ce qui concerne la notion d'esprit, la division de la masse qu'ils impliquent et leur taille variable pour ce qui concerne la notion de matière. Par différence avec la forme globale en pyramide qui porte la notion de matière, les aspects qui relèvent de la notion d'esprit ne forment pas ensemble un groupe bien repérable et ils s'ajoutent donc les uns aux autres en 1+1, ce qui confirme que l'on est dans une filière animiste. Sur chaque face de la pyramide les différents masques sont à la fois bien séparés les uns des autres et rassemblés en file les uns au-dessus des autres, sur chaque face les trois volées d'escaliers sont également bien séparées horizontalement mais rassemblées dans un même effet d'emmarchement et sur des alignements horizontaux, quant aux escaliers principaux au centre de chacune des faces de la pyramide, ils sont bien séparés les uns des autres mais tous rassemblées avec la plate-forme du sommet à laquelle ils conduisent : l'effet de rassemblé/séparé porte la notion d'esprit.

À la deuxième étape, l'effet qui met en relation les deux notions est celui de continu/coupé : la forme matérielle pyramidale continue est constamment coupée par des décalages entre étages ; les formes de masques qui captent l'intérêt de notre esprit forment des suites continues de masques coupés les uns des autres, tout comme les escaliers forment des suites continues de marches coupées les unes des autres, et davantage coupées les unes des autres à l'arrivée de chaque palier ; et pour finir, on peut dire que la forme matérielle pyramidale continue est constamment coupée horizontalement par la présence des dispositions qui attirent l'intérêt de notre esprit. Les deux notions partagent donc l'effet de continu/coupé en même temps qu'elles se confrontent au moyen de cet effet.

 

 

La troisième étape de l'animisme additif au Mexique :

 


Reconstitution graphique de la 2e phase de la place de la Lune à Teotihuacán, Mexique (vers 250 de l'ère commune)

 

Source de l'image :
https://www.artstation.com
/artwork/k4BYl0

 

 



 

Ci-dessus, état actuel de la place de la Lune à Teotihuacán

Source de l'image : https://museodelaxolote.org.mx/pl/sin-categoria-pl/the-axolotl-in-pre-hispanic-mythology-2/

 

En haut à droite, pyramides avec taluds et tableros le long de l'allée des Morts

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/en/Talud-tablero

 

Ci-contre, maquette de la Citadelle avec la pyramide de Quetzalcóatl à Teotihuacán (vers 250 de l'ère commune)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Teotihuacan


 

Au Mexique, la cité de Teotihuacán a commencé à s'établir vers + 100 et a été pillée et brûlée vers 550. L'essentiel de ses bâtiments monumentaux était en place dans leur état actuel vers 250, ce qui concerne notamment les pyramides entourant la place de la Lune. Nous envisagerons aussi le quadrilatère de la « Citadelle » dont la pyramide de Quetzalcóatl (pyramide du Serpent à Plumes) occupe le centre d'un côté.

Les pyramides qui relèvent de cette étape n'ont plus leurs flancs en simple pente ou formés de simples reculs verticaux, ils comportent désormais des parties en pente, dites « taluds », associées à des panneaux verticaux, dits « tableros ». Les tableros sont à cheval sur les pentes de la pyramide et chaque talud se laisse voir entre deux tableros. La masse compacte de chaque pyramide correspond toujours à la notion de matière et la combinaison de son caractère unitaire avec sa division bien nette en étages successifs correspond toujours au type 1/x. Comme les tableros sont bien décalés les uns des autres et en même temps rassemblés pour produire globalement la forme massive de la pyramide, c'est l'effet de rassemblé/séparé qui porte la notion de matière à cette étape.

Comme aux étapes précédentes, les escaliers correspondent à la notion d'esprit, parce qu'ils servent à l'accès des êtres dotés d'un esprit, parce que leur raideur géométrique suggère leur confection par un esprit humain, et parce qu'ils frappent l'esprit en tranchant visuellement avec le reste de la pyramide. Des aspects qui valent aussi pour les temples sommitaux qui se détachent nettement sur le fond du ciel et dont la forme est aussi très géométrique. La notion d'esprit est également portée par l'allure géométrique de l'organisation entre elles des pyramides, distribuées autour de places carrées ou le long de la très rectiligne allée des Morts qui démarre au débouché de la place de la Lune. Si l'écartement des masses pyramidales autour des places ou le long des alignements qui les rassemblent relève bien de l'effet de rassemblé/séparé portant la notion de matière, pour sa part la régularité comme miraculeuse de ces pyramides, de leurs écartements et de la forme très géométrique de leurs rassemblements, correspond à l'effet de synchronisé/incommensurable qui porte la notion d'esprit : l'effet de synchronisation va de soi du fait de toutes ces régularités, quant à l'effet d'incommensurabilité il provient de l'écartement mutuel des pyramides qui empêche que l'on puisse saisir comment elles parviennent à s'ajuster pour générer les formes géométriques de leurs rassemblements. Pour les escaliers d'accès, c'est la régularité de leurs pentes et la systématisation de leur position en façade des pyramides qui correspond à l'effet de synchronisation, et c'est le caractère oblique de leur direction et le fait qu'ils partent vers de multiples directions croisées qui correspondent à l'effet d'incommensurabilité.

Les deux notions étant en relation additive, la même disposition des pyramides, rassemblées et écartées les unes des autres, est utilisée de façons différentes par les deux notions : simplement pour leur caractère de rassemblement par la notion de matière, pour la régularité de leurs écartements et pour le caractère géométrique de la forme de leur rassemblement par la notion d'esprit. Ce qui vaut aussi pour les tableros : chacun forme une tranche matérielle séparée rassemblée avec la masse principale de la pyramide aux surfaces en pente, tandis que c'est leurs cassures verticales qui frappent l'esprit qui est sensible à la régularité synchronisée de leurs décrochements alors qu'ils sont écartés le long de la pente de la pyramide, donc en situations incommensurables les uns pour les autres.

À la troisième étape, la relation entre les deux notions est portée par un effet de lié/indépendant : dans chaque pyramide les décrochements des tableros captent l'attention de notre esprit tout en manifestant l'indépendance matérielle de chacun des étages liés à une même pente pyramidale ; autour des places et le long de l'allée des Morts, les pyramides forment des masses matérielles indépendantes qu'un esprit humain a certainement organisées pour qu'elles soient ainsi liées les unes aux autres par leur participation à de mêmes formes géométriques.

 

 

 

La quatrième étape de l'animisme additif en territoire maya :

 


 

Maya : Temple II de Tikal, Guatemala (VIIIe siècle) - État actuel et reconstitution graphique

Sources des images : https://g1llygg.files.wordpress.com/2010/09/17c_tikal_-temploii_001a.jpg  et  https://www.artstation.com/artwork/QzBJl4


 

Le temple II de Tikal, au Guatemala, date du VIIIe siècle. Comme aux étapes précédentes, la notion de matière est portée par la masse de son volume pyramidal dont l'unité globale est bien perceptible tout comme sa division en étages successifs en retrait les uns sur les autres, ce qui relève donc du type 1/x. Grâce à son énorme crête, le temple du haut est complètement intégré dans la masse de la pyramide et joue ainsi un rôle important dans l'effet de synchronisé/incommensurable qui porte à cette étape la notion de matière : la synchronisation correspond à la façon dont toutes les masses matérielles s'accordent pour générer ensemble une forme pyramidale presque complète – à la différence des pyramides des étapes précédentes que leur plate-forme supérieure tronquait prématurément –, tandis que l'incommensurabilité correspond au fait que cette masse matérielle est obtenue par l'addition de formes qui se développent de façons très étrangères, et donc incompatibles entre elles, puisque la base de la pyramide est formée d'étages horizontaux entamés dans les angles par des plis quasi verticaux, et puisque le temple du haut forme une masse parallélépipédique qui s'étale horizontalement tandis que sa crête forme une flèche d'épaisseur très mince qui monte verticalement.

Cette fois encore, la notion d'esprit a à voir avec l'escalier axial : il permet l'accès des humains dotés d'un esprit, et ses emmarchements sont à échelle humaine tandis que la hauteur de chaque étage est trop grande pour être franchie d'un coup. Parce qu'elle est vivement décorée, la crête du temple tout comme la frise de son fronton font partie des formes qui captivent notre esprit. On peut y ajouter les redents verticaux qui cassent très bizarrement chaque angle de la pyramide et qui captent pour cela notre attention. L'effet d'escalier régulier, celui de décoration sommitale et celui d'étrange brisure des angles de la pyramide ne se regroupent pas dans une forme d'ensemble lisible, ils s'ajoutent en 1+1. À la quatrième étape, la notion d'esprit est portée par un effet de continu/coupé qui correspond aux particularités de chacune des trois formes que l'on vient d'énumérer : l'escalier forme une suite continue de marches coupées les unes des autres par des décrochements dans la profondeur ; la décoration de la crête sommitale et celle du fronton du temple forment une suite continue de décoration mais sont coupées l'une de l'autre, et chacune est d'ailleurs formée d'une suite continue de décors coupés visuellement les uns des autres par des modifications de couleur ; enfin, les brisures des angles des étages correspondent à des coupures formant des plis qui n'empêchent pas la continuité matérielle de la surface des étages. Puisque les effets correspondant à la notion d'esprit sont bien distincts de ceux correspondant à la notion de matière, on a toujours affaire à des notions en situation additive et non pas couplées.

La relation entre les notions est portée par un effet de même/différent : une même forme pyramidale est obtenue par la conjonction de différentes formes élémentaires différentes entre elles, à savoir différents étages horizontaux superposés, un temple horizontal et sa crête verticale, un escalier monumental, diverses décorations et des systèmes de brisures dans les angles. Cet effet revient donc à mettre ensemble ce qui fait effet de masse matérielle et ce qui attire l'attention de notre esprit, ce qui fait d'ailleurs profiter ces derniers aspects de l'unité globale que possède déjà la notion de matière : on approche de l'étape qui verra la notion d'esprit acquérir pleinement et pour elle-même ce caractère unitaire.

Au passage, on remarque aussi que l'organisation d'ensemble des diverses pyramides de Tikal ne présente pas la régularité observée à l'étape précédente à Teotihuacán, ce qui vaut en fait pour toutes les cités mayas de l'époque. Cela valide la pertinence de l'effet de synchronisé/incommensurable pour représenter la notion d'esprit à l'étape précédente, c'est-à-dire pour rendre compte de l'organisation de la cité par les esprits humains.

 

Pour cette quatrième étape et la suivante, nous serons plus complets en envisageant également les effets qui ne relèvent pas directement de l'évolution ontologique propre à l'étape. Celui qui apparaît d'emblée est le même/différent, déjà évoqué. La forme se répand par un effet d'intérieur/extérieur : la forme générale de la pyramide se décompose en étages dont les terrasses introduisent de l'espace extérieur à l'intérieur de la masse pyramidale, spécialement bien sûr pour le niveau de la terrasse qui précède le temple sommital, tandis que dans les brisures des angles l'extérieur de chaque repli se retrouve à l'intérieur du coin formé par les parties voisines. La forme s'organise par des effets d'un/multiple qu'il ne semble pas utile de détailler. Ces trois effets sont résumés par un effet de regroupement réussi/raté : le regroupement dans une forme pyramidale de la masse construite est réussi, mais l'escalier axial échappe quelque peu à ce regroupement, de même que les angles des étages du fait de leurs brisures, de même que le temple sommital du fait de la brusquerie de son retrait, et de même enfin que sa crête du fait de son aplatissement brutal en fine lame, pas assez pointue en largeur pour bien épouser la forme pyramidale et trop plate pour bien se raccorder visuellement à la pente des gradins.

 

 

La cinquième et dernière étape de l'animisme additif en territoire maya :

 


 

Maya : Uxmal, État du Yucatán – reconstitution et état actuel du Palais du Gouverneur (fin IXe)

Sources des images : http://www.rssm.de/uxmal/uxmal/governors_palace.htm et https://jonistravelling.com/uxmal-must-see-maya-ruins-yucatan-mexico/


 

En pays maya, la quatrième étape correspond notamment au style Puuc qui s'est développé approximativement pendant le IXe siècle. Comme exemple, le bâtiment que les archéologues ont pris l'habitude d'appeler le Palais du Gouverneur, à Uxmal dans l'État du Yucatán. Il est daté de la fin du IXe siècle.

Cette très longue construction rectiligne possède un soubassement en gradins successifs franchis par un escalier central. Juché sur ce soubassement, le bâtiment est marqué par deux profondes entailles et coiffé d'une frise décorative complexe aux reliefs prononcés, laquelle est bordée en bas et en haut par des surfaces lisses établies en biais.

La notion de matière est portée par le soubassement massif en gradins et par l'aspect également massif du bâtiment posé sur le haut de ces gradins. Quant à elle, la notion d'esprit est portée par l'escalier servant d'accès aux humains dotés d'un esprit, et surtout par la frise coiffant le bâtiment qui captive notre esprit par sa complexité. Cette frise apparaît comme une bande décorative appliquée par-dessus la masse du bâtiment, tout comme l'escalier apparaît rajouté par-devant le soubassement pour permettre son franchissement, ce qui correspond à une relation additive entre la notion de matière et celle d'esprit.

Globalement, la masse matérielle de la construction forme un bloc unitaire clairement divisé verticalement et horizontalement en plusieurs parties visuellement indépendantes, ce qui relève du type 1/x. La frise haute subit les discontinuités que lui imposent les coupures de la masse du bâtiment et ne génère aucune forme commune avec les marches de l'escalier : les formes qui portent la notion d'esprit apparaissent donc en 1+1 endroits dissociés les uns des autres. Toutefois, les trois parties discontinues de la frise haute peuvent aussi bien se lire comme autant de divisions d'un même fronton décoratif horizontal, et la symétrie d'ensemble du bâtiment permet de ressentir que l'escalier et la frise décorative participent ensemble à cet effet de symétrie. Ces deux formes qui portent la notion d'esprit sont donc liés l'une à l'autre dans le cadre d'une lecture 1/x alternative, si bien qu'à cette dernière étape, et très normalement, les aspects qui portent la notion d'esprit peuvent à la fois se lire en 1+1 et en 1/x.

 

À la cinquième étape, la notion de matière est portée par un effet de continu/coupé : le soubassement forme une masse presque continue coupée verticalement par des gradins à peine décalés les uns des autres ; le bâtiment forme un long alignement horizontal coupé en trois parties par de profondes saignées verticales ; la partie basse de chacun de ses tronçons forme une maçonnerie continue coupée par le trou des portes ; le front vertical continu de chaque tronçon est découpé en une partie basse à la maçonnerie lisse et un fronton très sculpté par ses décorations ; ces deux surfaces sont coupées l'une de l'autre par une lisse formée de deux biais inversés et le haut du bâtiment est brusquement coupé par un autre biais très affirmé.

La notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant : il vaut pour l'indépendance bien nette du volume de l'escalier pourtant bien lié au soubassement du bâtiment, et il vaut aussi pour le graphisme de la frise décorative du fronton qui accumule différents motifs très indépendants les uns des autres mais qui sont liés les uns aux autres par leurs complexes enchevêtrements.

À la dernière étape les deux notions s'affirment encore de façons très autonomes, elles sont donc toujours en situation additive.

La relation entre elles est portée par un effet d'intérieur/extérieur : les profondes saignées verticales qui tronçonnent le bâtiment font rentrer l'extérieur à l'intérieur de sa matière et de la frise du fronton qui captive notre esprit. À l'étape précédente, on avait vu que l'effet rendant compte de la relation entre les deux notions montrait que la notion de matière commençait à faire partager son caractère unitaire du type 1/x à la notion d'esprit, à la dernière étape on voit que la notion de matière et celle d'esprit s'accompagnent maintenant strictement pour permettre une lecture en 1/x du fronton.

 

L'effet qui apparaît d'emblée est celui d'intérieur/extérieur que l'on vient d'envisager. On peut y ajouter que l'escalier qui capte l'attention de l'esprit est simultanément ressenti à l'intérieur du monument et à l'extérieur de son soubassement, tandis que simultanément on perçoit que l'extérieur du soubassement passe localement à l'intérieur de la masse de l'escalier. On peut aussi relever que l'extérieur de chacun des divers degrés du soubassement est bien repérable à l'intérieur de l'ensemble de leur massif.

La forme se répand par des effets d'un/multiple évidents qu'il n'est pas utile de détailler.

La forme s'organise par un effet de rassemblement réussi/raté : la frise décorative du fronton apparaît bien rassemblée dans l'effet global de masse construite, mais ce rassemblement est raté du fait de la complexité de sa texture sculptée qui tranche avec la simplicité des formes du reste de la construction ; l'escalier d'accès apparaît lui aussi rassemblé avec le reste du bâtiment pour ce qui concerne l'effet de masse construite, mais ce rassemblement échoue puisque l'escalier est devant le soubassement, et donc quelque peu détaché de lui.

Ces trois effets sont résumés par celui de fait/défait : la riche complexité de la frise du fronton défait la simplicité nue du reste du bâtiment, et à l'intérieur de cette frise les différents motifs qui y sont faits se défont mutuellement par leurs entrecroisements et leurs superpositions partielles. Pour ce qui concerne les spirales de la frise, celles-ci sont bien faites à l'endroit de leur enroulement maximum et totalement défaites dans la partie externe de cet enroulement, lorsqu'elles butent sur le motif des alignements diagonaux de pierres carrées. Les bordures hautes et basses de cette frise, du fait de leur aspect lisse et constamment régulier, défont l'effet de complexité que procure cette frise.

 

 



 

Maya-Toltèque : El Castillo de Chichén Itzá, État du Yucatán (fin XIe ou début XIIe) – état actuel et reconstitution    Sources des images : inconnues

 

Pour compléter cette dernière étape, une pyramide plus tardive, usuellement dénommée El Castillo, construite vers l'an 1200 dans la cité de Chichén Itzá, toujours dans l'État du Yucatán, à une époque où s'y développait une civilisation dite maya-toltèque.

Comme plusieurs pyramides de Chichén Itzá, celle-ci se caractérise par une quadruple symétrie : l'axe de chaque face est occupé par un escalier bordé de deux limons rectilignes, et l'axe central de la pyramide est occupé par un bâtiment sommital carré aux côtés identiques, du moins si l'on excepte quelques différences pour ce qui concerne les ouvertures.

Là encore, la notion de matière est apportée par la masse matérielle de la pyramide à l'unité globale bien lisible qui se divise clairement en quatre côtés et en multiples retraits d'étage : type 1/x.

La notion d'esprit est portée par les escaliers empruntés par les humains dotés d'un esprit et dont les lignes filantes des limons droits attirent l'attention de l'esprit par leur dynamisme visuel qui tranche avec la lente succession des étages de la masse de la pyramide. Elle est aussi portée par la répétition régulière des espèces de bavettes en relief qui occupent tout le développement horizontal de chaque étage, par le bâtiment sommital dont on voit bien qu'il est destiné à l'usage de personnes humaines dotées d'un esprit, et par les bandes horizontales qui bordent ses quatre frontons en attirant l'attention de notre esprit par leur simplicité et leur dynamisme visuel faisant concurrence avec les lignes des limons d'escaliers avec lesquelles elles se croisent. Globalement, ces formes qui portent la notion d'esprit ne génèrent aucune forme autonome lisible, elles s'ajoutent en 1+1 les unes aux autres. Toutefois, parce qu'elles sont portées par la masse 1/x de la pyramide, on ne peut manquer de lire leur organisation d'ensemble en quadruple symétrie, et donc de lire qu'elles sont également organisées dans une disposition d'ensemble divisible en quatre quartiers, c'est-à-dire dans une forme de type 1/x comme on devait s'y attendre pour la dernière étape.

Les deux notions étant portées par des formes différentes, elles sont en situation additive.

La notion de matière s'exprime par un effet de continu/coupé qui est clairement obtenu par la disposition de la masse de la pyramide en une suite continue de talus décalés, donc coupés les uns des autres, et par la continuité de sa surface découpée en quatre faces. Il est à remarquer, et cela valait déjà pour le Palais du Gouverneur d'Uxmal, que les divers talus successifs ont leur façade en pente et que les retraits de l'un à l'autre sont assez modestes, ce qui permet de donner force à la lecture de l'effet de continuité et qui n'était pas le cas pour les pyramides des étapes précédentes.

La notion d'esprit s'exprime par un effet de lié/indépendant : toutes les formes que l'on a évoquées concernant cette notion sont isolées les unes des autres, et donc indépendantes les unes des autres, mais toutes sont liées à la masse de la pyramide qui les porte. Dans le cas des bavettes qui pendent depuis le haut de chaque talus, on peut considérer l'indépendance de chaque ligne de bavettes, mais aussi l'indépendance de chaque bavette qui, en partie haute, se relie aux autres par une bande continue.

La relation entre les deux notions est portée par un effet d'intérieur/extérieur : chacune des dispositions portant la notion d'esprit est ressentie à l'intérieur de la pyramide, mais aussi perçue comme plaquée par-dessus sa masse pyramidale, et donc comme à son extérieur, au minimum par-dessus sa surface extérieure pour ce qui concerne les bavettes des talus.

 

L'effet qui nous apparaît d'emblée est celui d'intérieur/extérieur que l'on vient d'envisager. On peut y ajouter que le temple sommital dispose autour de lui d'une plate-forme horizontale clairement en situation extérieure bien que comprise à l'intérieur du volume pyramidal.

La forme se répand par un effet d'un/multiple : la pyramide dont l'unité est bien affirmée se divise en quatre faces semblables comprenant chacune de multiples talus décalés les uns des autres, et elle rassemble de multiples escaliers semblables et une multitude de bavettes accrochées à ses talus.

La forme s'organise par un effet de regroupement réussi/raté : les escaliers sont regroupés avec le volume principal de la pyramide, mais ce regroupement est raté car ils restent en relief sur les talus ; le volume du temple sommital est regroupé avec le volume général de la pyramide mais ce regroupement est raté à cause de sa forme qui tranche trop avec l'étagement pyramidal des talus, et aussi à cause des lignes horizontales de ses frontons qui tranchent trop avec les lignes obliques des limons d'escaliers qui les croisent ; sur les talus, les bavettes sont regroupées dans des alignements horizontaux continus, mais l'homogénéité de ce regroupement est ratée du fait des bavettes situées sur les arêtes de la pyramide qui n'ont pas la même largeur que les autres.

L'effet qui résume les précédents est celui de fait/défait. Il résulte principalement du croisement des divers registres de formes : les rampes d'escalier défont les lignes horizontales des talus en les traversant perpendiculairement et en les cachant au passage ; les bandes horizontales du fronton du bâtiment sommital conduisent le regard vers les quatre coins de l'horizon, ce qui défait la concentration du regard vers le sommet de la pyramide que produit son rétrécissement régulier, et on peut ajouter que la planéité des talus obliques est défaite par la présence des bavettes en relief qui marquent leurs surfaces.

 

 

 

17.4.2.  Les dernières étapes de l'évolution des arts plastiques dans l'ontologie animique additive de la Méso-Amérique :

 

Nous passerons sur les deux premières étapes pour envisager principalement, en commençant donc par la troisième étape, la représentation conventionnelle des monarques chez les Mayas.

 

La troisième étape de l'animisme additif en territoire maya :

 

 



 

À gauche, relevé du verso de la plaque dite de Leyde – Maya (320 de notre ère)

Source de l'image : http://research.famsi.org/montgomery_list.php?rowstart=60&search=Tikal&num_pages=5&title=Montgomery%20Drawing%20Collection&tab=montgomery

 

Cidessus, statue-cube d'Ouahibrê, gouverneur de Haute-Égypte (vers 550 à 525 avant notre ère – fin de la XXVIe dynastie)

Source de l'image : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010018089  

 

 

Pour cette étape, un roi dont le nom est peut-être « Lune-Oiseau », tel qu'il est représenté sur le recto de la plaque de jade dite « plaque de Leyde ». Son verso porte la date de son accession au trône qui correspond à l'année 320 de notre ère.

Ce personnage doté d'un esprit, complètement prisonnier à l'intérieur d'un amoncellement d'objets matériels, peut être considéré comme un équivalent des statues-cubes de l'Égypte pharaonique dont on a vu un exemple pour la première étape de la phase animiste et dont on avait vu d'autres exemples pendant la phase totémique. Ce personnage est complètement pris en effet dans des artefacts matériels, tout comme les personnages des statues-cubes sont pris dans leur cube de matière. Comme pour eux, la présence de cette matière qui les emprisonne conditionne leur apparence et révèle que dans ces deux filières la matière possède une force prédominante que lui procure le caractère animiste de leurs ontologies. Par contre, autant le caractère couplé des deux notions dans la filière égyptienne empêchait que le corps du personnage soit dissociable de la matière du cube qui l'emprisonnait, autant le caractère additif de leur relation permet cette fois de repérer les différentes parties du personnage séparément de tout l'attirail qu'il porte sur lui.

Certes, le personnage est morcelé : un visage par-ci, deux mains adossées par là, des bouts de bras un peu plus loin, une fesse, des morceaux de fesse, de jambes et de pieds encore un peu plus loin, mais c'est là la rançon de l'étape ontologique qui fait que ce qui relève de l'esprit n'a pas encore acquis son unité globale. Le personnage d'une statue-cube égyptienne ne peut pas non plus se percevoir en entier d'un seul coup, il nous faut le recomposer à partir des 1+1 divers morceaux séparés que la forme de cube veut bien nous laisser deviner.

Certes aussi, tout cet attirail que porte le roi n'est pas purement matériel : il serre entre ses bras un sceptre dont les deux extrémités correspondent à des dieux, la tête de jaguar qu'il porte comme coiffure à elle aussi une signification religieuse, tout comme le « dieu bouffon » au sommet de sa coiffure. Toutefois, même si tout ce qu'il porte sur lui évoque des esprits de la nature, et même si le sacrifié gisant à ses pieds doit être interprété dans un sens religieux, il n'en reste pas moins que, globalement, il y a là un être doté d'un esprit qui est engoncé dans une multitude d'artefacts matériels qui lui servent d'habit, de coiffure, de ceinture et de chaussures.

Cette multitude de détails matériels accumulés l'enveloppe dans un « paquet » continu qui est divisé de façon assez homogène en multiples parties bien distinctes, ce qui relève du type 1/x. Par différence, le personnage doté d'un esprit ne forme pas une unité continue que l'on peut percevoir, seulement imaginer, ses différentes parties visibles s'ajoutant seulement l'une à l'autre en 1+1.

À la troisième étape, la notion de matière est portée par un effet de rassemblé/séparé : globalement, ce grand paquet matériel rassemble une multitude de détails séparés, et à l'intérieur de ce paquet s'observent de multiples effets de rassemblement. Ainsi, il n'est qu'à considérer comment sur son pied en position arrière se rassemblent les uns au-dessus des autres divers liens bien séparés les uns des autres, ou considérer le rassemblement de deux espèces de clochettes séparées fixées au nez de la tête de jaguar, et celles fixées sous le nez du roi lui-même, ou considérer les sonnailles rassemblées sous une tête à l'avant et à l'arrière du bassin du roi, etc.

La notion d'esprit est portée par un effet de synchronisé/incommensurable : principalement, il correspond à la surprise de notre esprit lorsqu'il constate que des alignements correspondent à la synchronisation, en général verticale, de formes qui se développent horizontalement, indépendamment les unes des autres et n'ayant donc aucune raison de s'accorder pour se trouver ainsi sur une même verticale. Ainsi, si l'on considère les formes qui sortent de la gueule du serpent à l'extrémité droite du sceptre que le roi tient dans ses bras, on trouve de haut en bas l'alignement d'une sorte de chapeau avec une croix qui signale probablement qu'il s'agit d'un dieu solaire, juste au-dessous la tête de ce dieu solaire, encore au-dessous la main de ce dieu solaire, encore au-dessous l'extrémité d'une espèce de tête de serpent, encore au-dessous une tête sous laquelle sont accrochées des sonnailles, encore au-dessous une boucle accrochée au roi, peut-être par l'intermédiaire d'une sangle, puis une espèce de pendeloque accrochée au-dessous de cette boucle. Autre exemple, les couples de petites boules et les nœuds des lacets des chaussures du roi qui se superposent impeccablement. Autre exemple encore, les diverses clochettes qui s'alignent en partie haute en suivant une large courbe et proviennent d'accroches incommensurables entre elles qui sont successivement : le nez de la tête de jaguar, la longue bande tordue située juste au-dessus de cette tête de jaguar, les divers bonnets de la tête du dieu bouffon située encore au-dessus.

La relation entre les deux notions est portée par un effet de lié/indépendant : ce dessin fourmille de détails qui s'affirment comme des formes indépendantes attirant l'attention de notre esprit et qui sont complètement liées les unes aux autres dans cet amas matériel qui remplit l'essentiel de la représentation.

 

 

La quatrième étape de l'animisme additif en territoire maya :

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Stèle B de Copán de 732 (le roi 18-Lapins) – dessin aquarellé de Maudslay et photographie

Sources des images : Les cités perdues des Mayas, éditions Découvertes Gallimard et  https://mapio.net/pic/p-17067887/


 

Le souverain engoncé à l'intérieur d'un amas matériel est une représentation récurrente en territoire maya. Le roi « 18 Lapins » de la cité de Copán a fait ériger plusieurs stèles à son effigie lors de son règne qui dura de 695 à 738. Sur celle-ci, dite Stèle B, il apparaît en exécutant du dieu Chac, se tenant devant le portail des enfers représenté par la gueule béante d'un monstre dont le mufle s'élève au-dessus de sa tête, flanqué de deux têtes d'ara, et dont les dents inférieures sont visibles de chaque côté de ses pieds. C'est du moins ainsi que les spécialistes décomposent cette sculpture.

Par rapport à la représentation de la plaque de Leyde, le corps de souverain, cette fois de face, se distingue beaucoup mieux, étant moins camouflé à l'intérieur de l'amas matériel qui l'enveloppe. Il porte toujours dans ses bras un sceptre avec une gueule de serpent grande ouverte à chacune de ses extrémités et avec une tête de Dieu sortant de chacune de ces gueules. Du maïs a commencé à germer autour du corps et de la tête du roi, cette plante ajoutant donc ici sa matérialité à celle de l'équipement porté par le roi pour enfermer cet être doté d'un esprit dans une sorte de prison matérielle.

Comme à l'étape précédente l'amoncellement matériel qui l'enveloppe forme une continuité divisée en multiples parties bien distinctes qui relève du type 1/x, et cet être doté d'un esprit n'est toujours pas visible en unité continue, ses différentes parties s'ajoutant les unes aux autres en 1+1 parties séparées par des éléments matériels. L'unité du personnage est malgré tout fortement suggérée, ce qui correspond au fait que l'on s'approche de la dernière étape.

À la quatrième étape, la notion de matière est portée par un effet de synchronisé/incommen-surable : les différents éléments matériels se synchronisent pour générer une continuité homogène, et cela malgré leurs natures incommensurables puisqu'on y trouve aussi bien des objets d'habillement que des représentations de dieux, de végétations, de monstres, et ce qui semble être des têtes humaines réduites accrochées sur sa ceinture.

La notion d'esprit est portée par un effet de continu/coupé : même si les différentes parties du roi ne sont pas réellement continues, sa présence complète est suffisamment suggérée pour qu'on devine sa continuité malgré les différents éléments d'habillement, de sceptre et de décoration qui le découpent en morceaux séparés. Comme ce type de représentation est très codifié on retrouve quelques-uns des alignements improbables constatés à l'étape précédente, mais outre qu'ils sont moins nombreux, leurs décalages sur des plans différents de la profondeur les rendent assez négligeables du point de vue de l'effet produit.

La relation entre les deux notions est portée par un effet de même/différent : le personnage doté d'un esprit et tous les éléments matériels qui l'enveloppent forment ensemble un seul et même bloc à la forme globale aisément lisible, et à l'intérieur de ce bloc ils sont repérables comme des réalités rassemblées mais aussi différentes. Différentes de par leur nature, mais aussi différentes de par leur aspect, car le personnage est constitué de formes aux surfaces beaucoup plus lisses que celles du harnachement matériel qui l'emprisonne.

 

 

La cinquième et dernière étape de l'animisme additif en territoire maya :

 

 


La stèle C de Quirigua, datée de 775

 

Source de l'image : Maya dans la collection Architecture Mondiale de Taschen,

 

 

La stèle C de Quirigua, datée de 775, a été érigée pour un roi dont le nom n'est pas connu mais dont on sait qu'il a fait prisonnier le roi de Copán. On est au tout début de la dernière étape de la phase animiste de la Méso-Amérique. Comme dans la stèle précédente, le roi est représenté de face et pris à l'intérieur d'un ensemble de harnachements matériels, mais il semble davantage prisonnier du parallélépipède en pierre qui constitue sa stèle. D'une certaine façon, il est plus proche que les deux représentations précédentes de la situation du personnage égyptien pris à l'intérieur d'une statue-cube et que l'on pourrait appeler ici une statue- parallélépipède.

Seule sa tête et sa coiffure sont ici dotées d'un volume, le reste de son corps étant comme plaqué sur la surface plane de la stèle. Cette bizarreté de la division du roi en deux parties étrangères l'une pour l'autre implique qu'elles s'ajoutent en 1+1, mais elle permet aussi de ressentir que son corps est nettement séparé en deux parties distinctes alors que son unité d'ensemble est parfaitement perceptible, ce qui correspond à une lecture en 1/x simultanée, comme cela est requis pour ce qui relève de la notion d'esprit à la dernière étape de la phase animiste.

Quant à la matérialité de la stèle dans laquelle le roi est enfermé, son unité plastique et sa division en multiples parties sont tous les deux bien affirmées, et donc son type 1/x, notamment à cause de sa forme presque strictement parallélépipédique et à cause de la division de ses surfaces latérales et de sa surface arrière en carrés correspondant chacun à un bloc glyphique bien isolé de ses voisins.

À la dernière étape, la notion de matière est portée par un effet de continu/coupé : dans son ensemble la stèle forme évidemment un volume continu dont les diverses faces sont coupées les unes des autres, et chacune de ses faces est à son tour coupée en multiples portions, correspondant soit aux glyphes, soit aux détails du personnage et de ses habits. Sur la face avant, la continuité de la surface est coupée par un brusque changement de plan qui permet à la tête du roi d'apparaître en volume.

La notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant : le personnage doté d'un esprit est formé de deux parties très indépendantes l'une de l'autre par leur aspect, puisque sa tête dispose d'un volume tandis que le reste de son corps est aplati sur la stèle, mais ces deux parties sont clairement liées l'une à l'autre pour faire ensemble le corps du personnage.

La relation entre les deux notions est portée par un effet d'intérieur/extérieur : le personnage doté d'un esprit a la partie principale de son corps à l'intérieur du parallélépipède matériel dans lequel il est pris, mais sa tête est clairement à l'extérieur de ce volume matériel.

L'effet qui doit nous apparaître d'emblée est aussi celui d'intérieur/extérieur. La forme se répand par un effet d'un/multiple qui correspond à la lecture en 1/x dont on a vu qu'elle valait aussi bien pour l'aspect matériel que pour ce qui relève de l'esprit. La forme s'organise par un effet de rassemblement réussi/raté qui correspond au ratage du rassemblement complet du roi sur la surface de la stèle puisque sa tête parvient à y échapper. Ces trois effets sont résumés par un effet de fait/défait : le volume du roi est fait au niveau de sa tête et de sa coiffure, il est défait sur tout le reste de son corps.

 

 


 

Le masque du dieu Chac, complet au Musée national d'anthropologie de Mexico, avec les nez brisés sur la façade du Palais des Masques de Kabáh au Yucatán

Sources  des images : https://www.reperesdhistoire.com/single-post/2016/03/02/chaac-dieu-de-la-pluie  et https://www.wikiwand.com/fr/Kabah 


 

Dernier exemple caractéristique de la dernière étape dans la civilisation maya, le masque du dieu Chac construit par assemblage de morceaux « préfabriqués ». On le trouve parfois isolément, parfois en files, et parfois en surfaces entières, ainsi qu'il en va pour le Palais des Masques de Kabáh au Yucatán. Ce masque, dont le nez est maintenant presque toujours cassé, est une composante importante de ce que l'on appelle communément le style « Puuc ».

Sa caractéristique est que si les différentes parties qui le composent sont bien ajustées dimensionnellement, elles ne cherchent pas à se raccorder l'une à l'autre pour faire oublier leur caractère de morceaux séparés mis côte à côte. Ainsi, la portion de cylindre de la paupière supérieure de chaque œil génère bien un volume cylindrique qui se poursuit dans la paupière inférieure, mais la forme qui encadre horizontalement chaque pupille est en léger retrait par rapport à ce cylindre. Le résultat en est que, en tant que masque matériel, son unité indiscutable va de paire avec sa très visible division en multiples tronçons préfabriqués, ce qui est là une lecture du type 1/x qui concerne donc la notion de matière.

Le dieu Chac, dieu de la pluie, est ici à prendre comme une entité dotée d'un esprit, et par ailleurs c'est notre esprit qui transforme cette addition de formes préfabriquées en un visage de dieu. L'absence de raccordement entre les différentes parties de la forme qui contribuent à figurer un masque de Chac permet que leur assemblage soit lu comme un assemblage de 1+1 morceaux, mais, comme il en va pour la matérialité de ce masque, l'unité de ce qu'il représente et signifie pour notre esprit est également bien perceptible, ce qui fait que la notion d'esprit relève également d'une lecture du type 1/x comme il se doit pour la dernière étape.

La notion de matière est portée à cette étape par un effet de continu/coupé. Il est facilement lisible dans ces masques qui forment matériellement des figures continues mais coupées en multiples morceaux préfabriqués assemblés côte à côte.

L'effet de lié/indépendant qui porte la notion d'esprit est également évident : l'indépendance de chaque morceau préfabriqué est bien visible, mais il est aussi bien visible que tous les morceaux qui construisent un même visage sont liés les uns aux autres par leur commune participation à un même masque, celui d'un être doté d'un esprit et que lit notre esprit.

La relation entre les deux notions est portée par un effet d'intérieur/extérieur : elles sont portées toutes les deux par des visages obtenus par l'assemblage de blocs préfabriqués dont l'extérieur de chacun est bien repérable à l'intérieur de la forme du masque qu'ils construisent.

Il est à noter que dans la partie supérieure de la façade du Palais des Masques, les formes qui correspondent probablement à des boucles d'oreilles sont communes à deux masques voisins, ce qui renforce chacun des trois effets que l'on vient de décrire : bien que coupés visuellement l'un de l'autre, deux masques voisins forment une continuité d'autant plus affirmée ; bien que repérables de façons autonomes deux masques voisins sont ainsi complètement liés l'un à l'autre ; et de chaque boucle d'oreille on ne sait dire si elle est à l'intérieur d'un masque ou à son extérieur car appartenant au masque voisin.

 

L'effet qui doit apparaître d'emblée est celui d'intérieur/extérieur. À ce qu'on vient d'en dire, on peut ajouter que le très long crochet du nez de chaque masque est à la fois à l'intérieur de ce masque et très expressivement à l'extérieur de la façade puisqu'il s'avance très loin d'elle. Ce crochet forme d'ailleurs un creux intérieur situé en situation très extérieure.

La forme se répand par un effet d'un/multiple qui, pour chaque masque pris isolément, est impliqué par sa division en multiples blocs préfabriqués, tandis que dans le cas de l'assemblage de masques formant la façade du Palais des Masques il vaut pour le rassemblement de multiples fois la même forme élémentaire.

La forme s'organise par un effet de rassemblement réussi/raté : le rassemblement des blocs préfabriqués dans un même masque est réussi, mais leur fusion dans ce même masque est ratée puisque chaque bloc élémentaire garde l'apparence d'un bloc indépendant.

Ces trois effets sont résumés par un effet de fait/défait : toujours à cause de l'absence de fusion des différents blocs préfabriqués dans un masque continu, ces masques restent comme défaits bien qu'ils soient suffisamment bien faits pour qu'on parvienne à les percevoir.

 

> chapitre 18 – Analogisme


[1]Il est rappelé que les étapes correspondant à la phase naturaliste/animiste sont repérées sur le site Quatuor de C0-21 à C0-30. Pour ce qui concerne l'Égypte, on peut trouver les œuvres qui y correspondent à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0400.htm, pour ce qui concerne la Mésopotamie, à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0200.htm

[2]Il est rappelé que les étapes correspondant à la phase naturaliste/animiste sont repérées sur le site Quatuor de C0-21 à C0-30. Pour ce qui concerne la Méso-Amérique, on peut trouver les œuvres qui y correspondent à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0800.htm